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Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
Vous écoutez Procrastination Saison 2 Episode 1 : « Qu’est-ce qu’une histoire ? »
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Un petit mot rapide pour commencer déjà, puisque c’est la saison 2. Merci à vous tous de votre suivi, votre écoute et votre enthousiasme pour cette émission. On s’est bien amusé de notre côté et visiblement vous aussi, donc merci pour votre suivi, tout simplement. Et donc nous entamons la saison 2 avec une question finalement assez simple et qu’on aurait peut-être pu se poser avant : Une histoire, qu’est-ce que c’est en réalité ? Parce qu’on parle beaucoup d’écriture, de narration, mais on fait quoi et de quoi on parle ? La définition de la notion d’histoire même peut peut-être un guide intéressant dans le travail de l’écriture, et dans le travail de raconter si finalement on définit l’objet dont on parle.
Laurent Genefort : Alors je pense que pour ça il faut revenir aux bases, et notamment aux bases dans la narratologie. Pour moi, la définition qui les résume toutes et qui a posé les bases, c’est celle de Gérard Genette, qui dit : « L’histoire correspond à une suite d’évènements et d’actions, racontée par quelqu’un, c’est-à-dire le narrateur, et dont la représentation finale engendre un récit ».
LD : Alors qu’est-ce qu’un récit du coup ?
LG : Voilà. Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Parce que tout ça c’est circulaire. Le récit c’est le texte oral ou écrit qui formalise l’histoire. L’histoire, c’est l’objet du récit, et la narration, c’est l’acte qui produit le récit. En fait, ce que ça veut dire c’est qu’à partir d’une histoire, on va pouvoir produire plein de récits. L’exemple typique c’est les tragédies grecques. Par exemple Œdipe, Phèdre etc. qui vont être traitées par des auteurs grecs, des auteurs romains, puis des auteurs européens classiques, puis européens modernes. Mais aussi les reboots de super héros etc. qui vont être des variations sur ces histoires.
LD : L’histoire, tu dirais, c’est finalement le motif…
LG : L’histoire, ce n’est pas le motif. L’histoire, c’est l’ensemble des faits signifiants. C’est les conflits, les relations, tout ce qui va être des bascules dans ce qu’on veut raconter. Mais ça, c’est vraiment la définition classique. De façon générique, on entend l’histoire comme l’ensemble des conflits et des échanges entre personnages, c’est plus l’acception moderne. Les descriptions des situations conflictuelles sans recourir aux décors, aux costumes, aux accessoires. C’est tout ce qui est l’essence d’une progression dramatique.
LD : D’accord. Moi ça m’évoque tout de suite une potentielle distinction qui est un peu en rapport avec ma manière de travailler, où j’ai tendance à définir les évènements dans ma préparation, mais tous les évènements ne vont pas forcément être dits, relatés ou racontés « à l’écran » ou sur le papier.
LG : Le récit va agencer les évènements de l’histoire. C’est ça en fait qu’il faut avoir à l’esprit. C’est-à-dire que le récit va mettre le focus sur un élément plutôt qu’un autre, et c’est pour ça que l’histoire va changer de ton, va changer même d’essence, des fois. Par exemple c’est comme ça qu’un mythe évolue. Parce qu’à partir d’une même succession de faits, le narrateur va bouleverser l’ordre des éléments : en faisant des analepses, des prolepses…
LD : Flashback et Flashforward, juste pour…
LG : En changeant aussi de héros parfois. Je veux dire, en transformant un personnage secondaire qui va devenir principal etc. C’est comme ça qu’un mythe évolue. Des fois il se vide de sa substance première pour prendre d’autres significations qui vont être celles des préoccupations de telle civilisation dans laquelle l’histoire va être reformulée.
LD : Donc quelque part le récit met le sens sur l’histoire.
LG : Tout à fait.
LD : En fait, quand on écrit finalement, on écrit par des histoires. On écrit des récits, quelque part.
LG : Voilà, on se sert d’une histoire qui va être un peu la glaise. L’histoire c’est la glaise, et le récit c’est le façonnement de cette glaise.
LD : D’accord. Parce que du coup, on se concentre fréquemment, quand on parle de techniques narratives, du boulot de l’auteur etc. on se concentre toujours sur l’histoire. Et finalement le terme n’est pas bon.
LG : Le terme n’est pas bon, mais le terme moderne, il n’y a pas à discuter, quand on dit histoire ça veut dire récit. Et notamment quand on évoque le mot « histoire », on a tout de suite l’acception moderne de la tension narrative. C’est-à-dire cette espèce d’impulsion qui fait qu’on va être embarqué dedans, justement. Et cette espèce de pente où on se laisse rouler avec le récit… Elle survient cette tension quand l’interprète d’un récit est encouragé à attendre un dénouement, cette attente étant caractérisée par une anticipation teintée d’incertitude. C’est ça qui va engendrer cette tension narrative. Alors, ça peut être engendré par l’action elle-même, les dialogues… Après c’est le travail de l’auteur qui fait que la tension narrative fonctionne ou pas.
LD : Justement, cette tension narrative, moi ça m’évoque cette définition que j’ai tendance à favoriser, c’est celle d’Aristote, qui parle de la notion d’energeia. Aristote dit… L’histoire, il met l’accent sur l’actualisation d’un potentiel. C’est-à-dire qu’il faut partir d’une situation qui est riche de potentialité. A travers le déroulement et cette pente – ça revient à cette pente dont tu parlais tout à l’heure – à travers la réalisation et l’actualisation du potentiel qui est contenu dans cette situation initiale, un élan… la notion d’energeia se crée.
LG : Oui, c’est cette pente dont on parlait tout à l’heure.
LD : Et il y a une sorte de déroulement logique et d’élan qui se construisent. J’étais assez content de tomber sur cette définition, parce que ça venait confirmer une intuition, quand j’essayais de construire mes propres outils. Une intuition personnelle que j’avais qui était finalement : c’est la volonté de l’auteur et des personnages qui forment l’élan narratif et qui est une forme de guide pour raconter. Mélanie ?
Mélanie Fazi : Moi en réfléchissant à ça et pour rebondir sur ce que tu viens de dire, quelque chose que j’ai noté très tôt c’est l’idée de voyage ou de cheminement. C’est-à-dire que pour moi, à l’intérieur d’une histoire on a les personnages qui, au début et à la fin, ne doivent plus être les mêmes. Un élément qui est important pour moi, c’est qu’on ne raconte pas absolument tout dans une histoire, on se concentre sur un moment d’une histoire. Et un moment qui peut être un moment de crise, de basculement, de résolution d’une situation, mais il y a vraiment pour moi cette idée de cheminement. C’est-à-dire qu’à l’intérieur d’une histoire, on doit partir d’un point A pour aller à un point B, et la situation ou les personnages auront changé entre temps. Il y a vraiment quelque chose de cet ordre qui doit se produire.
LD : Est-ce que ça doit se produire ? Parce qu’on a des exemples : James Bond il ne change jamais, et pourtant il vit une histoire.
MF : Non, mais c’est une résolution d’une situation. Il se retrouve catapulté dans une situation. Là c’est plutôt la situation qui évolue que les personnages.
LD : Oui, mais il y a cette idée d’évolution en son cœur.
MF : Après j’ai du mal à définir quelque chose qui soit valable pour tout. J’ai plus des intuitions sur des types d’histoires et c’est compliqué. Par exemple, moi j’aurais plutôt mis l’accent, en définition personnelle, sur le contexte, ce qui contredit la définition donnée par Laurent. Moi ce que j’avais noté en premier en réfléchissant à « qu’est-ce qu’une histoire », c’est un contexte général, à l’intérieur duquel se produisent des fils d’intrigue, donc des récits, et pour moi une histoire c’est quelque chose qui arrive à quelqu’un à l’intérieur d’un contexte. Et en fait on n’est pas tout à fait d’accord sur ça du coup.
LD : Effectivement, c’est extrêmement difficile de trouver une définition qui peut tout chapeauter. Moi je m’étais vraiment concentré sur la notion de volonté, et la définition la plus basique à laquelle j’étais arrivé, c’est « quelqu’un veut quelque chose, mais c’est compliqué, mais c’est important ». La volonté c’est le moteur qui le pousse, « c’est compliqué » donc il y a une autre forme d’opposition, une forme de conflit, et « c’est important », donc il y a notion d’enjeu, sachant que la notion d’enjeu est purement subjective. L’importance des enjeux n’a pas du tout de gradation en fonction de « sauver le monde c’est plus grave que réussir son contrôle de maths ». L’enjeu est totalement rattaché au personnage qui porte l’enjeu, parce qu’à travers la valeur d’empathie du lecteur qui va s’intéresser à ce qui arrive au personnage, c’est là que l’enjeu va prendre tout son poids. Pour moi l’enjeu n’existe pas dans le vide, sinon ça donne le syndrome Dragon Ball Z, où d’abord on pète la navette, ensuite on pète la galaxie etc. parce qu’on est constamment en recherche de surenchère. L’enjeu est toujours lié à la psychologie du personnage et à ce qui est important pour lui. Et comme le personnage est véhicule du lecteur, mécaniquement en tout cas on peut espérer que ça va acquérir de l’importance pour le lecteur.
MF : Sauf si cette recherche de surenchère devient un enjeu en soi, mais là ça peut être autre chose.
LD : C’est effectivement une certaine forme de narration à grand spectacle : James Bond…
LG : C’est aussi parce qu’on est dans une vision structuraliste de la chose. C’est-à-dire que peu importe le contenu manifeste, c’est la fonction qui compte dans la vision structuraliste et ce dont on parle. Que ce soit jeunesse, prop ( ?), tous les théoriciens, c’est les années 50, c’est la grandeur du structuralisme où on essayait de se débarrasser de la substance pour voir quelles sont les structures sous-jacentes. Effectivement, c’est aussi important dans un récit. Dans une romance moderne où l’enjeu sera de sortir avec son petit copain, que de sauver l’univers pour Luke Skywalker. C’est la même chose quelque part.
MF : C’est la notion de conflit ou la notion d’enjeu, on en revient toujours à ça.
LD : C’est des choses auxquelles tu penses toi, Mélanie, quand tu construis, réfléchis… ?
MF : Le problème, on en a déjà parlé, c’est que je ne réfléchis pas vraiment mes histoires, elles s’imposent d’une certaine manière. Par contre, ce qui me vient effectivement c’est qu’il y a une notion de dynamique. Ce dont je parlais, le cheminement. Il y a vraiment une dynamique interne, on part de quelque chose pour aller vers quelque chose, je sens qu’il y a un élan, un mouvement qui fonctionne, mais je ne vais pas tellement réfléchir en termes d’histoire. Je n’ai pas tellement de définition ou de recul sur ça. C’est vraiment plus une intuition, là je sens qu’il y a de la tension, je sens qu’on est dans quelque chose qui… Je reviens toujours au conflit et à sa résolution. Je prends un personnage à un moment de crise, un moment de basculement, un moment où quelque chose résonne.
LD : Parce que la question sous-jacente que j’ai, c’est quand on a l’axe, quand on réfléchit, peut-être quand on est en train de caler, est-ce que cette notion peut aider à sortir de cette ornière, éventuellement, en revenant à la définition. Peut-être en se disant « Je cale, donc est-ce qu’il y a quelque chose dans ces grandes définitions qui peut m’aider à en sortir ? ».
MF : Ça peut, mais là ça dépend beaucoup des méthodes de chacun. Moi à titre personnel ça ne marche pas du tout, justement parce que si je suis dans un raisonnement trop logique, ça me bloque complétement. Mais je connais énormément d’auteurs pour qui… Je pense que ça fonctionne beaucoup mieux sur toi, par exemple, de réfléchir, de mettre à plat les étapes. Pour moi c’est absolument impossible, ça.
LD : J’avoue que comme pour moi le guide c’est la volonté… Je différentie la volonté des personnages, c’est-à-dire c’est l’inertie acquise par l’histoire – je n’ai rien inventé, j’ai découvert après coup que c’était la notion d’energeia d’Aristote, c’est-à-dire l’élan acquis par le récit – et la volonté de l’auteur – c’est-à-dire moi qu’est-ce que j’essaie de faire, et qu’est-ce que je veux. Quand dans la préparation, ou aussi dans la réflexion sur une scène, je reviens toujours à ces notions-là effectivement. C’est-à-dire : Qui veut quoi ? Quel est le problème – c’est-à-dire derrière, quelle est cette situation riche en potentialité ? Quelles sont les volontés en présence ? – comme tu dis, quel est le conflit ? Quels sont les changements nécessaires dans l’histoire ? Et à partir de là, se construit une scène.
MF : Alors que moi, mais c’est peut-être plus vrai pour la nouvelle que pour le roman, je ne sais pas, j’aurais plus à me poser la question : « cette situation dans laquelle on est, cet évènement qui se produit, en quoi est-ce qu’il résonne chez le personnage ? En quoi ça va le perturber, le faire évoluer, ou autre. Moi, c’est vraiment ça : quel est l’impact ? Et finalement, quel est l’impact ? quel est le changement qui est opérant ? comment le personnage va-t-il s’enfoncer dans cette situation et s’en sortir ? c’est ça qui donne la dynamique du récit.
LD : En fait, on a une approche exactement voisine.
MF : Oui, mais pas de la même manière.
LD : Mais en prenant les choses pas par la même extrémité du spectre.
LG : C’est vrai que dans le roman, il y a quelque chose peut-être de plus général pour le coup. Et certains théoriciens rattachent un peu la division en 3 actes, par exemple, qu’on a dans la structuration classique. Comme les 3 âges de la vie, c’est-à-dire l’enfant, l’adulte, et le vieillard. Et à ce moment-là le récit fonctionne un peu comme une métaphore qui permet de relier sa propre expérience au reste de la société. Là, il y a une sorte de fonction finalement du récit, et on peut s’intégrer soi-même dans un récit. Pas forcément au niveau où on va s’identifier au personnage, mais on va presque s’identifier au récit lui-même. C’est-à-dire qu’on va projeter dans le récit, dans l’histoire, soit quelque chose qu’on attend de la vie, de sa propre vie ou de la vie globale de ses contemporains, soit soi-même.
LD : Je pense que ça pourrait nous faire… Ces sujet-là, entre la structure en 3 actes et l’identification, pourraient nous faire de belles boites de Pandore auxquelles on reviendra.
Eh bien ma foi nous arrivons à la fin de notre temps imparti. Donc pour terminer sur ces notions d’histoire, que finalement on va toujours aborder et creuser en filigrane, approximativement, toujours, je pense, petite citation d’Elizabeth Georges tirée de son livre sur l’écriture Mes secrets d’écrivain, Write away en anglais. Finalement ce sont deux titres de chapitres qui se répondent, mais qui peuvent revenir à ce dont on a parlé. Un chapitre dit : « Une histoire, c’est des personnages », et le chapitre d’après dit « La Mise en scène, c’est l’histoire ».
Jingle : C’était « Procrastination », merci de nous avoir suivis, maintenant assez procrastiné, allez écrire.
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Erreur404 )
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