Vous lisez Procrastination : S02E11 – C’est la fin

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Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S02E11 : C’est la fin

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Plokie)

Vous écoutez Procrastination, Saison 2 Épisode 11 : C’est la fin.

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Mais non ! C’est pas la fin du podcast ! « Insérer rires en boite. »

(rires)

LD : On va parler là des fins des histoires. Comment boucler, finir une histoire. Alors, on ne va pas parler exactement de la technique littéraire de la « closure ». La closure c’est l’inverse de l’incipit, c’est-à-dire vraiment les phrases, la rédaction, la stylistique des véritablement dernières phrases. Là on va parler vraiment de l’aspect narration. Puisqu’on a déjà parlé des débuts, on va parler des fins – peut-être qu’avec une grande originalité on fera un épisode sur les milieux ?

Comment on finit une histoire ? Qu’est-ce que doit faire la fin ? Qu’est-ce qu’une bonne fin ?

Laurent Genefort : Alors ça, c’est pas évident, en fait. Je dirais qu’au niveau narratif, c’est dénouer les fils de l’intrigue, fondamentalement c’est ça : apporter une conclusion aux destins des personnages. C’est justement la différence avec finir un texte, qui est clore l’univers mental d’un livre, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Mélanie Fazi : Moi, j’aurais tendance à dire que ça dépend déjà du format du texte. On avait parlé dans l’épisode sur la nouvelle de la fin de la nouvelle, qui est un effet très spécifique, c’est-à-dire que tout tend vers elle. Pour moi elle n’a pas du tout le même rôle que la fin d’un roman. Et même pour un roman, je pense que la fin ne sera pas la même selon que le roman est quelque chose de fini, dans le sens où c’est un one-shot qui n’est pas amené à être poursuivi, ou si on est dans une série ou dans un univers plus large. On est dans des cas de figure différents. Et je suis entièrement d’accord avec ce que dit Laurent, mais plutôt pour le roman.

LG : Oui, pour le roman, tout à fait.

MF : Effectivement. Moi j’avais pensé à la résolution ou non des conflits. J’avais pensé qu’une fin devait refermer des choses ou ouvrir sur des choses, et peut-être refermer tout ce qui a été ouvert comme possibilités, c’est-à-dire boucler les fils d’intrigues, avoir résolu ou pas les conflits, avoir fait avancer les personnages, avoir fait avancer une situation.

LD : On a parlé des promesses narratives, en fait.

MF : Oui, avoir tenu toutes les promesses.

LD : Moi j’ai noté, avoir payé le juste nombre de promesses narratives, parce que tout n’est pas forcément résolu dans la vie. Résoudre les promesses narratives entières du livre et d’une manière satisfaisante, d’ailleurs satisfaisante ça ne veut pas dire forcément d’une manière joyeuse, c’est plutôt d’une manière qui a du sens.

LG : Oui, d’ailleurs la fin positive/fin négative, c’est assez peu pertinent de se poser la question, il faut choisir la fin la plus adéquate à l’histoire c’est-à-dire celle qui sert le mieux le sujet, qu’elle soit positive ou négative.

MF : En plus, on peut avoir des fins qui sont les deux à la fois.

LG : Exactement. Au début, quand j’ai commencé à écrire, mes fins étaient pessimistes sur mes 5-6 premiers romans. Après elles ont été mi-figue mi-raisin, et parfois positives. Il faut juste qu’elles reflètent le registre réaliste ou pas de l’histoire.

MF : J’ai un exemple qui me vient par rapport à ça qui m’avait marqué, c’est la fin de Misery[1], où, sans tout à fait spoiler, la fin pose la question de savoir si le personnage a été entièrement détruit par ce qui lui est arrivé ou non. On a une fin qui laisse entendre que vraiment sa vie est détruite à jamais par ce qu’il s’est passé, il y a une petite lueur d’espoir sur la toute fin, et c’est une fin qui a une puissance extrême à cause de cet équilibre entre les deux. Pour moi, c’est une fin qui est les deux à la fois, justement.

LD : Je vais me faire l’avocat du diable, ou le provocateur, plutôt : si la fin est logique, où se trouve la place de la surprise, le twist final, si la fin est logique, est-ce que ça veut dire qu’elle est prévisible ?

MF : Ha ! Bonne question ! Souvent elle peut être attendue et réussir à trouver une manière un peu originale d’être attendue, on peut rester dans des schémas classiques, mais trouver quand même une manière de l’amener. Après on peut surprendre aussi par le moment. Je m’écarte un peu du sujet, mais une question qui se pose c’est : à quel moment on arrête l’intrigue ? On peut surprendre par ça aussi. J’ai pensé à des romans qui ont plusieurs fins, j’ai été beaucoup marquée par celle du Seigneur des Anneaux, par exemple. On s’attend à ce que le livre se termine par la destruction de l’Anneau, ça paraît logique, et cette destruction de l’Anneau intervient, mais ensuite il y a toute une partie qui explique ce qu’il se passe après, et cette fin est beaucoup plus marquante parce qu’on ne l’attend pas, en fait.

LG : Ouais, et en même temps, c’est une fin très classique parce qu’il y a beaucoup de contes qui ne se terminaient pas du tout avec la mort du méchant, mais avec le retour du héros, et sa transformation et la transformation du monde qui en résulte. Donc en réalité Tolkien revenait peut-être à des basiques qu’on avait oubliés.

MF : Oui, ça dépend peut-être aussi à quel âge on le découvre. Moi ça m’avait marquée parce que c’est la première fois que je rencontrais une fin comme ça. On atteint le but qu’on s’est fixé, et parfois, il peut y avoir autre chose derrière justement, et quelles sont les conséquences. On peut avoir plusieurs fins avec un épilogue, par exemple. On peut avoir la résolution des choses et ensuite brièvement nous montrer ce qu’il se passe après.

LD : Ça participe toujours de cette idée de conclusion, non pas de fermer des portes, car une fin peut être ouverte et en ouvrir, mais de payer ses promesses narratives d’une manière qui a du sens.

Sur la surprise, le « twist » – je me faisais volontairement provocateur – je reviens assez fréquemment pour ma part à la notion d’energeia d’Aristote (le fait de l’actualisation d’une situation riche de potentialités qui construit une histoire) et il y a plein de choses qui sont en germe dans une histoire. Pour moi, l’écriture s’apparente un peu à de la prestidigitation, notamment quand on veut justement faire un twist ou créer une surprise. Parfois d’ailleurs on se la réserve à soi-même quand on écrit, quand on tombe sur quelque chose et qu’on se dit : « Ah ! J’avais pas pensé à ça ! C’est meilleur que ce que j’avais prévu » (si on est structurel) et donc on attire forcément l’attention du lecteur avec tout un tas de promesses narratives. Et la manière dont on va choisir de les payer, à partir du moment où c’est en rapport avec le sens de l’histoire, ou même parfois on peut choisir d’en payer certaines de manières inattendues, ça suffit à créer la surprise. On reste toujours cohérent avec la logique interne du récit.

LG : C’est pour ça que pour moi, j’ai une difficulté à penser la fin de façon séparée du reste, en réalité, pour moi c’est l’aboutissement d’un tout qui est le roman. Quand on a porté une histoire pendant des mois, on sait d’instinct d’ailleurs quand une fin est réussie ou pas. C’est pour ça qu’il faut que ça reste organique tout au long, y compris la fin, et on le sait d’ailleurs quand on a justement porté cette histoire pendant des mois, on sait quand la fin est réussie ou pas, ça vient des tripes d’une manière générale. Donc pour moi, la fin ça n’a jamais été un problème, ça vient naturellement. Et d’ailleurs, je ne sais pas pour vous, mais moi à l’approche de la fin, je suis un peu comme un chien ou un chat en voiture qui sentent que c’est la fin du voyage, qui sautent dans la voiture, qui piaffent partout, je suis un peu comme ça. Je ne sais pas si c’est votre cas ?

MF : Moi ce n’est pas tout à fait pareil, puisque j’écris plutôt des fins de nouvelles, donc c’est encore un processus différent. J’aime bien cette idée de fin du voyage, c’est effectivement assez comme ça que je le perçois. J’avais une intuition aussi sur les fins, quand je parlais tout à l’heure de du fait de choisir le moment où se termine son histoire. C’est comme dans l’existence d’une personne, une situation qu’on va vivre a une fin et ensuite on continue à vivre, et je trouve que les fins qui ont un impact, souvent, vont avoir un effet de résonnance qui laisse sous-entendre ce qui peut se passer derrière. Si on laisse sous-entendre qu’un personnage a été marqué par ce qui lui arrive, qu’un pays a été marqué par ce qui lui est arrivé, que derrière il va se passer quelque chose, et je trouve que beaucoup de fins, tout en refermant les fils d’intrigue, laissent entrevoir qu’il y a une autre histoire derrière et que cette histoire on nous la laisse simplement deviner.

LD : Tout à fait. Parfois, des questions qu’on me pose, et je suppose qu’on vous les pose aussi c’est « est-ce qu’il y a une suite ? » ou alors « qu’est-ce qu’il s’est vraiment passé à la fin ? Il faut le comprendre comment ? », etc., et quelque part, justement, je trouve que l’attrait des fins ouvertes ou des fins en demi-teinte, c’est d’inviter le lecteur à choisir son interprétation, c’est pas à l’auteur de résoudre.

LG : Oui, c’est la force d’une bonne chute, c’est de dévoiler, mais aussi d’éclairer de façon différente ou même de redéfinir l’histoire parce qu’on va la ré-emboiter dans son esprit rétrospectivement. En Science-Fiction et en Fantasy, on clôt le destin du monde et le destin individuel en même temps, souvent.

MF : Ça m’a frappée quand j’ai sorti mon roman Arlis des forains qui se termine sur une fin ouverte, après on m’a dit que je faisais mes fins de romans comme des fins de nouvelles, donc peut-être qu’il y a quelque chose à ce niveau-là. Le nombre de lecteurs qui sont venus me demander s’il y avait une suite, et qui étaient surpris quand je leur disais qu’il n’y en aurait pas, de toute manière moi ça ne m’intéresse même pas de savoir ce qu’il se passe après. Moi ça m’intéressait d’amener les personnages et l’histoire à ce point-là qui est un point de crise et de rupture, mais je me contrefous de savoir ce qu’il se passe derrière. Les gens sont très étonnés qu’on n’ait pas envie de poursuivre une histoire indéfiniment, et que l’histoire peut-être se termine pour l’auteur lui-même à un point donné.

LG : Oui, d’ailleurs s’il y a un conseil peut-être à donner, c’est d’éviter d’apporter de nouveaux éléments sur la fin, c’est-à-dire réellement clore quelque chose. Parce qu’on est des fois justement tentés de continuer alors qu’en réalité tout ce qu’on va introduire c’est un deus ex machina, donc évitez d’apporter de nouveaux éléments narratifs ou de nouveaux personnages, même pour une fin ouverte. Ou alors il faut vraiment manier ça avec précaution, je pense.

LD : C’est peut-être d’ailleurs ce qui différencie une fin de roman one-shot d’une fin de volume de série. Pour moi le volume d’une série fonctionne plutôt comme un acte avec une certaine unité de thème, un certain conflit central qu’il faut résoudre, une certaine unité peut-être aussi géographique ou temporelle, etc., et ce volet-là va se clore, mais le plus grand conflit global n’est pas résolu, et à ce moment-là, c’est la possibilité justement de partir sur autre chose avec la base des éléments, mais évidemment ce n’est pas la fin de l’histoire, ce sera fait au dernier volume.

LG : Voilà, et puis au niveau des conseils il y en aurait peut-être un autre à donner, c’est éviter aussi les excès du dévoilement, parce qu’il y a eu des excès notamment au cinéma, mais aussi en littérature – une littérature qui voulait peut-être se faire adapter au cinéma d’ailleurs –, qui était une course à l’armement dans les dévoilements qui a conduit à la double chute, à la triple chute, aux fins grotesques des méchants du genre mitraillés, plus tombés du haut d’un immeuble, plus dissous dans l’acide…

(rires)

LG :… plus dissociés dans un accélérateur de particules… On peut rester sobre.

LD : Tout à fait, ça me fait penser à un autre truc. Alors il y a des tas de grands auteurs publiés qui le font, mais que je trouve toujours un peu insatisfaisant en tant que lecteur, c’est le grand dévoilement à la fin. Il y a tout un mystère qui a duré pendant parfois une série et on arrive un peu de façon automagique dans les 20 dernières pages où tout se retrouve expliqué, résolu, finalement plus – pour reprendre ce qu’on avait dit sur le Show don’t tell – en « tell » qu’en « show ». On a pris beaucoup de temps et de longueurs pour nous montrer le conflit, l’histoire, développer, installer les mystères, et à la fin… C’est pas vraiment un deus ex machina, c’est pas un lapin sorti du chapeau, mais c’est… tout est exposé.

(Lionel et Mélanie parlent en même temps)

MF : C’est Hercule Poirot[2] qui réunit tout le monde dans le salon pour expliquer, oui.

LD : Il y a des modèles narratifs qui le font, mais j’ai tendance à penser qu’en Imaginaire c’est un peu dommage de céder – bon des fois on n’a pas trop le choix – de s’en remettre à ce mécanisme-là, parce qu’on a justement la possibilité de montrer. Je pense qu’une fin a la nécessité de s’installer un peu dans la durée. Je te rejoins tout à fait Laurent sur le fait que je trouve que c’est comme les dominos, les choses vont s’emboîter et s’accélérer vers la fin parce que les scènes s’enchaînent les unes vers les autres.

Mais alors, on a établi Laurent que tu es structural/scriptural, et donc tu as la fin avant d’attaquer ?

LG : Alors souvent je sais où je vais, mais je ne sais pas par quel chemin on va passer. Mais souvent, j’ai quand même la fin. C’est rare quand j’ai réécrit une fin que je trouvais meilleure, par exemple. Ça m’est arrivé, mais c’est plutôt rare.

LD : D’accord. Et ça vous est arrivé que des éditeurs vous demandent de changer votre fin ?

LG : Moi jamais.

MF : Non plus.

LD : Moi ça m’est arrivé en cours de série, parce que la coupure… Non c’était pas grave. En cours de série, c’est-à-dire de changer le point de fin. Par exemple dans Léviathan, j’avais fait finir le bouquin plus tôt. Et l’éditeur m’a dit « c’est pas très satisfaisant, le cliffhanger est trop fort », donc ça ne m’a pas fait changer le plan de l’histoire, c’est juste qu’en gros j’ai continué jusqu’au prochain point d’équilibre fort, en récupérant ce que j’avais prévu pour le volume 3. La fin en soi n’a jamais changé, c’est le point de coupe qui a bougé.

LG : Je n’y accorde pas une si grande importance que ça, personnellement, à la fin. Je suis plutôt attaché aux derniers mots, plutôt qu’à la fin de l’histoire, c’est ça qui impacte réellement, plus que les histoires ou finalement on est dans une combinatoire qui reste limitée, et donc les surprises, en particulier aujourd’hui où beaucoup de choses ont été explorées, avec beaucoup de chefs-d’œuvre de grands mécaniciens de l’histoire – il y a beaucoup de grands mécaniciens de l’histoire aujourd’hui – c’est peut-être moins là que ça se joue que dans la fin du texte, où c’est là qu’il faut être très attentif je trouve.

MF : J’ai tendance à penser que c’est ce qu’il reste avec le lecteur et ça va beaucoup conditionner l’impact qu’à un livre sur un lecteur, c’est le moment où on lui lâche la main quelque part, et si ça résonne ça va faire résonner encore plus fort ce qui a précédé.

LD : J’avoue être un peu obsédé, peut-être un peu plus par la fin, par l’idée de résolution et de paiement de promesse narrative, même si effectivement il est très difficile d’inventer quelque chose de nouveau, surtout de nos jours. Le trajet personnel des personnages et de l’univers est forcément traité par le prisme de ce qu’est l’auteur, et je trouve la résolution de ces destins-là, même s’ils ne sont pas d’une originalité folle parce qu’on n’est plus il y a 2000 ans et que c’est donc difficile de trouver des sentiers qui ne sont pas battus, me paraît être attendu. Mais voilà ça n’engage que moi. C’est rigolo, je garde l’école du novelliste qui dit que tout doit concourir à l’effet final et à la fin, même si on se permet des détours.

Petite citation pour terminer. Alors c’est la closure justement de La Guerre des Boutons de Louis Pergaud, peut-être que ça pourrait s’appliquer aussi à nous tous en tant qu’auteurs qui sommes en croissance : « Dire que quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ».

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant assez procrastiner, allez écrire !


[1] Roman de Stephen King

[2] Détective privé dans plusieurs romans de Agatha Christie, ayant donné lieu à des adaptations en série et au cinéma.

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