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Le style, cette qualité évanescente censée faire ou défaire la clarté de l’expression, sa beauté, ou même l’innovation d’une œuvre. De quoi s’agit-il, et comment cela se travaille-t-il ? Après un rappel de définitions par Laurent et leur évolution notamment à l’époque moderne, Mélanie met l’accent sur la patte, la saveur d’un texte, et la différence d’approche entre auteurs – ceux qui s’adaptent le style à tout genre, et ceux qui adaptent le genre à leur style. Lionel complète par un accent sur le choix esthétique du style, sur la déclaration inévitable qu’il représente, qu’elle soit consciente ou inconsciente. (Blog de Lionel Davoust)
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
S02E16 : En avoir ou pas (du style)
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)
Vous écoutez Procrastination, Saison 2 Episode 16 : En avoir ou pas (du style)
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Le style, c’est une question complexe et floue parfois pour pas mal de monde. Ce sont des questions qu’on entend parfois « comment est-ce que j’acquière mon style ? » « Comment est-ce que je le fortifie ? », mais avant de savoir ce que c’est et comment le renforcer, le développer, le personnaliser, il faudrait d’abord savoir ce que c’est, comment éventuellement ça s’acquière.
Alors, le style, est-ce qu’on peut donner une définition ? Est-ce qu’il y a une définition en plus, ne serait-ce qu’unique, à travers l’histoire de la littérature ?
Laurent Genefort : Non je ne crois pas, et je pense qu’il y a deux visions. Il y a la vision classique, qui est celle vraiment de l’organisation grammaticale, et c’est une des premières classifications qu’il y a eu en fait. Donc il y a plusieurs styles, le style « coupé », c’est-à-dire des propositions indépendantes aux subordonnées très courtes, donc qui va privilégier la précision et le rythme rapide. Le style « lié » ou « logique », où là ça va privilégier les subordonnées avec les causes, les conséquences, les buts, les conditions, etc. Le style « oratoire » ou « périodique » qui va concerner l’organisation des répétitions avec des accumulations et qui se construit autour de mots de liaison, « quand » etc. Le style « affectif », c’est-à-dire désorganisé par l’émotion, avec des tours exclamatifs, impératifs, des formes d’insistances, des phrases nominales, des interjections etc. Donc quand on parle du style à l’époque classique, c’est d’abord avoir un « beau style » dans l’opposition entre la conception classique et moderne, c’est plutôt ça. C’est-à-dire conforme aux canons académiques, qui va séparer les styles, justement.
Aujourd’hui c’est beaucoup plus flou, parce que la prose s’est justement libérée des carcans académiques, donc il s’agit plutôt de la saveur de la prose, qui fait intervenir l’organisation grammaticale – ce qu’on a vu plus haut – mais aussi le registre de langue, le vocabulaire, l’utilisation des figures de rhétoriques, les images, les comparaisons etc., et même la graphie, la densité des dialogues. En fait ça joue sur tout, toutes les variations possibles et imaginables sur la langue, c’est ça qui fait le style aujourd’hui.
LD : Donc autrefois avoir un beau style c’était les canons, donc tu disais par exemple : trop de répétitions, ce n’était pas considéré beau ?
LG : Voilà, par exemple. Aujourd’hui c’est plus avoir un style doté d’une personnalité, même si la notion est encore une fois très floue.
LD : Donc c’est vraiment les deux définitions, où il y avait autrefois les styles, donc c’est plus une classification, aujourd’hui quand on parle du style c’est la patte en fait, la patte de l’auteur, ce qui fait sa saveur. Vous la définiriez de la même manière, la « patte de l’auteur » ? Est-ce que vous mettez quelque chose derrière ? Est-ce que c’est une question que vous vous posez ?
Mélanie Fazi : C’est quelque chose de très subjectif, moi j’ai pas mal réfléchi à cette notion de style pour m’apercevoir que je n’arrivais pas à le définir, mais qu’à la limite en lisant un texte je le reconnais. Je vois un texte et je me dis « ah, ça c’est un style, c’est du style, il y a quelqu’un derrière », mais qu’en même temps c’est extrêmement variable d’une personne à l’autre. Il y a certains écrivains où je vais trouver qu’il y a un style qui m’épate et… Je pensais à un exemple qui est peut-être assez parlant, moi je suis très admirative de quelqu’un comme Virginie Despentes[1] par exemple, et je sais que quand je lis ça je me dis « wahou, il y a une liberté dans cette écriture, il y a une voix, il y a quelqu’un derrière » et beaucoup de gens trouvent que c’est extrêmement mal écrit. C’est très subjectif en fait comme notion. Mais je rejoins ce que tu disais sur l’idée de la saveur, ça rejoint assez ma perception du style, comme quelque chose qui sonne, quelque chose qui donne une personnalité.
LD : Je suis tout à fait d’accord avec vous, pour moi le style c’est un choix esthétique. C’est à la fois un choix esthétique qui pour moi est un choix esthétique de forme, le beau – je suis content que tu aies cité le mot, parce que le beau, surtout encore aujourd’hui, on a mis en avant la subjectivité du beau – le style, les choix esthétiques que l’auteur va faire, ce sont ses propres choix esthétiques. À mon sens derrière il y aussi une question qui est fonctionnelle, qui rejoint un peu la fonction esthétique, c’est-à-dire « ce que je veux raconter, je vais le raconter d’une manière qui correspond à mon esthétisme, mais je vais décider de ce qu’il va être pertinent de dire, ce sur quoi il va mettre l’accent, parce que ça va potentiellement servir mon projet ».
MF : Ça me fait penser que j’ai une très vague théorie par rapport à ça, j’ai une impression que je vois pratiquement deux types d’écrivains différents. Il y en a certains qui vont avoir un style un peu plus « caméléon » je dirais, qui vont avoir envie de s’essayer par exemple à différents genres littéraires et d’adapter à chaque fois leur écriture à ce qu’ils font, et certains qui ont vraiment une voix dominante, c’est-à-dire qu’ils peuvent écrire de l’horreur, de la romance, à peu près tout entre-deux, et à chaque fois il y a une voix, toujours la même, qui émerge, et ils n’arrivent pas tellement à se couler dans autre chose. Et je vois souvent plutôt tendre vers l’un ou l’autre.
LG : Oui, par exemple Brussolo[2], quand on dit « Brussolo fait du Brussolo », je pense qu’il ne serait pas capable de faire autre chose d’ailleurs, mais voilà, il gauchit du coup tout ce qu’il approche, c’est une sorte de gros astre littéraire, et quand il aborde un genre, il fait du Brussolo avec le genre.
LD : Tout à fait. Et du coup – sans vouloir être utilitariste ou structuraliste – est-ce qu’en dehors de l’attrait esthétique, il y a une fonction narrative du style, pour vous, à la patte ?
MF : Une fonction d’efficacité peut-être ?
LG : Ça c’est intéressant !
MF : Très, très bonne question.
LG : C’est intéressant parce que « Qu’est-ce qu’un style efficace ? », ça j’aimerais bien le savoir. Je pense qu’on est dans le mythe. C’est un peu comme le mythe du « style neutre », vous savez, L’Etranger de Camus, mais en réalité non, c’est un style. Le style neutre, c’est un style. Je pense qu’il n’y a pas de style efficace, je pense qu’il n’y a pas de style neutre, il n’y a que des auteurs en fait, vraiment c’est ma pensée profonde. Mais c’est parce que pour moi, je pense que le style c’est ce qu’il reste quand on cesse de penser à faire du style, je pense, justement. Et c’est là qu’on voit le vrai style d’un écrivain, parce que c’est le résultat, le style, des techniques et des figures que l’on retient par rapport à celles qu’on a filtrées avec les années.
MF : Oui. C’est intéressant parce que j’avais une hypothèse par rapport à ça, je me demandais si le style c’est pas ce qui émerge quand on sort finalement de la phase d’apprentissage, quand on commence vraiment à maîtriser les outils, et qu’on arrête d’être un peu entravé par « comment ça fonctionne ? » « comment est-ce qu’on construit telle ou telle chose ? », et qu’on arrête d’être dans cette phase d’imitation en fait.
LG : Exactement.
MF : Et qu’à un moment donné, quand on est plus entravé par à la fois « j’essaie d’écrire à la manière de » et « j’essaie de comprendre comment fonctionnent les outils », il me semble que là il y a quelque chose de personnel qui émerge. Et quand on dit « construire son style », je ne suis pas sûre que ce soit quelque chose qu’on construise de manière tellement consciente en fait, pour moi, c’est quelque chose qui émerge une fois que le reste est maîtrisé.
LD : Moi je suis d’accord, je pense que dans la construction du style, il y a de toute façon une composante de temps et d’expérience, d’expérimentation. La métaphore est souvent plus parlante dans le cadre de la musique, quand on a suffisamment maîtrisé la technique de l’harmonie, du jeu, etc. on va pouvoir se concentrer sur le fait de faire. Avant on se concentrait sur l’outil en se disant « comment ça marche ? ». Je pense que ça peut être aussi peut-être accéléré ou réfléchi par une réflexion, mais qui là aussi nécessite du temps, sur le goût esthétique. Parce qu’un style pour moi, c’est une affirmation esthétique, à la fois sur la langue « voici ce qui pour moi est une phrase jolie, belle, « efficace » c’est-à-dire pour moi l’efficacité c’est ce qui sert le projet. Et à la fois – et ça découle de ça – « voici ce qu’il est pertinent de dire, ce qu’il est pertinent de montrer, l’éclairage que j’ai choisi de mettre sur le projet que j’ai ». Et ça, ça va se construire à la fois à travers l’expérience d’en faire, à travers l’expérience du contact avec les autres formes de fiction, évidemment la littérature mais aussi toutes les autres formes de fiction de tous les autres médias, en se demandant, par exemple une réflexion sur la grammaire narrative des autres arts : qu’est-ce que fait le cinéma, qu’est-ce que peut faire la série télé, qu’est-ce que peut faire le jeu vidéo etc., et ce recul-là c’est à l’auteur [3]de se le construire avec le temps, mais ça peut aussi être une réflexion consciente. Ça nous ramène un peu sur l’épisode sur les corrections en se disant « qu’est-ce que je veux faire, quelle est ma vision ? ». Je suis d’accord avec toi Laurent, il n’y a pas de style neutre parce que la façon d’écrire est toujours une déclaration : « voici ce que je pense que la littérature doit être » et le fameux style neutre ça peut être aussi « je pense que je dois être le plus neutre possible » mais ce n’est pas possible.
LG : Exactement. Comme tu disais Mélanie, l’acquisition du style passe par des modèles qu’on a eu jeunes et sur lesquels on va se mouler plus ou moins inconsciemment – moi ça a été très conscient avec Brussolo par exemple, j’ai fait du Brussolo au tout début –, et après c’est l’émancipation de ces modèles. Et je pense que l’acquisition du style passe par l’émancipation des modèles, qu’ils soient personnels – moi ça a été Brussolo, Stefan Wul[4] etc. –, ou collectifs, c’est-à-dire par rapport à une époque. Il y a eu le style sec des écrivains américains des années ’50, le style néo-formaliste des années ’80 etc., dont on peut aussi prendre ses distances par rapport à une époque.
MF : Il y a aussi une impression que j’ai… On a souvent parlé, notamment pour les corrections, du fait de se relire à haute voix, l’idée du gueuloir et d’apprendre à écouter ce que l’on fait, et je me suis aperçu que pour moi ce que je mets aussi dans la notion de style, c’est qu’à un moment donné je vais écrire une phrase d’une manière qui sonne juste à mes oreilles, je sens que les mots doivent être agencés de cette manière parce que ça marche comme ça, et ce ne sera pas nécessairement vrai pour le voisin. Je m’aperçois que le style c’est ma manière d’entendre les mots qui coulent entre eux et qui s’assemblent. Un jour j’avais travaillé sur un texte avec quelqu’un et il avait été très, très surpris en lisant ce que j’avais écrit, en se disant « c’est intéressant parce que moi je n’aurais pas du tout agencé les phrases comme ça », et moi je n’avais pas cherché à faire surprenant, simplement à mes oreilles ça sonnait juste de cette manière.
LG : Alors là, j’allais le dire, mais tu l’as dit en mieux !
(rires)
MF : On est d’accord entre nous, c’est magnifique !
LG : C’est-à-dire qu’autant il y a un flot narratif qu’il faut essayer d’avoir tout le long d’un roman ou d’une nouvelle, et il y a aussi un flot esthétique, je crois que c’est le style justement. Le flot narratif c’est « qu’est-ce qui sonne le mieux dans l’histoire » et le flot esthétique c’est « qu’est-ce qui sonne le mieux dans le style » finalement.
LD : Je crois qu’on l’a un peu abordé par la bande dans l’épisode sur la musique, mais il y a effectivement cette musique de… alors ça ne veut rien dire ce que je vais dire, mais une espèce de musique visuelle en fait. La manière dont les mots sont agencés sur la page, la ponctuation aussi, sont des choses qui font qu’au bout d’un moment quand on a… c’est une quête sans fin, quand on développe sa sensibilité, je pense qu’on amène à la conscience cette impression de justesse. Ça sonne juste, ça se voit juste sur la page, ça sonne juste à l’oreille et cette espèce de puissante conscience esthétique qui est presque viscérale, c’est ce qui définit le style, quel que soit – pour reprendre ce que tu disais Mélanie – le domaine dans lequel on va s’aventurer, même si je pense que c’est toujours utile d’essayer d’aller regarder partout ce qui peut se faire et de voir les techniques littéraires qu’on peut importer.
MF : Mais je pense qu’on apprend aussi beaucoup en lisant. J’entends souvent des auteurs débutants ou moins débutants dire qu’ils évitent de lire pour éviter d’être influencés…
LD : Oh là là…
MF : J’ai toujours du mal avec cette idée, et je trouve qu’on apprend aussi ce qui est possible finalement en lisant, notamment pendant toute la phase d’apprentissage.
LD : Ça m’a toujours un peu fait hurler, ça…
MF : (rires) Oui on en a déjà parlé.
LD : Quelque part si on a peur – je vais me faire des amis, là – d’être influencé par des styles en lisant les autres, c’est que quelque part ce style est fort fragile. Alors, oui, on peut avoir peur d’attraper des trucs, des tics, à gauche et à droite, ça peut arriver, mais ce sont des choses qui vont se lisser, se tasser avec le temps. Tu parlais de l’imitation et des modèles tout à l’heure, c’est intéressant de signaler qu’il y a pas mal d’auteurs dans nos genres en particulier, qui se sont formés quand ils étaient jeunes avec la fanfiction.
LG : Ils sont dans la phase d’imitation.
LD : Ouais !
LG : Ce qui est normal quels que soient les arts. Un peintre va d’abord faire ses armes en copiant un modèle classique, un dessinateur va faire des petits Mickey…
MF : En musique on va répéter des morceaux existants.
LG : Voilà, c’est normal.
LD : Donc, ouais, la fanfiction est aussi une bonne école, comme il y en a plusieurs, mais ça peut passer par cette étape-là aussi. Donc voilà. Donc lire et aller regarder ailleurs ce qui se fait est pour moi capital. C’est un truc qu’on a déjà mentionné dans les épisodes précédents, certains auteurs qui disent « moi je veux réinventer les choses et je veux révolutionner les choses », ce qui est une très noble ambition – et je pense que tous, quelque part, on l’a au fond de nous même si on n’ose pas se l’avouer.
(rires)
LG : Pas du tout !
(rires)
LG : Moi je suis dans mes chaussons, hein !
(rires)
LD : C’était Elisabeth Vonarburg qui disait « c’est une très noble ambition, et c’est vrai, mais avant de pouvoir détruire la maison, il faut avoir le plan pour savoir où placer les charges ».
LG : Exactement.
LD : Et je pense que c’est une très bonne ambition pour un auteur, mais du coup c’est important de savoir où aller dynamiter pour éviter de réinventer la roue, surtout quand on parle littératures de l’Imaginaire où il y a quand même un certain nombre de motifs qui ont déjà été énormément traités, et c’est important de ne pas réinventer l’eau chaude.
LG : La citation, de Proust en plus : « Le style, pour l’écrivain aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde ». Proust, À la recherche du temps perdu.
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant assez procrastiné, allez écrire !
[1] Ecrivaine et réalisatrice française
[2] Serge Brussolo, écrivain français de science-fiction, de policier, de fantastique et d’historique
[3] Ici Lionel parle un peu trop vite, j’ai essayé de faire au mieux.
[4] Ecrivain de Science-Fiction français
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