Vous lisez Procrastination : S03E03 – Le sous-texte

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Exploration progressive d’une notion complexe à définir, cette semaine : le sous-texte, ou bien ce qu’un texte contient de volontairement implicite. Laurent précise la définition, Lionel la discute, Mélanie s’interroge. Mais l’histoire se finit bien : les trois auteurs conviennent que c’est dans le sous-entendu, dans le non-dit, que le gros de la communication fictionnelle réside. (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S03E03 : Le sous-texte

(Transcription : Plokie ; Relecture et corrections : Symphonie)

Vous écoutez Procrastination, Saison 3 Episode 03 : Le sous-texte

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Le sous-texte, c’est – mais on va définir un peu en détail – tout ce qu’un texte ne dit pas mais laisse entendre, et on en parlait en préparant cet épisode avec Laurent, c’est à ne pas confondre avec le hors-texte. Le hors-texte, c’est tout ce qui n’est pas relatif aux textes fictionnels à proprement parler. Et donc je fais ici mon Mea culpa parce que ça fait des années que j’utilise un terme à la place de l’autre et que donc le hors-texte dont je parle, ça devrait être le sous-texte.

Laurent Genefort : Voilà. Le sous-texte, c’est le contenu implicite, c’est à dire ce qui n’est énoncé ni par les personnages ni par le narrateur, ce qu’il y a derrière les mots.

LD : Un exemple rapide que j’utilisais en atelier de traduction, c’est « il traversa la pièce ». Il est implicite que c’est à pied et que ce n’est pas en patins à roulettes ni rien. Et on pourrait même aller plus loin en disant que s’il traverse la pièce à pied, c’est a priori qu’il y voit clair, et il y a tout un tas d’attentes qui peuvent se greffer par-dessus. Il fait probablement jour, si c’est « la pièce », vu qu’on est quand même globalement plutôt des populations urbaines, c’est probablement un appartement etc. etc.

LG : Alors le mot est sujet à débat quand même, c’est qu’il ne faut pas confondre le sous-texte avec l’ellipse au sens large. Ce n’est pas parce qu’on va passer sous silence un certain nombre de trucs que c’est du sous-texte. C’est juste qu’on fait l’ellipse, parce que c’est pas intéressant.

LD : Oui, oui, bien sûr.

LG : Ça veut dire que ce qu’il y a derrière les mots n’est pas ce qu’il y a entre les mots.

LD : Donc les deux font partie des présupposés. Disons que quand tu te dis « machin se leva, se prépara et partit au bureau », on part du principe qu’il est parti habillé, c’est pas de ce genre-là dont on parle. Mais si on parle du bureau, on peut partir du principe qu’éventuellement il est un employé de bureau, il a un costume, etc. Pour moi, c’est du terme de ce qui est impliqué, c’est à dire que quelqu’un qui part un matin et qui va au bureau, ça implique une certaine forme de personnage, de vie, etc. Ça n’est pas ellipsé, c’est sous-entendu.

LG : Voilà. En fait là, on parle de sémantique. La plupart des langages, en particulier le Français, mais aussi tout langage vivant, c’est à dire qui évolue, induit de l’ambiguïté, de la polysémie. Et d’ailleurs, c’est peut-être pour ça aussi que c’est un art, la littérature.

LD : Exactement

LG :  Et souvent le sous-texte vient en 2ème lecture quand le contenu manifeste et l’intention de l’auteur semblent diverger pour le lecteur, c’est là qu’on peut commencer à dire : « Ah, quel est le sous texte ? »

Mélanie Fazi : Je me posais une question, je repensais à ce qu’on disait dans l’épisode… je crois que c’était sur les noms, où je me souviens d’avoir parlé du fait que le nom d’un personnage, quand on choisit un prénom existant, par exemple, dit des choses sur son origine sociale, dit des choses sur l’âge, dit des choses comme ça et je me posais la question si on était là dans le domaine du sous-texte ?

LG : Oui

MF : En fait, la part de ce qui est volontaire ou non de la part de l’auteur, c’est un peu ce que je me demande, mais le premier exemple qui m’est venu, c’est ça, c’est le nom d’un personnage par exemple.

LG : Tout à fait.

MF : On ne va pas… Je ne vais pas expliquer que le personnage est de telle origine pendant 10 pages, mais son nom déjà va me donner un indice.

LG : Oui, en fait, c’est une part du sous-texte. Une autre part du sous-texte, c’est plutôt, disons, dans l’intention. C’est qu’un personnage va dire quelque chose, manifeste, mais en fait on va comprendre autre chose qui a trait à la métahistoire, le discours lui-même en fait, qu’est-ce que veut transmettre le roman ? C’est quoi le discours du roman ? Et c’est à travers des choses banales qui vont prendre un sens en rapport avec le roman. Là, on est vraiment dans le sous-texte, parce qu’on est vraiment au niveau du sens. On n’est pas au niveau de l’histoire, on est au niveau du sens.

LD :  Tu parles de « en 2ème lecture », pour toi c’est quelque chose qui se décèle de manière consciente ou qui peut se déceler de manière justement, implicite et inconsciente ?

LG : De la part du lecteur, c’est conscient.

LD : D’accord

LG :  C’est à dire que tout à coup il va se dire, « ah mais c’est bizarre, y a quelque chose qui colle pas avec ce personnage-là. Pourquoi il dit ça ? Pourquoi il se passe ça ? ». C’est là qu’on a souvent l’apparition d’un sous-texte. Enfin, le sous-texte va devenir du texte, de l’entre-texte… Oh la la !

[rires]

MF : Ça se complique

[rires]


LG : Le sous-texte va disparaître dans l’esprit du lecteur qui va attribuer un sens. Un nouveau à ce qui a été dit. C’est ça, en fait le sous-texte.

LD : D’accord, parce que pour moi, cette dimension-là qui est implicite, elle opère à n’importe quel niveau, n’importe quand. En fait, quand je parlais d’histoire de l’employé de bureau, il y a un exemple, je crois dans Les furies de Roger Zelazny, où on décrit un personnage, il est dit « il ressemblait à un ballon de plage surmontée d’une moustache ». Je salue Nicolas Barret qui m’avait rappelé cet exemple, qui pour moi est très fort parce que c’est une description qui fait mouche. Chacun va avoir une représentation différente. Il y a énormément d’implicites et en même temps, elle est hyper évocatrice.
Et là on ne pense pas consciemment en sous-texte.

LG : Non mais là, est-ce qu’il s’agit d’un sous-texte ou il s’agit juste d’une image ? Là, on est dans la comparaison, c’est à dire que voilà, c’est « il est comme un ballon » donc on est dans une comparaison ou une métaphore qui est une comparaison in apstencia où on n’a pas l’élément comparé. Donc on est plus dans la figure de rhétorique qui est très classique pour le coup.

Mais en fait, ce que tu dis, Mélanie, c’est il y a un sous-texte, s’il y a un sous-texte inconscient, à ce moment-là il y a toujours un sous texte, qui est la part singulière de l’auteur. C’est la vision de l’auteur qu’il a sur le monde qui va faire sous-texte et qui va enrichir le texte. Est-ce qu’on peut considérer ça comme du sous-texte ou juste l’art de l’écrivain ?  

Quand ça devient conscient, quand le sous texte devient conscient de la part de l’auteur, là on peut parler de sous-texte comme jeu littéraire et c’est là que ça devient intéressant j’allais dire au sens où là ça devient plus que la part habituelle de l’auteur dans n’importe quel texte. Et là, le message souvent à ce moment-là, il est camouflé quand il est subversif. Donc par exemple quand l’auteur veut parler de politique dans un régime autocratique ou de sexe dans une société conservatrice, ou la critique de la religion dans une théocratie – ou à peu près partout d’ailleurs –, ou de la mort parce que ça gêne tout le monde. Là, à ce moment-là on est dans la puissance du sous-texte pour le coup.

Mais ça vaut aussi pour tout message à vocation universelle. Par exemple 1984 ne s’adresse pas au bloc communiste. À l’époque, il a été interprété comme étant une charge contre le bloc communiste, mais en fait non, ça s’adresse à nos propres dérives, les dérives des pays dits démocratiques. Et là, on est dans le sous-texte, pour le coup, parce qu’il ne le dit pas explicitement. Explicitement, c’est une autocratie de la pire des manières, mais en fait ça nous parle à nous. Le sous-texte, il nous parle énormément, parce que ça nous parle de ce que sont en train de devenir nos sociétés.

LD : Alors tu vois, j’ai – mais peut-être que ça recouvre un autre –, un autre concept, mais moi j’ai une vision justement – puisqu’on est dans 1984 le terme est bien choisi – une vision très extrémiste du sous-texte qui est que pour moi, c’est en fait, c’est l’essence du métier. C’est à dire que c’est Bruce Holland Rogers dans une interview dans son recueil L’opéra des serrures – qui est l’interview que j’avais faite – où il disait que « c’était mon métier en tant qu’auteur, consiste à créer un effet chez mon lecteur à l’aide de mots », et le hors-texte – euh le sous-texte, pardon, voilà l’erreur – le sous-texte pour moi, justement, c’est tout ce qui va porter ça, qui va porter ce sens-là.

Les mots, ce n’est jamais que l’outil par lequel on va transmettre des courants sous-marins. On va évoquer des émotions et elles peuvent être explicites, mais elles ne sont jamais aussi fortes, finalement – à mon sens en tout cas – que quand elles ne le sont pas, c’est à dire que quand les mots permettent de recomposer l’image ou la sensation dans l’esprit du lecteur. Et donc c’est cette toute cette puissance sous-marine qui est le sous texte et qui pour moi est le cœur du métier, c’est à dire que mon boulot – moi la manière dont je le vois, mais vous avez entièrement le droit de pas être d’accord – c’est de créer du sous-texte dans l’esprit du lecteur en utilisant juste les mots et le moins possible, si possible.

MF :J’aurais tendance à te rejoindre là-dessus et ça me fait penser à une métaphore que j’avais utilisée, je pense dans l’épisode sur la nouvelle, je compare souvent la nouvelle au Tardis de docteur Who, c’est à dire qu’elle est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur – Que je ne dise pas de bêtises –, c’est à dire qu’on a un nombre donné de mots, et il y a quelque chose qui se déplie dans la tête du lecteur et qui n’est pas dit ouvertement. Mais comme si vraiment ça se déployait. Effectivement, j’ai plutôt tendance à partir dans cette direction-là.

LG : Oui, et puis l’art en fait, c’est d’orienter l’interprétation du lecteur de ce sous-texte, parce que finalement du sous-texte il y en a toujours. Comme on disait, il est largement inconscient et à ce moment-là, on peut considérer qu’il y a toujours du sous-texte. Une mention spéciale pour le sexe d’ailleurs, auquel tout peut être amené, même si l’auteur n’est pas obsédé, le lecteur, lui, l’est souvent, et le critique toujours…

[rires]

LG : … donc il y a toujours un danger de surinterprétation des textes et c’est toujours intéressant de voir dans les études universitaires ou scolaires comment est lu un texte à travers les âges

MF : Oh oui.

LG : Et là on voit que le que le sous-texte change, parce que la société change, donc l’interprétation du sous-texte change. Le sous-texte, c’est un puits sans fond, c’est ça en fait je crois la clé du truc, donc faut pas trop s’en faire je dirais. Il y a toujours un sous-texte, il faut être un maximum conscient. Je crois que le la tâche de l’écrivain elle est dans le fait d’essayer d’être un maximum conscient de tous les degrés d’interprétation auxquels on peut prêter.

MF :  J’ai envie de dire, j’ai pensé à une chose, je ne sais pas si c’est hors sujet ou si ça le rejoint. Un conseil qu’on donne très souvent aux auteurs, notamment débutants, qui ont tendance, notamment quand on développe un univers, on est tellement fier de son univers, de son jouet, avec toutes les ramifications qu’on a envie de mettre absolument tout dans le texte. Et quelque chose qu’on apprend à faire, c’est de dire non, tu choisis ce qui va servir le récit, tu choisis les éléments, mais que par contre je trouve que pour l’écriture et pour transmettre le message, quel qu’il soit ou le sens le plus fort possible, avoir une vision extrêmement précise notamment d’un univers, ça fait que chaque petit détail va se charger de sens aussi parce que nous on a en tête, mais qu’on n’a pas mis concrètement dans la page. Je ne sais pas si ça rejoint le texte ou si c’est un peu à côté.

LD : Non, moi je suis d’accord avec toi et tu vois au moment où tu disais ça, j’avais pris des notes qui étaient comparables. On en a un peu parlé sur la concision, c’est je pense quand on apprend, on commence à dire et plus on avance, et je pense s’opère à un moment un basculement qu’on a un peu évoqué, où on apprend à laisser entendre. Et je pense qu’un récit est d’autant plus fort quand on laisse parler le sous-texte, parce que ça veut dire que le lecteur a la possibilité de l’habiter en y projetant ses propres représentations, mais qui sont toujours guidées, canalisées et aiguillées par l’histoire et par ce que donne l’auteur. Mais je pense qu’il faut… Alors, évidemment, c’est toujours idéal parce que tous les auteurs sont différents, mais je trouve que de plus en plus qu’il s’agit de donner à imaginer plutôt que de prêter à voir.

LG : Ouais c’est vrai. Bah d’ailleurs c’est, je trouve, c’était presque un peu ce qu’on disait peut-être dans les années ’50. Enfin, un certain type d’écriture qui était une écriture très compacte, très économe, où on devait dire le plus de choses possibles dans le moins de volume de texte possible. Et ça, ça enrichit énormément, et c’est pour ça aussi que mon goût va vers ce type de littérature un peu sèche, parce que justement le sous-texte peut se perdre dans un certain verbiage et une dilution du texte avec un peu l’inflation des textes ces 25 dernières années.

MF : On est en train de revenir sur le show don’t tell qu’on avait traité y a déjà pas mal de temps.

LD : Exactement. Et la concision aussi. Je ne sais pas si t’es d’accord avec moi Mélanie, mais tu vois en fait ces réflexions-là à un moment j’étais parti faire un atelier de traduction et j’ai pigé en arrivant dans la salle – ça faisait longtemps que je faisais ces ateliers là avec à ce niveau-là, etc. – et j’ai pigé qu’en fait enfin – enfin… j’ai pigé, c’est mon interprétation, hein – mais que tout l’exercice de la traduction comme de l’écriture consiste en fait à transmettre du sous-texte

MF : A traduire du sous-texte

LD : : Prendre le sous texte et le passer avec l’outil qui est les mots – et les mots peuvent parfois prendre beaucoup de distance – mais pour essayer de garder le sous-texte

MF : Complètement. Quelqu’un me disait récemment avoir lu une citation qui disait en gros que la traduction, c’était traduire ce qu’il y avait entre les mots. Et je me suis retrouvée plusieurs fois dans des cas de figure à discuter, soit avec des gens, soit au moment des corrections, en fait de contester des choses qui sont dites, et de dire : « si on prenait ce mot hors contexte, d’accord, il pourrait vouloir dire ça, mais moi je suis immergée dans ce texte depuis des semaines, je traduis tel auteur depuis des années, la somme de données que j’ai, la somme de ressentis que j’ai construit à base de ça, me pousse à dire que oui ou que non, c’est hors contexte. Oui mais là non. » Pour moi, ça joue énormément.

LG : Donc là en fait le sous-texte, c’est l’esprit du texte, en fait. Le sens profond qui peut coïncider avec ce qui est manifeste, bien sûr.

MF : Qui peut complètement.

LD : Voilà, c’est ce qui suscite quoi comme …

MF : C’est une raison pour laquelle j’ai énormément de mal, souvent, avec les discussions sur la traduction hors contexte, où on prend un mot et on commence à s’écharper des fois sur les réseaux sociaux ou autres sur tel mot. « ça veut dire ça ou autre » parce qu’un mot en traduction, il est jamais traduit hors du contexte. Jamais. Il s’inscrit dans un mouvement. Et justement, il y a tout ce mouvement-là, tout ce sous-texte-là, qui préside aux milliers de petites décisions qui vont orienter vers un choix, et je trouve ça complètement idiot de le sortir de ce contexte.

LD : Tout à fait. Alors, évidemment quand on veut écrire, c’est important d’avoir du vocabulaire – c’est une bêtise de dire ça, mais ça a un aspect particulièrement important dans ce qu’on parle, parce que chaque mot – et c’est particulièrement le cas en français –, chaque mot a ses connotations et ses implications. Par exemple en verbe de dialogue, répondre, répliquer, rétorquer, ça n’a pas du tout les mêmes implications, pour prendre un exemple très simple.

Connaître ça le plus possible, c’est la fameuse recherche du mot juste. Non pas pour être pédant et n’utiliser que des mots qui font plus de 4 syllabes, mais juste pour arriver à dire le plus possible de manière la plus juste possible, de transmettre la connotation la plus juste possible par rapport à ses intentions. Forcément, ce sera reçu d’une certaine manière, mais en tout cas, on a essayé de transmettre le message le plus clair possible et qui laisse en même temps le plus possible la place au lecteur d’habiter le texte et simplement d’y apporter ses propres projections, qui est un des rôles importants de la littérature, je pense. C’est là où le sous-texte joue.

Petite citation pour terminer. Alors une citation de Hannah Moskowitz dans un roman qui s’appelle Teeth, qui n’est pas traduit à ma connaissance, donc, ce sera une traduction maison : « Soyons honnêtes, Rudy, les bouquins, c’est la pornographie de l’esprit, le sous-texte, l’imagerie cachée, toutes ces conneries »

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire ! Et désolé pour la perceuse et le marteau.

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