Liminal : Les nouveaux espaces de l’angoisse, Quentin Boëton / ALT 236

Liminal : Les nouveaux espaces de l’angoisse (2023, ed. Hoëbeke)

Auteur : Quentin Boëton, Français

Beau livre/Essai

De Reddit aux jeux vidéo, en passant par le cinéma, la photographie et la peinture, l’esthétique liée aux espaces liminaux — ces lieux du quotidien inquiétants, délaissés et presque surréalistes — fascine autant qu’elle dérange. Des effets d’échos et de résonance tout à fait sidérants se produisent dans la mémoire et l’imagination de ceux qui les regardent. Les longs couloirs de Shining, les backrooms, les niveaux de Super Mario 64, le lotissement anxiogène du film Vivarium, les peintures de René Magritte… L’histoire de l’art récente regorge d’exemples parfois inattendus. Des origines du terme à la naissance d’une véritable esthétique de l’angoisse, ALT 236 revient sur le mystère qui entoure les liminal spaces et à travers eux, sur le pouvoir que l’espace architectural opère sur nos sensations.

Mon avis

Avez-vous déjà eu ce sentiment étrange, en parcourant les couloirs à la moquette sombre, bordés de portes, d’un hôtel mal éclairé ? En vous insinuant dans un appartement trop aseptisé qui paraît sans vie alors même qu’il est habité ? C’est assez difficile à expliquer, mais il m’est arrivé de ressentir de l’inquiétude, voire une certaine angoisse, en traversant certains lieux. Je ne connaissais pas encore le concept d’espace liminal à ce moment-là (ou liminal space), mais j’avais déjà rencontré cet esthétisme particulier.

Si vous n’en avez jamais entendu parler, le concept peut se définir ainsi : des lieux de passage et d’activité humaine, mais qui sont vides ou abandonnés, et ainsi dépouillés de leur utilisé, laissant une impression diffuse de finalité et d’étrangeté, voire de mélancolie et/ou d’inquiétude. Il est très facile de trouver des photos de lieux réels qui s’inscrivent dans cet esthétique (même si on en trouve aussi pas mal générées par intelligence artificielle). Certaines sont vraiment belles, tout en étant parées de cette aura bien particulière.

(Dans le livre, il manque la légende de la photo correspondant au Holiday Inn, donc voilà, maintenant vous l’avez. Il y a aussi une légende erronée de film, mais normalement la compréhension n’est pas gênée).

Mais l’autre point intéressant avec les espaces liminaux, c’est qu’on les retrouve aussi beaucoup comme inspiration ou esthétisme plus ou moins conscient dans les arts au sens large.

Et c’est justement ce que nous propose Quentin Boëton (aussi connu sous le pseudonyme Alt 236, du nom de sa chaîne Youtube) : une plongée dans les espaces liminaux, à travers des photographies, des peintures, des jeux vidéo, des histoires, des films etc. C’est vraiment impressionnant l’engouement qu’il y a autour de ce concept, mais surtout je suis fascinée par tout ce mouvement créatif que ça a pu faire naître.

J’avais un peu peur que cet ouvrage soit un compilé de photos (je n’ai rien contre ça, mais ce n’était pas forcément ce que je recherchais). Il y a bien sûr pas mal d’illustrations, de lieux réels ou issues d’arts divers, mais le document s’est avéré très intéressant et explore bien plus loin que ce qui est « revendiqué » comme des espaces liminaux. L’auteur essaie d’ailleurs d’expliquer les raisons autour de cette fascination, que j’avais moi-même ressentie de façon plus ou moins inconsciente. Tout le monde n’y est pas forcément sensible, et c’est normal, mais ça offre quelques pistes de compréhension.

L’ouvrage est aussi très riche en références, j’ai fini par prendre un carnet de notes avec moi pour me faire une liste de films et séries à regarder, entre autres. Certains d’ailleurs, je les avais déjà vus, et certaines scènes avaient une aura particulière, mais que je n’avais pas forcément rapproché avec cette esthétisme (que je ne connaissais pas forcément à ce moment-là de toute façon). Ce sera intéressant de les revoir avec ce recul-là.

Bien sûr, le livre aborde aussi pas mal ce concept sous l’angle de « l’horreur moderne », à commencer par La Maison des Feuilles qui fait partie des précurseurs, qui a entre autres inspiré les fameuses backrooms, ou encore le jeu MyHouse.wad, une sorte de condensé vidéoludique fascinant de cette horreur moderne. Je n’ai pas non plus été surprise d’y retrouver mentionnée la chaîne de Feldup, notamment via les lost medias ou les lost waves. Je n’avais pas fait le rapprochement à la base, maintenant, je me dis que oui, effectivement, il y a quelque chose de cet ordre dans ces sons à l’origine inconnue.

Les espaces liminaux sont partout, si on sait comment regarder.

Bilan

L’ouvrage est à la fois très beau, très intéressant, et très inspirant, plongée et ouverture sur tout un univers fascinant que je n’ai, pour ma part, pas fini d’explorer. Que vous soyez là par curiosité ou par envie de pousser l’exploration plus loin, je ne peux que vous en conseiller la lecture.

Et ailleurs, qu’en pense-t-on ?

2 réflexions sur “Liminal : Les nouveaux espaces de l’angoisse, Quentin Boëton / ALT 236

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