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La ponctuation, sujet qui a peut-être traumatisé des générations d’écoliers et qui suscite souvent l’angoisse chez les jeunes auteurs : comment l’apprivoiser et la faire travailler, surtout, pour son texte ? Lionel sépare les intentions de l’auteur, l’usage qu’il ou elle en fait et les règles typographiques strictes ; Laurent modère un peu cette vue en insistant sur la liberté d’expression qu’elle offre – c’est presque l’empreinte digitale d’un écrivain. Mélanie (qu’on entendra davantage sur l’épisode suivant, qui portera plus précisément sur les dialogues) aborde des références anglophones pour situer les différences d’usage et les influences en français. (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S03E17 : Conseils de survie pour la ponctuation

(Transcription : Umanimo ; Relecture et corrections : Symphonie)

Vous écoutez Procrastination, Saison 3 Episode 17 : Conseils de survie pour la ponctuation

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Ça a l’air de rien, mettre des points, des virgules et des trucs comme ça, mais c’est malgré tout hyper important. On va parler de la manière dont ça s’utilise, pourquoi ça s’utilise. Et je pense, juste pour commencer, que la ponctuation recouvre deux dimensions qui sont presque orthogonales. D’un côté, il y a l’usage – ce qu’on en fait – et ensuite il y a la manière dont on l’utilise, qui s’appelle la typographie, donc il y a des règles sur la manière dont on met en page. On entend parfois dire : « ah, mais si je sais pas utiliser les règles typographiques correctement, est-ce qu’un éditeur va me bouler ? » pas nécessairement, mais c’est pas inutile de connaitre ces règles-là, parce que c’est simplement une marque de professionnalisme. Et il y a aussi, concernant l’usage, des règles, mais également un espace d’expression. Et c’est de ces règles-là et de l’expression qu’on peut éventuellement avoir dont on va parler dans cet épisode.

Laurent Genefort : Alors moi, en préambule, je trouve que c’est intéressant. C’est un truc qui m’intéresse, parce que la ponctuation c’est un élément qui est purement écrit. C’est quelque chose qu’on ne trouve pas dans l’oral, on en a pas besoin. C’est l’intonation qui fait la ponctuation, à l’oral. Mais on en a besoin à l’écrit, en fait. C’est la marque du temps dans la phrase écrite, c’est ça qui marque les périodes. Ça contient des connotations de ton aussi et ça impacte souvent le sens, c’est ça qui est encore plus intéressant. Donc en fait, c’est à tous les niveaux que ça joue et c’est pour ça que, pour moi, c’est un peu les empreintes digitales d’un écrivain, une ponctuation. Et ça se reconnait d’ailleurs. Il y en a qui en font presque un jeu de retrouver avec juste les marques de ponctuation quel était l’écrivain derrière. À quel point c’est important, en fait.

Pour rebondir sur ce que tu dis, sur « apprendre à ponctuer », je ne suis pas sûr que ça s’apprenne, je pense plus que ça s’intègre plutôt que ça s’apprend. En revanche ce qui s’apprend, c’est les règles. C’est un peu comme pour le reste du style. C’est-à-dire, il vaut mieux bien les connaitre. Après, on en fait ce qu’on veut et il ne faut pas être prisonnier d’une ponctuation rigide, mais je pense que le lecteur exigeant, lui, ne se trompe pas. Il sait reconnaitre quand c’est maitrisé ou pas. C’est comme pour le reste du style, il sait reconnaitre quand c’est maitrisé ou pas. Une ponctuation correcte c’est, comme tu disais, c’est un signe de respect parce qu’une ponctuation incohérente, comme une faute d’orthographe, peut perdre le lecteur, voire l’induire en erreur, puisqu’on peut changer le sens en changeant une ponctuation de place. L’exemple typique, c’est ce qui différencie un ogre d’un parent, par exemple. Un ogre dira : « On mange les enfants ! » ; un parent dira : « On mange, les enfants ! ».

[rires]

LD : Il y a l’équivalent en anglais. « Panda eats shoots and leaves ». Selon que vous mettiez la virgule, ça veut dire que le panda soit mange des plantes soit il vient et tire partout.

Je voudrais revenir sur ce que tu disais, la notion de temps dans la ponctuation parce que… je suis entièrement d’accord, mais je pense que c’est une notion souvent quand on parle de ça qui est parfois mal interprétée, mal comprise. La ponctuation souvent elle est uniquement ramenée à la dimension temporelle, à la dimension de la respiration. Je pense qu’elle découle… La ponctuation c’est une marque qui est sémantique avant toute chose, elle induit du sens, comme tu l’as justement dit, et de là, éventuellement, va découler une temporalité, un rythme, etc. Mais ça découle de la marque sémantique, de là où on met les coupures de sens, de là où on isole les propositions, de manière à comprendre ce qui se rapporte à quoi, qu’est-ce qui est une incise, et ça va donner un rythme. Mais ça découle du sens et pas l’inverse.

Et les règles, alors c’est toujours la même chose : « toujours bien connaitre le plan de la maison pour savoir où placer les charges » (copyright Elizabeth Vonarburg), mais il y a quand même des règles qui, à mon avis, peuvent être, je dirais pas mathématisées, mais clairement établies. Je ne suis pas entièrement d’accord sur le fait que ça ne s’apprend pas. Quand j’ai commencé, j’avais déjà un peu commencé la traduction et que je suis rentré à l’Atalante, Pierre Michaud[1] – qui s’occupait des traducteurs à l’époque – m’a renvoyé la première trad que j’avais faite pour la maison et m’avait appelé en me disant : « C’est pas mal, mais par contre t’es comme tous les jeunes, tu sais pas utiliser une virgule, mais c’est pas grave, tu vas apprendre ». Et je n’en étais pas à mon coup d’essai, j’avais déjà traduit des bouquins et je me suis rendu compte qu’effectivement, je ne savais pas utiliser une virgule. J’ai appris.

LG : Ça soulève plusieurs choses, ce que tu dis. D’abord, la ponctuation, ça a été une manière… Tout part de l’oral. Le langage il est d’abord oral, il n’est pas écrit à la base. Donc l’écrit s’est adapté à l’oral et a dû transcrire des choses de l’oral, notamment des connotations, des marques de temps, qui n’existaient pas, qui ne pouvaient pas exister juste dans l’alphabet. Mais c’est devenu un langage. C’est ça en fait ce qui s’est passé. C’est-à-dire que au début c’est juste informatif, de temps en temps connotatif, mais c’est de l’information juste pour coller à l’oral, en fait, pour retranscrire quelque chose de l’oral, mais au bout d’un moment, les écrivains s’en sont emparé et c’est devenu une partie très importante du style, c’est devenu un langage presque en soi. C’est là où il y a eu un travail du temps. Il n’y avait pas de jeu sur la ponctuation avant le XVIII/XIXe siècle. C’est quelque chose d’assez récent. Il a fallu que des écrivains s’approprient ces signes, comme on s’est approprié les mots, les phrases, etc. et au bout d’un moment, le langage écrit s’est mis à différer du langage parlé. Eh ben là, c’est un peu pareil. C’est-à-dire que la ponctuation a pris une importance dans l’écrit au point de faire partie intégrante de la prose. Comme tu dis, il y a des règles à apprendre.

Il y a des règles immuables et il y a des règles souples. Les règles immuables, elles sont très connues, c’est celles qu’on apprend à l’école. Le point marque la fin d’une phrase affirmative, les points d’interrogation et d’exclamation ne laissent pas d’ambigüité. Quand on met un point d’interrogation, c’est une question de toute façon et ça ne pourra être compris que comme ça. Il y a la gestion des espaces qui est une constante, pas une variable. Par exemple on mettra toujours une espace avant un point-virgule, un point d’exclamation, les deux points et le point d’interrogation.

LD : Avant les signes doubles, en fait.

LG : Avant les signes doubles. Alors que : un point, une virgule, une apostrophe, ça ne prend jamais d’espace. Donc il y a une gestion des espaces à apprendre, mais ça, bah voilà il faut l’apprendre. Et là, c’est l’école, c’est des règles scolaires, mais il y a des règles plus souples. Et c’est dans les règles plus souples que se trouve le style, justement. Et c’est ça qui est intéressant. Ce sont des ponctuations qui sont plus stylistiques, et en général, ce sont elles qui donnent le rythme et la scansion. C’est-à-dire : la virgule, les points de suspension, ou le point-virgule, etc. C’est pour ça que c’est très important (point d’exclamation) car ça donne des informations sur le ton utilisé, non seulement par un personnage en style direct – quand on est dans un dialogue –, mais aussi par le narrateur. Par exemple, quand vous êtes dans un récit en « il » et que vous mettez un point d’exclamation, ça a vachement de sens, parce que ça veut dire que, tout à coup, on va dire que l’auteur est là, quelque part. Il va imprimer sa marque d’auteur à travers une émotion qu’il fait passer dans un style à la troisième personne, donc ça impacte énormément. Mettre un point d’exclamation ou une ponctuation qui connote de l’émotion, dans un récit à la troisième personne, c’est comme de mettre le lecteur face à un conteur, face à quelqu’un qui… c’est comme une irruption de l’oral dans l’écrit. Ça a un sens.

Mélanie Fazi : J’ai une image tout de suite qui me vient de récits populaires, où on veut créer un effet de suspens ou autre : « et soudain (virgule) il se passe ceci (point d’exclamation) ». On a vraiment l’image de ce genre de choses.

LG : Ouais, exactement !

MF : À l’inverse, par exemple les romans behaviouristes[2] qui étaient vraiment très, très minimalistes et où on ne va absolument jamais avoir ça. Pour le coup, ça va être minimal : un point.

LG : Ouais, et d’ailleurs, dans les behaviouristes, il n’y a pas de jeu de ponctuation, c’est assez marrant. C’est un style qui se veut le plus neutre possible. Et dans le style le plus neutre possible, la ponctuation est neutre aussi, en fait.

Tout ça pour dire que, il existe une esthétique de la ponctuation. Je crois que c’est ça qui est le plus important à dire. Et de ce que j’ai à dire, ce serait juste ça, quasiment : c’est qu’il y a une esthétique de la ponctuation. Comme il n’y a pas de style neutre, il n’y a pas de ponctuation neutre. Et c’est pour ça que les écrivains sont pointilleux dessus. Dès Rabelais, hein ! Puisqu’on a des manuscrits de Rabelais où il annote, où il râle contre les imprimeurs – l’imprimeur étant l’éditeur – de l’époque, qui ne traduisaient pas ou qui rajoutaient des ponctuations ou qui lui en enlevaient, alors que non, ça fait partie du style, et c’est clair dans la grande période fin du XIXe, début XXe. C’est là que ça nait vraiment, qu’il y a vraiment la naissance et l’intégration définitive de la ponctuation dans le style. À mon avis. Notamment chez Proust et chez Céline qui sont pour moi les deux références là-dessus.

MF : J’ai un exemple qui me vient, c’est un peu de côté. Pour le coup, c’est en poésie de langue anglaise. Je pense tout de suite à Emily Dickinson. Quand on voit un poème d’Emily Dickinson, on sait que c’est elle tout de suite, parce que c’est complètement déstructuré, il y a des tirets en permanence. Il y a un jeu sur les tirets que je n’ai jamais vu ailleurs, ni en poésie ni quoi que ce soit.

LG : Ben chez Proust, chez Proust il y a beaucoup de tirets.

MF : Tu sais de qui il s’agit.

LG : Ben voilà, c’est un exemple typique. Alors, Proust il avait vraiment une ponctuation hors norme. C’est des phrases extrêmement longues, avec peu de coupes faibles, c’est-à-dire peu de virgules. Ou alors elles ne sont pas là où elles devraient être.

MF : On a vu un exercice à la fac où on nous apprend la ponctuation. Notre prof nous a donné des extraits dont il avait supprimé la ponctuation pour essayer de les remettre. On avait des choses comme Vincent Ravalec[3] qui avait un style assez relâché, du coup c’était des trucs un peu libres, on va dire. Et Proust, on nous a demandé de replacer les virgules chez Proust et on ne les a jamais mises au bon endroit.

LG : Ouais voilà.

MF : Elles n’étaient jamais là où Proust lui-même les avait mises.

LG : Proust, c’est surtout des tirets, des parenthèses. Avec des parenthèses des fois où les éléments entre parenthèses sont supérieurs aux éléments hors parenthèses. C’est-à-dire que les parenthèses sont plus longues que la phrase.

LD : Du coup, on pourrait peut-être dire un mot justement sur la technique de ces deux marques qui sont souvent, à mon avis, mal comprises, c’est-à-dire le tiret et la virgule. Juste quelques considérations techniques. Alors, le tiret en général, en français, l’usage le plus courant, c’est le tiret d’incise. C’est-à-dire c’est un genre de super parenthèse. Je schématise beaucoup. Il y a un usage qui est très fréquent en langue anglaise, qui l’est beaucoup moins en français, mais qui a été importé, c’est un usage de rupture. « Il fit ceci quand soudain… » et là on va mettre un tiret et cette rupture est naturelle en langue anglaise. Elle a été importée en France, j’avoue que je m’en sers aussi résolument, même si c’est plutôt un usage anglais.

MF : J’essaie de le désapprendre en traduction, mais oui c’est vrai qu’on finit par ne plus se rendre compte que ce n’est pas un usage normal en français.

LD : Moi, je trouve ça pratique. En trad’ je suis rigoureux là-dessus justement parce que ce n’est pas « moi », c’est la langue française. Quand j’écris par contre mes propres bouquins, j’y vais joyeusement parce que… voilà… Comme tu disais Laurent, ça fait partie de mon truc, mon empreinte digitale et c’est important de savoir que ce n’est pas un usage strictement francophone, et que donc, il faut l’utiliser avec parcimonie ou du moins faire attention, savoir ce qu’on en fait et savoir que le français a d’autres manières de rendre cet effet-là sans aucun problème.

LG : C’est une manière de découper la phrase, en même temps. C’est l’équivalent de ce que faisait Céline avec les points de suspension qui étaient pour lui une manière de scander, en fait. On appelait ça la clôture ouverte. Et en fait, les tirets, c’est aussi une forme de clôture ouverte pour moi. Et la différence avec la parenthèse, c’est que on peut ouvrir un tiret, mais mettre un point, et en fait le point est une clôture alors que la parenthèse on est obligé de la fermer.

LD : Oui, tout à fait.

LG : Une fois qu’on l’a ouverte, on est obligé de la fermer. Le tiret non. Si on met un point, ça ferme le tiret d’une certaine manière.

LD : Et selon les typographes, le point-virgule remplace le deuxième tiret d’incise, souvent. T’as pas besoin de refermer. Par contre, tu peux faire tiret virgule. Là, tu es obligé de le faire. Ce qui donne une transition rêvée – comme c’est bien fait tout ça – vers la virgule. Il y a des tas de sites qui vous disent très précisément comment la virgule s’emploie, mais le truc que je vois et que j’entends dire le plus souvent, c’est que la virgule est considérée comme… en gros si la phrase est trop longue, t’en mets une. Alors, c’est un peu plus rigoureux que ça. De manière très schématique pour moi, il y en a typiquement qui sont deux : il y a la virgule d’incise, c’est-à-dire j’insère une proposition dans une autre, et à ce moment-là, ça fonctionne comme les parenthèses, c’est-à-dire qu’une virgule ne vient pas sans une autre. Si j’ouvre une parenthèse, je suis obligé de la fermer, si je mets une incise, la virgule de début doit aller avec la virgule de fin. Soit je mets les deux, soit j’en mets pas. « La voiture, que j’ai acheté hier, était rouge » soit je mets une virgule avant et après « que j’ai acheté hier » soit j’en mets pas du tout. Après, il y a ce que je dirais – alors ce sont des termes techniques à moi, pas du tout du truc de grammairien rigoureux – il y a la virgule de logique ou la virgule de séquence : « j’ai fait X, Y et Z » on et une virgule entre X et Y. Mais à ce moment-là, évidemment, ça n’a pas un rôle de parenthèses, ça a un rôle de séquence. C’est comme tu disais, Laurent, c’est une coupure faible.

LG : Oui, oui, c’est ça. Les virgules, ça sépare les éléments, ça sépare les éléments d’une phrase, que ces éléments soient juxtaposés, coordonnés ou subordonnés. En fait c’est là où la virgule est, pas polysémique, mais en tout cas elle a plusieurs fonctions. C’est juste qu’elle marque la pause à l’oral. Alors déjà, elle donne le rythme à la phrase, mais c’est aussi pour ça que c’est souple et qu’une virgule, c’est facile de jouer dessus. C’est ça qui est intéressant avec ce… C’est le signe de ponctuation peut-être le plus facile à détourner, sur lequel on peut jouer et les règles sont souples. D’ailleurs, rien n’oblige vraiment à utiliser une virgule ou pas, en réalité. Sauf quand ça change le sens, à ce moment-là on est obligé, mais sinon il y a une grande latitude, en réalité. Moi qui joue beaucoup avec les virgules et avec les autres signes de ponctuation, quand il y a une correctrice ou un correcteur qui me fait sauter une virgule, eh bien non je la remets, parce que pour moi, c’est mon rythme et je peux le défendre. Sauf quand ça impacte le sens et à ce moment-là, c’est une faute, comme une faute d’orthographe.

LD : Oui, ça m’est arrivé aussi, en direction littéraire de proposer ce qui me semblait la ponctuation juste à des auteurs qui m’ont dit « non n’a pas la même sensibilité, moi c’est comme ça que je fais », OK très bien.

LG : En fait, il y a deux types d’actions, si on veut jouer sur la ponctuation. Il y a : la mettre ou non, et c’est une action, c’est un acte littéraire de mettre une ponctuation ou de choisir de ne pas la mettre. Par exemple limiter les ponctuations au strict minimum, c’est un indice de style assez littéraire en fait. C’est-à-dire que moins on en met, plus on est strict. Ça veut dire plus on resserre, plus on se dit « voilà, vous êtes dans un style strict, corseté ». Mais avec une omniprésence des ponctuations, ou le fait de les redoubler – par exemple mettre trois points d’exclamation, qui est un style un peu BD – c’est à manipuler avec précaution, je pense, parce qu’on peut vite sombrer dans le maniérisme. C’est pour ça que j’évite, personnellement, les ponctuations émotives, par exemple un point d’exclamation, suivi d’un point d’interrogation, suivi d’un point d’exclamation qu’on trouve aussi en BD, qui permet d’avoir une succession d’émotions très rapprochées, ça j’évite de le mettre. La richesse du style, elle est suffisamment grande pour pas avoir à surligner comme ça.

LD : Je pense de toute façon, de manière générale, c’est un truc qu’on a déjà un peu abordé en filigrane, mais que less is more. La concision, l’économie de moyens…

LG : Voilà, c’est ça.

LD : … ne fait juste que ressortir les marques. Et personnellement, je considère que je paye 500€ chaque point d’exclamation, chaque point de suspension.

LG : Oui, c’est une bonne manière de voir les choses, je trouve. Moi il m’arrive de supprimer des virgules d’incise, ce qui permet d’accélérer une phrase, même si ce n’est pas totalement correct d’un point de vue strictement grammatical, mais je n’en abuse pas, parce qu’évidemment c’est… comme tu dis « less is more » et le moins on l’utilise, mieux on l’utilise, parce qu’à ce moment-là, c’est la rareté qui souligne un effet.

Et le deuxième type d’action, c’est de déplacer la ponctuation. Par exemple, un point d’exclamation qu’on va mettre avant la conclusion de la phrase. Cela crée une sorte d’incise artificielle comme si l’émotion ne pouvait pas attendre pour sortir. Et là on va la mettre au milieu ou quasiment quand on veut… ou en tout cas dans des blocs de mots. Ou créer des points-virgules pour faire des listes qu’on devine interminables, etc. En fait on peut jouer sur beaucoup de choses.

Donc, il y a ça, et il y a un cas exceptionnel où la ponctuation prend son autonomie et devient un véritable langage, quasiment comme du morse, c’est le langage du vent dans La Horde du contrevent d’Alain Damasio qui est l’exemple récent le plus connu.

Juste quelques exemples, pour terminer cette première partie, de connotations par ponctuation. Par exemple : mettre un mot entre guillemets. Ça c’est l’équivalent de le surligner. C’est comme si on surlignait un mot, ou le ponctuer très fort à l’oral. Un autre exemple c’est : terminer par des points de suspension. Et là, la connotation, elle est très riche, elle varie en fonction du contexte. Il y a aussi : commencer une phrase par des points de suspension. Et là, on est quasiment comme dans un effet cinéma où on raccorde au milieu d’une scène. Donc là, la ponctuation, elle a une portée presque narrative. On peut digresser avec des tirets, comme tu le disais tout à l’heure. Enfin voilà, en fait il y en a plein. Il y a des tas de manières de créer des effets. Et là, pour le coup, la ponctuation elle a un rôle qui est réellement littéraire à ce moment-là.

LD : Tour d’horizon déjà assez vaste. Il y a un cas vraiment particulier qui est en général celui qui pose le plus de problème, c’est les dialogues, mais on va en parler à l’épisode d’après. Petite citation pour terminer, Laurent ?

LG : La citation de George Sand qui disait : « On a dit, le style c’est l’Homme, la ponctuation c’est encore plus l’Homme que le style ».

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !


[1] Note de Symphonie : selon les sources, je trouve soit « Michaud » soit « Michaut »

[2] « Pour être simple et compréhensible : l’écriture béhavioriste bannit les développements d’introspection psychologique des personnages romanesques. » https://max-obione.over-blog.com/article-vous-avez-dit-behaviorisme-80716207.html

[3] Ecrivain, réalisateur, scénariste et producteur français

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