Vous lisez Procrastination : S03E18 – Ponctuer les dialogues

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Les dialogues représentent certainement le contenu littéraire le plus difficile à ponctuer correctement, et cet épisode donnera toutes les bases pour se tirer d’affaire ! Mais pour commencer, Mélanie propose en lien avec l’épisode précédent un point de vue différent, plus intuitif sur la ponctuation. Ensuite, Lionel expose sommairement les deux grands types de ponctuation de dialogues (avec ou sans guillemets) et révèle sa vraie nature de grand inquisiteur en la matière. Peut-être devrait-il sortir plus souvent. Laurent, lui, alterne les deux et aborde les avantages et inconvénients des deux normes, avant de récapituler des conseils généraux d’usage sur tous ces petits signes vitaux. (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S03E18 : Ponctuer les dialogues

(Transcription : Umanimo ; Relecture et corrections : Symphonie)

Vous écoutez Procrastination, Saison 3 Episode 18 : Ponctuer les dialogues

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Ça fait le pendant de l’épisode précédent, parce que en général quand on parle de ponctuation, c’est souvent le sujet et le casse-tête qui bloque le plus souvent. J’avais fait quelques articles sur le sujet sur mon site, et ça fait partie des articles qui sont le plus consultés, donc c’est probablement le sujet qui marque. Mais avant ça, Mélanie, on t’a assez peu entendue parler sur l’épisode d’avant et, je ne dirais pas que tu nous regardais avec des yeux rêveurs pendant qu’on déballait de la technique, mais toi visiblement, tu n’en as pas besoin.

Mélanie Fazi : Je vous écoutais religieusement, c’est pas la même chose !

[rires]

MF : Je ne sais pas si vous avez entendu le silence religieux qui planait sur l’épisode. Ce qu’il y a c’est qu’en vous écoutant, j’étais d’accord avec tout ce qui a été dit. Il y a un certain nombre de choses où, en écoutant, je me disais : « Ah ben oui. ». Mais quand on a discuté en préparant l’épisode, je vous disais que la ponctuation était un sujet qui me laissait un petit peu, pas vraiment perplexe, mais c’est quelque chose… c’est pas réellement que j’y pense pas. J’ai eu un apprentissage, que ce soit à la fac, que ce soit à l’école, que ce soit même en traduisant où on m’a déjà fait remarquer que la place de certaines virgules n’était pas la bonne, des correcteurs m’ont déjà reprise. Il y a des choses que j’ai apprises, par exemple comme beaucoup de débutants j’ai abusé de points de suspension pour les effets de suspens, et on apprend au bout d’un moment que ça peut devenir ridicule ; on apprend à couper. J’ai appris que mettre là un point au lieu d’une virgule, ça fera un effet heurté et des choses comme ça. Dans un texte, au moment où je suis sur le texte, je vais penser que « ah là, tiens, je le sens plus comme ça que comme ça », mais je ne peux pas dire que j’ai une réflexion tellement sur la ponctuation, même si en fait quand je suis devant un texte et que je me demande pourquoi j’ai fait ça ou ça, ou quand je vous écoute parler, je me dis « ah ben oui, c’est exactement ça ». Mais c’est plus quelque chose que j’ai intégré, qui est un outil parmi d’autres au moment où j’écris et je ne m’arrête pas pour y réfléchir, je dirais.

LD : Alors, il y a un domaine – je fais aussi de la traduction – où l’anglais et le français sont assez différents, c’est la ponctuation des dialogues.

MF : Eh oui.

LD : Ben du coup, tu es aussi traductrice. C’est un point sur lequel l’anglais et le français différent pas mal, c’est la ponctuation des dialogues. Il y a deux systèmes qui sont assez souvent en usage dans l’édition, un système qui utilise des guillemets – les guillemets à chevrons, c’est-à-dire les guillemets à la française, comme deux signes inférieurs ou égal et deux signes supérieurs ou égal et non pas les guillemets à l’anglaise qui sont les apostrophes en l’air – et un système basé seulement avec des tirets.

Laurent Genefort : Des tirets cadratins.

LD : Des tirets cadratins, je pense que c’est important.

LG : Des tirets longs.

LD : Des tirets longs. Le cadratin – je crois qu’on l’a mentionné – c’est une unité de mesure venant de l’imprimerie jadis. C’est la taille maximum que peut occuper un caractère dans sa police de caractère. C’est un tiret long et fin.

MF : Un très, très gros tiret.

LD : Voilà. Donc, il y a ces deux modes là, typiquement, donc soit j’ouvre des guillemets au début du dialogue, je mets des tirets dans les répliques et puis je ferme les guillemets à la fin du dialogue, soit j’utilise que des tirets. Pour moi, il y a une différence fondamentale entre les deux et je suis un gros intégriste de la question.

MF : Nous t’écoutons.

LD : Ah non, mais il y a pas…

[rires]

LD : Non, c’est que je suis un gros intégriste de la question, parce que ça a l’air simple comme ça – d’ailleurs c’est souvent ce qu’on nous apprend à l’école – mais comment je fais quand il y a une didascalie, comment je fais quand j’ai de l’action qui vient s’intégrer dans le dialogue ? Ce que permet de faire un formatage avec les guillemets, c’est que je peux temporairement fermer les guillemets, mettre mon incise et rouvrir les guillemets ensuite[1] – c’est pour ça que j’en parlais tout à l’heure – c’est à peu près le système qu’utilise l’anglais, même s’ils sont beaucoup plus rigoureux, mais bon… en première approche, ça suffira, disons que ça marche à peu près pareil. L’intérêt c’est que je peux insérer la narration dans ma réplique, je n’ai pas besoin de revenir à la ligne. Le problème avec le formatage en tiret – ça me rend très malheureux quand je travaille pour des éditeurs qui imposent ce format-là – c’est que les incises deviennent beaucoup plus malaisées. Soit on est obligé d’utiliser des parenthèses.

MF : En traduction, beaucoup des parenthèses.

LD : Voilà. Moi, ça choque mon sens de l’esthétique. Après, j’ai des passions bizarres, mais voilà. Et l’autre truc, qui là pour le coup devient un vrai problème de sémantique, c’est que si jamais un interlocuteur intervient, je dois aller à la ligne, faire un nouveau tiret, une nouvelle réplique, et ça donne à penser que c’est un autre interlocuteur. Je ne suis pas en train de dire que ce système, on peut pas tout faire avec, mais pour moi, ça me parait beaucoup plus difficile. Souvent, on entend dire « ah, je préfère utiliser que des tirets de dialogue parce que ça me permet de mettre du rythme ». Rien n’empêche de mettre du rythme en utilisant des guillemets au début d’un dialogue.

MF : C’est intéressant, parce que moi spontanément j’utilise les tirets, un peu aussi par habitude parce que j’ai travaillé pour des éditeurs qui les utilisent, et pour moi, c’est tellement naturel que je suis vraiment très embarrassée quand on me demande de revenir aux guillemets. Pour moi le tiret, justement, c’est la forme, vraiment subjectivement, la plus naturelle possible du dialogue et tellement facile que je ne me pose même pas la question. C’est intéressant de voir les différences de perceptions et j’ai uniquement utilisé les guillemets quand des éditeurs me l’imposaient, notamment pour des traductions.

LD : Moi ça m’est arrivé sur des textes, des nouvelles à moi formatées avec les guillemets avec un rythme particulier que mon directeur d’ouvrage me dise « ah mais nous est formatés au tiret » et de leur dire « allez-y, convertissez le truc » et il est arrivé qu’ils me reviennent trois jours ou une semaine plus tard en me disant « finalement on va faire une exception pour vous » parce que ça changeait le truc. Ce n’était pas possible de retailler ça, parce que ça impliquait de rajouter des didascalies supplémentaires des « dit-il » des « dit-elle » parce qu’on savait plus qui causait. À mon humble avis, mais ça n’engage que moi – mais moi je suis un intégriste du formatage avec des guillemets, parce qu’on peut tout faire avec – alors qu’avec des tirets on ne peut pas tout faire, voilà !

[rires]

MF : Et là vous ne voyez pas les grands gestes de prédicateur de Lionel.

LD : Voi-là !

LG : Moi, je ne suis pas tellement d’accord. Moi je les ai utilisées toutes les deux selon mes éditeurs. C’est-à-dire que j’ai utilisé des tirets parce que c’était la règle au Fleuve Noir, là où j’ai commencé.

LD : Mais toi tu es un grand professionnel, tu sais tout faire !

[rires]

LG : J’ai utilisé… C’était la règle au Fleuve Noir, c’était la règle chez Bragelonne, et chez d’autres éditeurs chez qui j’ai été. Moi personnellement je trouve que les deux options ont des avantages et des inconvénients. C’est à nous finalement… ce sont des normes, ce sont de pures normes, on est dans du normatif. Et donc du coup, on peut jouer avec. On peut s’accommoder du truc. Moi par exemple, le fait que ce soit plus facile avec des tirets de mettre des dialogues, juste par le fait qu’on n’utilise qu’un seul signe typographique, c’est-à-dire le tiret. Dès qu’on passe aux guillemets, on a deux voire trois signes. Parce que quand on dit qu’on utilise les guillemets, en fait on n’utilise pas que des guillemets. On utilise les guillemets français pour ouvrir, après on utilise des tirets quand on change de dialogues, et à la fin on utilise les guillemets fermant pour fermer. Et même à l’intérieur, quand par exemple on est obligé de citer quelque chose, là on va utiliser des guillemets anglais à l’intérieur pour ne pas qu’ils soient confondus avec les guillemets français. C’est-à-dire qu’on peut utiliser jusqu’à trois signes de ponctuation différents. C’est là où c’est un peu plus compliqué avec les guillemets, mais aussi c’est aussi, c’est plus riche.

LD : C’est beaucoup plus compliqué à gérer, ne serait-ce que quand je mets une didascalie est-ce que je mets des guillemets ou pas ?

LG : Voilà, c’est moins facile d’insérer un non dialogue, en fait.

LD : Oui.

LG : Mais on peut tricher un peu. Moi par exemple, j’utilisais de temps en temps des parenthèses. C’était autorisé chez Bragelonne, ça. J’utilisais des parenthèses pour quitter très brièvement le dialogue.

MF : Oui, je l’ai fait énormément en traduction, ça.

LD : Et c’est un vrai problème de traduction, d’ailleurs, soit dit en passant, que tu dois rencontrer aussi. Moi, ça m’est arrivé en faisant des trad’ de l’anglais où tu utilises ces guillemets de manière très rigoureuse, passé en français, j’ai été obligé de rajouter des didascalies s’il y a un formatage en tiret. J’ai été obligé d’ajouter des « machin reprit » ou des « truc reprit » parce qu’il y avait des gros paragraphes de narration qui étaient dans le flux du dialogue dans la VO. Ça aurait juste fait grotesque en VF, et je n’aurais pas eu ce problème-là si j’avais utilisé des guillemets.

MF : Ça ne me choque pas, personnellement, justement, donc je ne me suis pas tellement posé la question dans ces termes.

LG : Ça dépend peut-être des auteurs que vous traduisez aussi.

LD : C’est peut-être moi qui suis juste un gros intégriste.

[rires]

LG : Non mais il ne faut pas avoir peur de l’être, hein, après tout. On a déjà déterminé que ça faisait partie du style. Eh bien voilà, un style n’a pas forcément à se justifier, il suffit qu’il soit là et qu’il fonctionne. Certains poditeurs peuvent se demander comment on peut gérer ça, comment se faire sa propre ponctuation stylée, on va dire. Je pense que se lire à haute voix, ça permet de vérifier ses ponctuations une fois qu’on a écrit. C’est une manière de se dire « j’en ai peut-être trop mis, je n’en ai peut-être pas… » et puis regarder le texte, parce qu’il ne faut pas oublier que c’est de l’écrit avant tout et un style où on trouve qu’il y a trop de virgules ça se voit d’une certaine manière. Et moi, c’est comme ça que je me rends compte. Quand je vois que j’ai mis trop de tirets, je regarde là où c’est vraiment utile.

MF : C’est trop haché, effectivement.

LG : Voilà, c’est trop haché, c’est trop systématique, du coup c’est comme si on utilisait toujours le même mot, quelque part.

MF : Sauf si justement, il y a un effet volontaire de scander.

LG : Voilà, sauf quand c’est volontaire. Là pour moi, le regard… il y a le fait de lire à haute voix, ça peut aider, mais il y a le fait de regarder son gris typographique, de regarder son texte graphiquement à quoi il ressemble. Si on voit qu’il y a quinze points d’exclamation dans la page, faut se poser la question « est-ce que ça correspond à ce que je veux transmettre, est-ce que de mettre tous les potards [?] au maximum sur l’exclamation, est-ce que dans ce cadre-là, ça marche ou pas ? Est-ce que ce n’est pas contreproductif de mettre des points d’exclamation à chaque fois qu’un personnage parle un peu fort ?

MF : C’est la question de l’adéquation avec le rythme d’un passage donné, un passage qui va être très, très contemplatif où justement on peut faire des phrases extrêmement longues ou au contraire une scène d’action qui va être très, très rapide et complètement brusquée, on va dire. On va avoir des points pour un personnage qui est en train de paniquer complètement, des phrases très, très courtes, ce genre de choses.

LD : On change effectivement totalement l’effet. Quand tu as un paragraphe d’action avec beaucoup d’actions successives, on peut en faire une seule et même phrase avec que des virgules ou alors on peut la hacher et l’effet n’a rien à voir. Pour une scène d’action, en effet, il vaut mieux hacher les trucs en phrases courtes et incisives parce que c’est ça qui va donner de l’impact et qui va retranscrire ce rythme haletant alors que sinon, ça va être beaucoup plus contemplatif, même si on parle de Jason Bourne qui regarde les voitures et tire dans les…

LG : Oui, mais bien sûr. Comme disait Céline, les ponctuations font partie de la petite musique du style. Je crois que le point important, pour moi, c’est que c’est quelque chose qui est graphique. Voilà, un point d’interrogation, ça a une forme dans un texte, ça a une forme arrondie, ça se reconnait tout de suite, et peut-être qu’instinctivement notre cerveau regarde dans la page avant même d’avoir lu le texte, il regarde les ponctuations ou en tout cas, il s’en imprègne et ça, ça fait la forme réellement graphique d’un style. Il n’y a pas que les mots, les ponctuations… et c’est d’autant plus important, moi je trouve, dans un texte que justement une ponctuation ne s’entend pas. C’est pas un mot, c’est quelque chose qui donne sa couleur au mot.

MF : Il y a aussi l’idée du point de suspension qui est dans cette idée de quelque chose d’interrompu ou de sous-entendu, ou il y a un point de suspension qui ouvre sur quelque chose qui n’est pas sur la page de manière générale, mais c’est très, très facile d’en abuser, par contre.

LG : Oui, et c’est très facile de confondre la connotation, en fait. Ça peut être une phrase interrompue, ça peut être une sorte de fin d’a parte que l’auteur adresse au lecteur. Ça peut être beaucoup de choses.

LD : Essayer d’éviter de trop abuser des points de suspension, c’est ça que je disais.

MF : On l’a tous fait en débutant.

LD : On l’a tous fait. Justement, c’est pour ça que je disais que je les payais cinq cents euros pièce, en tout cas j’ai toujours cette idée-là, parce que essayer de s’en abstenir permet d’aller chercher plus loin un style plus précis et c’est une excellente leçon, je trouve. Des fois – pas toujours ! – les points de suspension peuvent être une solution de facilité. Et tu te dis « si j’essaye de le remplacer et pour essayer de rendre cet effet-là » eh bien des fois tu fais mieux. Mais je suis tout à fait d’accord avec toi Laurent sur le fait que la ponctuation c’est graphique, c’est pour ça que, même si j’ai beaucoup d’outils numériques et que j’adore mes outils numériques, j’imprime toujours mes manuscrits pour avoir un autre support que l’écran et avoir une masse physique pour voir la page, ne serait-ce que voir comment elle est composée. Alors, elle ne sera pas composée comme dans le roman parce que la mise en page sera évidemment différente, mais ça donne cette idée de volume, d’espace, d’équilibre graphique qui est important et qui, là aussi, participe de l’empreinte digitale comme tu disais à l’épisode précédent.

LG : La citation ?

LD : La citation pour terminer.

MF : Citation de Terry Pratchett dans La Vérité : « Pour les citoyens d’Ankh-Morpork l’orthographe était pour ainsi dire en sus. Ils y croyaient comme ils croyaient à la ponctuation : peu importait où on la plaçait du moment qu’elle était là ».

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !


[1] [note de la transcriptrice : je rajouterais « sans aller à la ligne entre chaque » parce que c’est pas clair pour moi dans ce qu’il dit, même s’il le précise plus loin].

Une réflexion sur “Vous lisez Procrastination : S03E18 – Ponctuer les dialogues

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