
Les liens vers l’épisode S03E20 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin
Quatrième session de commentaires et questions-réponses des poditeurs et poditrices. Au programme :
- Créer un univers détaillé est-il un truc de rôliste ? (Laurent… ?)
- Est-ce qu’un univers imaginaire implique nécessairement des ressorts narratifs relevant de l’imaginaire ?
- Où un débutant peut-il ou elle publier des nouvelles ?
- Que fait-on des expressions historiquement référencées (sadique, manichéen, machiavélique…) dans un univers sans rapport culturel avec le nôtre ?
- Un mot sur les publications amatrices ou semi-professionnelles. (Blog de Lionel Davoust)
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
S03E20 : Retour des poditeurs #4 Le retour
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)
Vous écoutez Procrastination, Saison 3 Épisode 20 : Retour des poditeurs #4 Le retour
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Donc on continue à décompiler les missives et les commentaires qu’on a reçus, les questions qui ne nécessitent pas forcément, en tout cas nous semble-t-il en surface, un épisode entier. Merci à vous de tous vos retours ! Encore une fois, si vous voulez faire des commentaires, des retours, ou avez des interrogations, le meilleur endroit pour le faire, c’est sur le forum du site Elbakin.net qui nous diffuse et nous héberge bien gentiment, merci à eux, car le podcast n’existerait pas sans leur boulot.
Et donc un premier retour qui est plus un commentaire sur l’épisode 7 de cette saison, qui est Introduire un univers imaginaire, ça s’adresse plus à toi Laurent : « Je me reconnais trop dans ce qu’a dit Laurent sur les créateurs d’univers, mais je me demande si ce n’est pas un truc de rôliste[1], quand même. Dans la mesure où les univers de jeux de rôles ont tendance à être bien développés, ou au moins à offrir une base solide avec une atmosphère marquée, qu’une nette majorité de maîtres du jeu aiment avoir des univers étoffés ».
Tu joues aux jeux de rôles, Laurent ?
Laurent Genefort : Eh bien pas du tout.
LD : C’est bien ce qu’il me semblait.
LG : En fait, j’ai eu une mauvaise expérience avec le jeu de rôle quand j’étais gamin. À l’époque il y avait les MJC – les maisons pour les jeunes – j’allais à celle de Montreuil. Et j’étais entré, j’avais une douzaine d’années, je crois – à l’époque il n’y avait que Donjons et Dragons, c’était les débuts des jeux de rôles en France – et j’étais rentré dans une salle où il y avait des joueurs, et puis je me suis fait jeter [rires] parce que je troublais la séance. Je n’avais rien dit, mais ça m’avait marqué. Je n’avais pas trouvé ça cool, et du coup, j’ai loupé le coche. Mais bon, je n’aurais peut-être pas été écrivain ! Je serais peut-être maître de jeu… voilà… qui sait ?
Moi dans ma production, clairement, moi qui me définis presque plus comme un créateur d’univers que comme un écrivain, il y a clairement une dimension roliste. La différence est dans le fait que je cumule tous les rôles. Un roman, c’est à la fois un maître de jeu, c’est un joueur, c’est le personnage lui-même… c’est juste qu’on cumule un peu tous les rôles et qu’on a cette couche littéraire par-dessus. C’est le ciment de tout ça.
LD : Il y a beaucoup d’auteurs qui sont rôlistes et beaucoup de rôlistes qui sont devenus auteurs. Une grande partie de ce qu’on appelait « l’école française de la Fantasy » dans les années 2000 est arrivée du jeu de rôle. Je pense qu’il est important de mentionner en passant qu’une bonne partie de jeu de rôle ne fait pas nécessairement un bon roman, et inversement. Il y a des techniques qui sont effectivement voisines, ne serait-ce que l’agentivité des personnages qui est un terme très en vogue en ce moment dans le milieu, mais ça ne se transcrit pas nécessairement… Les outils et la grammaire des deux arts sont différentes, même si encore une fois, il y a des passerelles. On était intervenu avec notre camarade Julien Poire de Les Voix d’Altaride[2], et il y a des passerelles.
LG : On mettra le lien.
LD : On mettra le lien, tout à fait.
Toujours sur cet épisode, notre camarade Nico Balli[3] nous dit – question qui à mon avis est très intéressante sur les Américains, toutes les questions sont évidemment très intéressantes, mais celle-ci revient assez fréquemment, en tout cas c’est une discussion de fond qui flotte assez souvent – : « Les Américains nous disent souvent qu’un univers doit servir l’histoire, la thématique, et ne juste pas être un décor. Si un roman peut fonctionner dans le monde réel, alors il doit se passer dans le monde réel. Je ne suis pas d’accord. Qu’en pensez-vous ? ».
LG : Outch. Ben Mélanie, tiens ?
Mélanie Fazi : J’ai toujours du mal avec les « il faut », « il doit »… en fait, tout dépend.
LG : Pareil que toi.
MF : Oui, j’entends souvent définir la Science-Fiction comme quelque chose qui ne pourrait absolument pas se passer dans un autre décor. Oui, sans doute c’est plus intéressant comme ça, mais si le récit fonctionne tel quel – là, évidemment, je cherche un exemple que je ne trouve pas – je ne vois pas spécialement où est le problème en fait. Pour moi c’est vraiment une question d’envie de l’auteur et comment lui sent l’histoire à ce moment-là, et du moment qu’elle fonctionne…
LD : Ah, moi je suis un peu plus intégriste que vous. [Rires de Mélanie] C’est le thème depuis quelques épisodes, je peux raconter une histoire d’amour dans un décor de Science-Fiction, mais si je raconte ça dans un décor de Science-Fiction, ça doit être constitutif à un moment de l’histoire. Je n’irais pas jusqu’à dire que si je suis dans un univers Fantasy, il faut forcément un conflit central qui relève de la Fantasy, mais une part de moi se dit toujours : si c’est pour raconter une histoire d’amour entre quatre murs, qu’est-ce qu’on s’en fout qu’on est en 2050 ? Ces choses-là ne naissent pas indépendamment les unes des autres, l’histoire va influencer l’univers ou au moins elle est informée par l’univers, donc forcément si je suis dans un univers de Science-Fiction, ça va colorer les personnages et ça va colorer leur relation, donc c’est inévitable.
MF : Oui, en tout cas que ça résonne un minimum. L’exemple qui me vient, c’est un roman que moi je ne considère pas comme Science-Fiction, c’est Station Eleven de Emily St. John Mandel, qui est un roman post-apo dans le sens où ça se passe dans un décor après la fin de la civilisation, mais ce n’est pas du tout une histoire de Science-Fiction dans le sens où on s’en fout un peu des causes etc., par contre les personnages sont marqués par le fait d’avoir connu cette rupture. C’est un roman profondément psychologique, ce n’est pas du tout un roman qui s’interroge sur les causes ou sur les aspects je dirais « techniques », par contre il y a clairement un lien entre le décor… Beaucoup de gens se sont énervés contre ce roman en disant « ce n’est pas suffisamment réfléchi » mais il y a un lien, les personnages sont marqués par ce qui leur est arrivé.
LD : Pour moi la cause est entendue, c’est-à-dire cette histoire, ce roman et ces personnages, ne pourraient pas exister dans un autre contexte, donc on est bon.
LG : Moi je serais un peu… pas entre vous deux, mais il faut s’entendre sur ce qu’est la Science-Fiction en fait. Moi je pense que ce n’est pas obligatoire, je suis d’accord avec toi, il n’y a pas de « il faut », en revanche la Science-Fiction peut s’exercer sur autre chose que le décor, c’est ça en fait.
MF : Oui.
LD : Complètement.
LG : Donc le décor peut ne pas avoir d’importance, en revanche, au moins un élément doit être Science-Fiction, c’est ça en fait, il faut qu’il y en ait au moins un pour que ce soit de la Science-Fiction, mais ce n’est pas forcément le décor : le placement dans le temps…
MF : Oui, je suis assez d’accord.
LG : C’est juste ça. Et maintenant… non, pas forcément.
MF : C’est en ça que je disais précisément que ce roman pour moi n’était pas de la Science-Fiction, le décor mais pas les outils.
LG : De toute façon, moi je pense qu’il n’y a pas vraiment de problème, parce que souvent, ce qui est décrit – à partir du moment où on décrit une situation – c’est ce qui s’écarte par rapport à la norme. Si ce n’est pas important, on va très vite passer dessus, et le lecteur saura que ce n’est pas important, donc ce n’est pas très grave je dirais comme…
LD : Juste pour ne pas paraître trop intégriste, pour moi à la limite la question n’a finalement pas d’objet, puisque les personnages sont les produits de leur monde, et ça va servir l’histoire, donc ils ne pourraient pas exister sans le monde qui leur a donné naissance, donc si c’est un monde de Science-Fiction ça va forcément colorer ce qu’ils sont et ça va forcément colorer l’intrigue, donc ça va avec. S’il n’y a pas de rapport et qu’il y a une déconnexion totale entre les personnages, l’intrigue, et l’univers, là je m’interroge, pour moi il y a un truc qui ne va pas fonctionner, tout simplement.
Question qui nous a été posée sur l’épisode de la nouvelle – mais de manière générale, qui porte de façon plus vaste – : « Concernant les débutants et amateurs, dans quelle(s) revue(s) peuvent-il espérer être publier ? Bifrost, Présence d’Esprit, Etherval etc. Et est-ce que c’est une bonne porte d’entrée dans le monde de l’édition ? »
LG : Moi je pense que oui, tout ça en fait, il faut essayer partout. Je sais qu’il y a une demande.
LD : Oui, c’est vrai.
LG : Il y a eu un éditorial d’Olivier Girard qui se plaignait de ne pas recevoir assez de textes. En général, c’est l’inverse.
MF : Je crois que [pas compris, Mélanie et Laurent parlent en même temps] disait la même chose.
LD : Olivier Girard, rédacteur en chef de Bifrost.
LG : Voilà, de Bifrost. Donc, oui, clairement, et puis même, évidemment que c’est une porte d’entrée. Tout ce qui est revues à comité de lecture est une porte d’entrée.
LD : Pour moi, c’est même une excellente porte d’entrée, parce que ça veut dire que dans ces revues, on est aussi en compétition avec parfois les plus grands auteurs traduits des autres langues, et c’est très bien, héhé !
LG : Comme Bifrost, Galaxie, Présence d’Esprit etc.
MF : Puis c’est une carte de visite dans le sens où – là je parle d’expérience personnelle – ça permet d’être vu par des éditeurs qui voient passer votre nom, et qui ensuite éventuellement seront intéressés par les livres que vous pourrez leur proposer derrière.
LD : Je ne sais pas si c’est sous-jacent dans la question et mes excuses à la personne qui l’a posée si ce n’est pas du tout le cas et que je plaque des trucs, disons que je m’en sers pour élargir. J’ai l’impression que derrière peut aussi se tapir la connotation de « je ne suis pas connu, on ne va pas me prendre, on ne va pas me publier ». Ça n’est pas comme ça – en tout cas dans le milieu des littératures de l’Imaginaire – que l’édition fonctionne. Si vous avez un bon texte, un bon texte est un bon texte, point barre, et il n’y en n’a pas assez. Donc, si vous arrivez avec un bon texte… Enfin, il n’y en n’a pas assez… ou alors il y en a trop, ça dépend comment vous vous placez. Mais les bons textes intéressent les éditeurs, et inversement un pro, s’il sort un mauvais texte, il n’apparaît pas forcément en édition. Donc il n’y a aucune revue, à ma connaissance, qui ait un appel à textes libre, qui en sous-main et de manière clandestine, refuserait les débutants, ça n’existe pas.
MF : Je pense qu’en général ils sont même plutôt contents quand ils tombent sur un nouvel auteur, parce qu’ils sont les premiers à le découvrir. Quand on sent qu’il y a un potentiel derrière, ils sont absolument ravis.
LD : Je dirigeais une revue[4] il y a quinze ans, tu te dis dans ces trucs-là : c’est cool, je sers à quelque chose. Déjà, je suis content de pouvoir présenter cet auteur-là, quand tu diriges une revue, c’est aussi parce que tu as envie de présenter des auteurs, et on se dit aussi : c’est cool, je fais aussi quelque part mon rôle culturel de passeur, donc je suis content. Par contre, c’est vrai que la concurrence est rude parce que les exigences sont hautes, mais n’est-ce pas tout ce que l’on espère ?
Question générale : « En fait, les auteurs de fiction font-ils attention aux expressions anachroniques, comme : machiavélique, sadique, manichéen et autres, quand ils font parler leurs personnages ? Et d’ailleurs, comment on disait avant l’auteur du prince, le marquis et le prophète Manès, ou dans des lieux où leurs noms n’ont pas influencé le vocabulaire ? » [rires de Laurent] Alors, ça, je ne sais pas.
MF : Alors ça, c’est casse-gueule. J’ai souvent en traduction, je me suis aperçue d’ailleurs que les auteurs que je traduis, de temps en temps ne font pas spécialement attention à ça d’ailleurs, ou décident ouvertement qu’ils s’en foutent. Mais c’est compliqué, parce qu’il y a beaucoup de mots qu’on a intégrés, on finit par ne plus se poser la question de la racine du mot. [rires] J’avoue que je n’ai pas tellement de solution pour ça, à part apprendre à se poser la question régulièrement.
LG : Moi je suis en train d’écrire une uchronie, alors je suis à fond plongé dedans. En tout cas, pour les dialogues directs, je fais très attention. J’ai des dictionnaires étymologiques qui me montrent quand ça… Alors ça, c’est facile de vérifier la naissance d’un mot, parce que c’est attesté, donc ça c’est facile. Vous googlez le mot sur Google avec étymologie à côté, ou sinon vous allez sur le Grand Robert, et vous avez l’année à laquelle c’est apparu dans le premier texte.
LD : C’est aussi présent dans les outils numériques type Trésor de la langue française informatisé[5].
LG : Exactement, moi c’est ce que j’utilise aussi. Donc je fais attention dans les dialogues, c’est là que c’est important. Dans la narration elle-même, pas forcément, on peut utiliser… Parce que là pour le coup c’est un narrateur, c’est quelqu’un qui est extérieur…
MF : Tout dépend du type de narration, justement.
LG : Oui, voilà.
MF : À la première personne, c’est plus compliqué.
LG : Parce que ça devient une sorte de personnage de l’histoire.
MF : Voilà.
LD : Même si tu es à la troisième personne, ça dépend dans ta narration de la distance que tu as avec les personnages, mais si tu es assez serré… Par exemple, dans ma série de Fantasy Les Dieux Sauvages, j’ai un personnage qui parle comme une charretière, même dans sa narration, j’ai un ton beaucoup plus libre et lâché parce que c’est son point de vue. Mais après, la distance on la place où on veut.
Oui, je pense que de manière générale c’est quelque chose à laquelle on fait gaffe, parce qu’encore une fois, ça participe de l’immersion dans le texte.
LG : Oui, voilà, c’est la cohérence interne.
LD : À mon avis – c’est comme tu disais, Mélanie – il n’y a pas de règle toute faite, ça fait partie de la prestidigitation et de l’illusion de la réalité en littérature, tant qu’on ne fait pas quelque chose dont on pense que ça va faire en sortir le lecteur, on peut y aller, sinon on fait gaffe.
« Machiavélique » ça ne va pas marcher, « sadique », même chose, « manichéen », je pense que les gens connaissent un peu moins le prophète Manès que le prince… donc ça dépend. Je crois que c’est Pierre Bordage dans L’enjomineur qui a fait extrêmement attention à n’utiliser que du vocabulaire qui était en vigueur à l’époque du récit.
Un retour sur l’épisode La première fois. Donc, parlant de l’épisode : « Qu’il est intéressant » – Merci ! – « mais surtout parce que je ne me retrouve pas du tout dans les débutants hypothétiques que vous décrivez. Entre le débutant qui n’a jamais publié et le pro reconnu comme tel par la profession, il y a les limbes du fanzinat et des antho semi professionnels. »
Alors, on n’en a peut-être pas parlé…
LG : Oui, mais ça ne veut pas dire qu’on le renie…
LD : Tout à fait, au contraire, moi j’ai commencé dans le fanzinat, les webzines etc., donc je ne renie absolument pas ces choses-là. Et effectivement en plus, on parlait de portes d’entrée dans l’édition, on est dans une époque où il y a de plus en plus de petits éditeurs qui proposent des anthologies thématiques et qui sont là aussi de bons tremplins. C’est des choses qui existaient beaucoup moins il y a vingt ans. Il y a peut-être moins de grandes revues – Fiction a disparu, par exemple – à large diffusion comme ça, Mythologica a connu malheureusement une vie courte etc. Par contre, ces anthologies semi-pro, à ma connaissance ça n’existait pas il y a vingt ans.
LG : Non, non.
LD : Donc ben, tant mieux.
On en a encore pour la prochaine fois, mais on va s’arrêter là. Petite citation pour terminer ?
LG : Une citation d’Ernest Hemingway : « Nous sommes tous des apprentis dans un artisanat où nul ne devient jamais maître ». J’allais dire « prêtre » [rires]
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez prêcher !
[1] Joueur de jeu de rôle.
[2] Les Voix d’Altaride, podcast https://www.cendrones.fr
[3] Désolée pour l’orthographe des noms, je ne suis pas parvenue à trouver les questions originales (Symphonie)
[4] La revue Asphodale, Lionel en a dirigé 5 numéros entre 2002 et 2003.
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