
S04E01 : S’inspirer des autres médias
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)
Les liens vers l’épisode S04E01 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin
Bienvenue à Estelle Faye qui rejoint l’équipe de l’émission ! Pour entamer cette saison, une réflexion sur la pollinisation croisée entre les médias narratifs (roman vis-à-vis du cinéma, théâtre, manga, jeu de rôle, jeu vidéo…). Mélanie (qui a des expériences en manga, écriture de pièces radiophoniques et chansons) s’en réjouit, car cela contribue à la richesse de l’inspiration. Lionel approuve, avec l’avertissement que les grammaires narratives sont différentes (en utilisant les exemples du jeu – de rôle, et vidéo). Estelle, également scénariste, livre précisément en quoi, notamment à travers sa propre expérience d’adaptation d’un de ses propres livres vers le scénario, en balayant les contraintes que cela implique, notamment par rapport à la temporalité. (Blog de Lionel Davoust)
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
Vous écoutez Procrastination, Saison 4 Épisode 01 :
S’inspirer des autres médias
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Estelle Faye, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Bienvenue pour cette saison 4 de Procrastination, et bienvenue Estelle ! Estelle Faye qui prend la place de Laurent Genefort pour les saisons à venir. Alors avant que Internet ne s’enflamme, nous sommes toujours très copains avec Laurent, hein, il n’y a absolument aucun problème. C’est juste que Laurent n’est plus à Paris, n’est plus facilement disponible pour faire des enregistrements en présentiel, car nous enregistrons le podcast en présence, c’est pour ça que des fois vous entendez parfois l’écho de la pièce, même si je fais mon possible pour le nettoyer, et pour nous, c’est important pour garder une discussion naturelle d’enregistrer tous les trois en présence.
Donc bienvenue à Estelle Faye ! Merci d’avoir accepté de nous rejoindre dans cette aventure hautement déraisonnable. Pour dire très rapidement, on est aussi très content que tu nous rejoignes. Tu apportes d’autres approches évidemment, en plus de ton expérience d’autrice, tu as également écrit pour la jeunesse, ce que Mélanie et moi n’avons pas du tout fait dans d’autres genres. Et également tu as été comédienne et tu es scénariste, ce qui va nous apporter des tas de points de vue complémentaires, pour parler notamment, entre autres, du sujet d’aujourd’hui, c’est à dire s’inspirer des autres médias.
C’est un peu un truisme de dire ça, on baigne dans un monde bombardé de narration, et elle est plus facile d’accès qu’elle ne l’a jamais été – avec la vidéo à la demande, les services type Netflix L’imaginaire est également présent dans beaucoup d’autres médias : films, cinéma et jeux vidéo, jeux de rôle. Et parfois, c’est des questions qu’on entend ou que l’on voit arriver. C’est : quelle leçon on peut retirer des autres médias narratifs ou ne pas en retirer ? Comment tout cela s’hybride, se pollinise ou ne se pollinise pas, éventuellement.
Et même peut-être, on pourra aussi également aborder : qu’est-ce qu’on peut retirer des autres pratiques artistiques qui ne sont pas forcément narratives – peinture, dessin, musique, que sais-je encore ? Notre société est globalement transmédia, c’est encore plus présent dans le cas de l’Imaginaire. Comment ça influe l’écriture romanesque ? Est-ce qu’il y a des passerelles ? Est-ce que on peut en apprendre des trucs ou est-ce que au contraire, il faut se mettre la main sur les oreilles et faire « la la la ! j’entends rien ! » ?
Mélanie Fazi : En fait il y a deux questions différentes, pour moi. La question des autres pratiques sur laquelle on a chacun touché à des médias différents, et la question de ce qu’on peut tirer des autres médias narratifs, où pour le coup, je ne vois pas, dans l’absolu, où serait le mal à s’inspirer et à la limite, j’ai envie dire : tant mieux. C’est peut-être un peu monotone si on reste uniquement sur… S’inspirer d’un média pour ne faire que ce média-là, je trouve ça beaucoup plus riche d’aller chercher ailleurs.
Je ne me suis jamais cachée que mon inspiration n’est jamais, quasiment jamais, la littérature, c’est presque toujours la musique, c’est presque toujours l’image, les films ou autres, et je trouve intéressant cette espèce de forme de synesthésie dans l’inspiration de voir quelque chose. Et moi, l’idée qu’une chanson fasse naître en moi des images, qu’une image fasse naître une histoire, je trouve ça passionnant. Je trouve ça peut être moins… J’allais dire monotone. Non, pas monotone. On a chacun son fonctionnement par rapport à l’inspiration, mais je trouve que ça s’enrichit beaucoup.
LD : J’aime beaucoup le terme « synesthésique » que tu emploies, parce que pour moi, c’est exactement ça, y compris pour la musique. J’ai un peu le même fonctionnement que toi. Nous en parlâmes jadis, au fil des ans, le côté… une musique te fait naître une ambiance, mais quelque part, cette façon dont ça t’a parlé ne parlera qu’à toi. La référence – et c’est très bien – la référence te parle de cette façon-là.
Je suis d’accord avec le fait que ce serait dommage de ne pas s’inspirer de ce qui nous entoure, par contre, je pense qu’il y a un truc important à mettre tout de suite en avant, à mon sens – et là, justement, Estelle tu as une expérience de scénariste, tu pourras peut-être plus nous en parler –, c’est que tous les médias narratifs peuvent avoir des passerelles, mais que les codes narratifs sont extrêmement différents et qu’on ne fait pas, on ne peut pas faire du film avec un livre, ou alors, on peut peut-être retranscrire une forme d’impression, mais on va le faire avec la grammaire du livre.
Estelle Faye : Oui complètement, parce que comme vous disiez depuis le début, il y a le média, les musiques ou les histoires qu’on va voir en film, ce qu’elles vont nous inspirer, et je sais que moi, dans mon expérience d’autrice, je vais souvent beaucoup plus m’inspirer, comme Mélanie, d’autre chose que le livre, parce que je vais peut-être avoir un rapport à une inspiration plus organique qui va venir de là. Alors que quand je lis un livre en tant que lectrice, je suis dedans, at après, en tant qu’autrice, je vais beaucoup plus analyser comment ça fonctionne pour enrichir ma pratique littéraire, alors que quand je vois un film, quand j’écoute une musique, je suis juste dans le moment, je suis juste dans l’histoire, il va y avoir une inspiration beaucoup plus immédiate. Donc ça, c’est pour l’inspiration.
Et après, il y a la pratique et paradoxalement, alors que j’ai fait une école de scénario, j’ai écrit du théâtre bien avant d’écrire des romans, et on dit que j’ai une écriture très visuelle souvent, bah là, rien que cette année, j’ai écrit le scénario d’adaptation d’un de mes romans, qui est un de ceux qui sont dits les plus visuels, et je me suis rendu compte – mais ça, je le savais déjà, mais là, vraiment, j’ai eu l’expérience –, ça ne fonctionne absolument pas pareil.
C’est à dire que ce qui va paraître visuel et immédiat dans un roman, si on essaie de le transcrire tel quel dans un scénario, dans un film, ça ne fonctionne pas. Déjà parce que par exemple, dans le roman, on est beaucoup dans la peau des personnages, alors que dans les films, on est toujours extérieur. Même les films en caméra portée, c’est une fausse intériorité, en fait, qu’ils recréent. Donc déjà, il y a cette distance. Si on veut effacer cette distance dans le film, dans le scénario, il va falloir utiliser plein d’artifices qui ne jouent pas dans le roman. Et puis dans le film, il y a plein de couches qui vont venir en plus du scénario. Il y a évidemment le tournage, mais aussi le montage qui est très important et enfin, pour balayer beaucoup trop rapidement les contraintes, il y a aussi une temporalité qui est complètement différente.
C’est à dire qu’un film, c’est 1h30 à 2h30. Une pièce de théâtre, on peut la tirer jusqu’à 4h30 si on a un public qui est vraiment très, très motivé. Après, il y a encore la série, mais qui fonctionne vraiment différemment aussi. Donc de toute manière, le temps qu’on passe sur une action est toujours plus long paradoxalement dans une œuvre audiovisuelle que dans un roman. Donc va être perçu différemment le temps dans un film ou dans une œuvre audiovisuelle par un spectateur que par un lecteur. Et ça, il faut aussi le garder en tête. Donc la temporalité avec laquelle on joue, le rythme avec lequel on joue, est vraiment différent dans le roman et dans le film.
Et une des grandes impasses qu’on pourra avoir surtout de nos jours, où l’Imaginaire fonctionne vraiment dans plein de médias, et est notamment très représenté dans l’audiovisuel – pas en France, hélas – c’est de vouloir retranscrire quelque part ce qu’on voit sur écran dans un livre, alors que les filtres qui nous permettent d’avoir une émotion sur écran et les filtres qui nous permettent d’avoir une émotion dans un livre sont radicalement différents. Après, par contre, travailler ces filtres-là – et par exemple, travailler donc sur une adaptation d’un de mes propres livres, ça m’a appris beaucoup de choses, parce que justement creuser ces différences, voir ce qu’elles nous apportent dans chacun des médiums, c’est vraiment intéressant.
MF : Je vais rebondir sur la temporalité, moi je n’ai pas du tout d’expérience avec le cinéma. En fait, mes expériences d’autres médias ont été… J’ai écrit une pièce radiophonique, j’ai écrit des paroles de chansons et j’ai eu un projet de scénario de manga qui n’a pas abouti. Et justement, j’avais été très surprise dans le travail sur le manga par le fait que la temporalité n’était pas la même, c’est-à-dire que ce qui était prévu pour une série en trois volumes – donc une histoire qui prenait un peu son temps pour se poser – ce n’était pas plus long qu’une nouvelle. Et que par exemple, en manga, on pouvait avoir des pages entières où l’action était un peu aérée. J’avais une scène où un personnage traversait une rue la nuit, sur un skateboard ou quelque chose comme ça, et j’avais conçu la scène un peu visuellement. C’était deux phrases dans le scénario, et c’était censé occuper 3-4 pages. Il y avait une respiration qui était pas du tout la même.
Et effectivement, ce que j’ai appris de chacun des médias différents, c’est qu’à chaque fois, la façon on aborde l’histoire n’est pas la même, parce que les moyens ne sont pas les mêmes, que le langage pense beaucoup en images, beaucoup plus que… Alors pourtant, je pense que j’ai une imagination très visuelle, mais ce n’était pas de la même manière.
La pièce radiophonique qu’il fallait penser en son et en dialogues avant tout, parce que je n’avais pas le recours à l’image ou aux descriptions, et les chansons c’était encore beaucoup plus compliqué, et j’ai été surprise à quel point la narration en chanson ne fonctionne pas comme… On débarque en disant « c’est bon, je maîtrise un peu le truc. Ah ben non, en fait, il faut tout réapprendre ». On casse tout, on recommence et on réapprend des choses. Mais ce que j’ai appris dans ces médias-là n’est pas transposable à la fiction telle que je la pratique par contre. Je me suis rendu compte à chaque fois, il y a un langage qui est spécifique, et ça ne se transpose pas.
LD : Tu as des passerelles. Le truc qu’on voit fréquemment dans la culture populaire aussi, c’est le truc classique de se dire « j’ai vécu une partie de jeu de rôle qui était juste énorme, je vais en faire un bouquin », en général ça ne marche pas terrible. De la même manière qu’un bon bouquin ne fait pas forcément un bon univers de jeu de rôle.
J’ai un pied dans le jeu de rôle et dans le jeu vidéo, et un truc qui est important dans ces médias-là, c’est qu’avant tout, ce sont des médias qui sont vécus pour être ludiques, c’est des jeux, c’est-à-dire qu’on donne une expérience à vivre et à s’approprier. Alors, bien sûr, on s’approprie la littérature, on s’approprie la fiction – la littérature encore plus, parce qu’il y a forcément un effort de projection, d’intellectualisation, donc on en fait ses propres images et son propre ressenti – mais le jeu vidéo, le jeu de rôle, est fait pour au moins donner une illusion de liberté dans le dénouement. On dit dans le jeu vidéo : quand on donne un gameplay, on donne à vivre une expérience. Alors oui, un livre est aussi une expérience, mais cette appropriation, elle est constitutive du jeu. On a la boîte à outils, on a le bac à sable, et on va en faire quelque chose.
Je ne dis pas par-là que l’un est supérieur à l’autre ni rien, absolument pas. C’est juste qu’un média narratif est là pour proposer une histoire à composer, une expérience, où on va être guidé par un ou des auteurs – ou une équipe dans le cas du cinéma ou de la série télé –, dans le jeu vidéo et dans le jeu de rôle, ça s’apparente plus au bac de Lego.
Et ce n’est pas du tout le même genre d’expérience. Les grammaires sont extrêmement différentes, puisque de base, dans le jeu de rôle ou le jeu vidéo, le créateur ou la créatrice de ces jeux-là va devoir accepter une part plus grande encore que dans la littérature d’abandon, sur son œuvre et sur son travail, qui va consister à dire : « je vous donne ça, faites-en ce que vous voulez, vous allez peut-être en faire un truc qui n’a strictement rien à voir avec ce que j’en avais voulu ». Mais dans les médias plus narratifs, c’est : « donnez-moi une histoire, emmenez-moi » plus que dans le jeu où c’est : « donnez-moi des pièces pour que je m’emmène moi-même », quelque part.
Mais par contre, sur la transcription des grammaires ou les passerelles qu’on peut établir – j’ai l’impression que c’est un peu ce que tu abordais, Mélanie – derrière, c’est presque une expérience quelque part de traduction.
MF : Oui, complètement. Mais c’est ça qui – en tout cas pour moi – est motivant, c’est justement une expérience qui est quelque chose de tellement intangible, moi, c’est ça qui me motive. Avec les outils dont je dispose, comment je peux rendre ça, qui, à priori, n’est pas faisable ? C’est parce que ça paraît ne pas être faisable, que ça m’intéresse.
EF : Deux choses par rapport à ce qu’a été dit. Sur ce que m’a apporté personnellement l’expérience d’écrire sur la même histoire, un scénario après un roman. Donc, comme il y a cette temporalité différente, quand je me suis attelée au scénario, forcément, il y a beaucoup de choses qui allaient disparaître, qui allaient être coupées, qui n’allaient plus exister. Donc ça m’a vraiment poussée à me poser la question : qu’est ce qui est essentiel pour moi dans ce roman ? Ça m’a vraiment poussée à me demander quel est l’ADN de mon roman, à quoi je ne peux absolument pas renoncer sans trahir l’histoire, et qu’est ce qui, malgré toutes les transformations que je vais amener à cette histoire… Parce que les péripéties vont être complètement différentes, parce que les images vont être complètement différentes. Par exemple, en roman, on est souvent – en tout cas, pour moi –, complètement immergés dans un univers qui est en trois dimensions, même en quatre, où on fait sa propre histoire, alors que dans un film, on est devant un univers le plus souvent deux dimensions. Donc les images même ne fonctionnent pas pareil. Bref, tout ça pour dire que ça m’a vraiment poussée, encore plus qu’avant, à savoir quel était l’ADN de mon histoire, à me poser des questions dessus et à me concentrer dessus.
Et ça, c’est une expérience qui m’aide même maintenant pour l’écriture des romans sur lesquels j’ai en train de travailler. Donc de passer avec la même histoire du scénario au roman ou du roman au scénario, je trouve que ça peut être très formateur. Après, en sachant bien que justement, on ne fait pas la même chose.
MF : En apprenant ce qui peut être sacrifié, ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est absolument pas.
EF : Ce n’est pas forcément un sacrifice, parce que c’est plutôt écrire les choses différemment. Et par exemple, sur un roman qui s’appelle La Voie des Oracles, qui a des scènes de visions dans le livre. Normalement, des visions on se dit que c’est très simple, on transpose au cinéma, ça marche pareil. Non, parce que les visions dans le livre jouent vraiment encore une fois sur cet univers multidimensionnel, où il y a aussi mine de rien, le vent, le froid, les émotions du personnage qu’on voit vraiment de l’intérieur qui jouent beaucoup. Là où, au contraire, pour avoir la même impression en scénario, on a joué sur des images beaucoup plus fortes, beaucoup plus percutantes, d’emblée, beaucoup plus allusives aussi, parce que pour moi…
Tu parlais tout à l’heure de la liberté qui est plus grande dans le jeu que dans le roman, pour le coup, quand on est à la place du spectateur, pour moi, on a une liberté moindre en tant que spectateur de film qu’en tant que lecteur. Parce qu’en tant que lecteur, mine de rien, on se construit beaucoup de choses du personnage dans sa tête, alors que le cinéma nous impose beaucoup plus de choses à l’image d’emblée.
MF : On peut jouer sur des choses un peu plus suggestives. J’ai un exemple qui me vient – je sais qu’Estelle aussi est fan de Clive Barker, qui est Hellraiser[1], sur lequel on a déjà beaucoup discuté. J’ai traduit la novella qui a donné le film et j’étais frappée à quel point c’était différent sur certains points, notamment l’ouverture du livre qui est un truc complètement allusif. On fait allusion à une dimension mystérieuse, on ne comprend rien à ce qui est décrit, mais c’est hyper poétique, c’est génial, c’est allusif. Et ça ne se retrouve pas dans le film, parce que je pense, c’est impossible à traduire. Le film a une autre esthétique, mais déjà, ce passage, on le lit, on se dit ça, c’est la littérature, on ne peut pas faire ça en film du tout.
EF : C’est possible de faire de l’allusif dans un film, encore une fois, en faisant différemment de la manière dont on le fait dans les romans.
MF : Voilà.
EF : Un super bon exemple pour moi – je sais que ce n’est pas un film qui fait l’unanimité, mais je trouve que le côté allusif et évocateur est hyper bien rendu dedans – c’est le Dune[2] de David Lynch. Où mine de rien, les visions dans le Dune de David Lynch sont hyper bien rendues, parce que justement, il n’a pas essayé de faire du copier-coller de passages du livre, mais il a vraiment fait ce dans quoi il est le meilleur – parce que bon, c’est David Lynch, quoi – c’est-à-dire des images à la fois évocatrices, qui sont très précises sur un certain niveau symbolique, et qui en même temps laissent une grande liberté d’interprétation aux spectateurs. Et pour moi, vraiment, si on veut parler d’adaptation, une des très bonnes pistes je trouve à suivre pour rendre de la liberté aux spectateurs, c’est clairement ce qu’a fait David Lynch dans Dune.
LD : Alors, la genèse est un peu différente, mais ce que tu me dis me fait penser aussi à 2001 l’Odyssée de l’Espace[3], inspiré d’une nouvelle de [Arthur C.] Clarke – La sentinelle[4], si mes souvenirs sont bons, parce qu’après il y a eu une réadaptation en roman[5] que Clarke a faite –, le film est hyper allusif, et si on veut comprendre exactement où est ce que ça voulait en venir, le texte de Clarke explique où ça va.
MF : C’est vrai que ce que je disais sur le fait que ça ne peut pas être transposé, si, mais pas avec les mêmes outils. Parce que vous me citez Lynch et effectivement 2001, c’est l’exemple de comment ça peut marcher au cinéma.
EF : Et après aussi, ça peut être complètement complémentaire. Là, je pense à l’œuvre de [Alejandro] Jodorowsky[6]. Quand on voit ce qu’il fait au cinéma, comment il joue sur des images très fortes, très « coups de poing », alors que quand il est en roman, il va dans des trucs beaucoup plus baroques, dans une sorte d’énorme logorrhée verbale qui part dans tous les sens, qui est pleine de couleurs, qui est pleine de mots, et c’est le même univers, mais vu de manière différente aussi.
LD : C’est intéressant, effectivement quand tu as des créateurs qui travaillent les deux médias, parce qu’effectivement, Jodorowsky au cinéma, c’est ultra symbolique et presque très abscons en fait.
EF : Ce n’est pas forcément moins symbolique, en roman, il faut être honnête, mais pour moi, ça va beaucoup plus à des choses qui se déploient complètement dans plein de direction, qui se recoupent, qui sont vraiment très, très incarnées, là où au cinéma, il va y avoir une certaine distance par moments avec les images.
LD : Tes souvenirs sont peut-être plus récents que les miens, Jodorowsky dans son cinéma, j’ai souvenir de films presque muets, alors qu’à travers la littérature, forcément, tu as l’outil du langage qui intellectualise tout de suite beaucoup plus.
EF : Je pense que c’est quelque chose sur lequel on reviendra peut-être dans un autre épisode, mais une des choses que m’a appris le scénario, par exemple, c’est à écrire sans mettre de dialogue forcément, ou en mettant très peu de dialogue, parce que l’une des choses qui m’intéressent au cinéma, c’est comment faire passer un maximum de choses par l’image, parce que pour moi, le cinéma c’est avant tout un médium d’images. Et donc comment réduire les dialogues à la portion congrue. Après, je ne dis pas du tout qu’il faut réduire les dialogues à la portion congrue en littérature, mais s’atteler à ça, voir comment ça peut fonctionner, c’est un très bon exercice, je trouve.
LD : Eh bien, c’est une parfaite transition pour l’épisode suivant, ma foi. Petite citation pour terminer ?
MF : Oui, petite citation de Wayne Gerard Trotman qui nous dit : « Ce qui ne me tue pas me donne de quoi écrire ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !
[1] La nouvelle The Hellbound Heart (1986), a été adaptée par son propre auteur, Clive Barker, avec un premier film sorti en 1987. Les suites sont des scénarios originaux (plus ou moins réussies…), que Barker n’a pas réalisées.
[2] Film sorti en 1984, première adaptation du roman Dune (1965), de Frank Herbert. Une nouvelle adaptation est sortie en 2021, qui va également adapter d’autres tomes du cycle.
[3] Film de Stanley Kubrick (1968)
[4] Nouvelle publiée en 1951.
[5] Publié en 1968 en VO et en VF.
[6] Réalisateur, scénariste de bande dessinée, écrivain etc. d’origine chilienne.
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