
S04E04 – Les clichés
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)
Les liens vers l’épisode S04E04 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin
L’attribution de « cliché » à une œuvre est probablement l’une des critiques les plus sévères que l’on puisse faire à son encontre, et l’une des plus grandes consternations pour son auteur. Comment éviter de tomber dedans ? Lionel avance une différence avec le concept d’archétype ; Estelle la prolonge en ajoutant la notion de contexte historique et culturel. Mélanie explore ce qu’on peut en tirer, et comment elle se relie à l’originalité personnelle évoquée dans l’épisode précédent. (Blog de Lionel Davoust)
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
Vous écoutez Procrastination, Saison 4 Épisode 04 :
Les clichés
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Estelle Faye, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Le cliché, c’est censément être le truc très mal qu’il faut éviter, mais on va donc exactement parler de cette notion. C’est quoi ? Comment s’en tirer le cas échéant si j’ai mis le pied dedans ? Et est-ce que c’est sale ? Déjà, qu’est-ce que c’est, un cliché ? Est-ce qu’on peut définir la chose ?
Mélanie Fazi : C’est une vaste question. Je me suis aperçue qu’en fait, en réfléchissant à ça, je cherchais une bonne utilisation de clichés, je suis tombée sur des archétypes, et je me suis rendu compte que la différence entre clichés et archétypes pour moi n’était pas si claire que ça. Si ce n’est que le cliché, je le voyais comme quelque chose qu’on fait par facilité et qui sonne faux, en fait.
LD : Je suis assez d’accord avec toi. Je pense que c’est Robin Hobb qui disait à un moment en table ronde – il me semble que c’est elle – qu’un cliché, c’est un archétype qui a mal tourné. Je dirais qu’un archétype, c’est un motif fondamental qu’on peut finalement tracer aux anciens mythes et à la nature humaine, même fondamentale ; le cliché, c’est une implémentation qui est devenue schématique. Et je channel mon Laurent Genefort intérieur, si je puis oser le faire, mais pour moi, j’ai l’impression que c’est quand la fonction prend le pas sur le sens.
C’est-à-dire, quand on n’y réfléchit plus, on déroule le schéma et finalement, ça écrase l’univers narratif en écrasant le sens, on ne réfléchit pas à l’implémentation de cette figure, de ce motif, de cet archétype, on en fait quelque chose sur lequel on ne pense pas et on le déroule tel quel.
Estelle Faye : J’irai même peut-être un peu plus loin, c’est-à-dire par rapport à l’archétype qui est porteur vraiment d’universel et d’une histoire qui nous dépasse, le cliché – en tout cas, très clairement pour moi, un cliché c’est négatif, donc en prenant vraiment le côté négatif – le cliché, c’est une figure qu’on ne questionne pas. Ou en tout cas, que beaucoup de gens ne questionnent pas, et qui est très limité justement par la pensée d’une époque, d’une culture et qui n’a pas cette valeur d’universel qu’a l’archétype.
LD : Exactement.
EF : Par exemple, le cliché de la blonde aux gros seins en bikini d’armure.
MF : Au hasard.
EF : Que j’espère nous commençons à dépasser.
LD : Je pense qu’on est d’accord. Mais alors du coup, quelque part, le cliché c’est mal, mais alors l’archétype, on peut en tirer des choses ?
MF : En fait, tout dépend la façon de l’utiliser. Et en cherchant un exemple de cliché où j’ai finalement trouvé un archétype, je pensais par exemple à une histoire comme Harry Potter qui recycle je pense ce qui est devenu un des pires clichés de la Fantasy, c’est l’enfant de la prophétie, le héros attribué parce qu’une prophétie a écrit que. Ce qui en soit, commence à être quand même assez usé et assez pénible. Et ça fonctionne parce que tout ce qui est autour est beaucoup plus vivant, et tout ce qui est autour, finalement, va chercher ailleurs dans des choses un peu plus vraies et un peu moins archétypales, et ça finit par former un ensemble qui fait que cette idée-là fonctionne dans ce cadre-là, parce que tous les personnages et tous les motifs de l’histoire ne sont pas des clichés à ce niveau-là.
LD : C’est marrant, parce que ça rejoint finalement ce qu’on disait sur l’épisode sur l’originalité, dans l’archétype, il y a une résonance très profonde et très ancienne. On en a un peu parlé de loin en loin, au cours du podcast, l’expérience humaine est quand même basée, même si nous sommes tous différents, il y a un certain nombre d’expériences et d’aspirations qui sont fondamentalement communes : rester en vie, tisser des liens sociaux, d’une manière ou d’une autre, se réaliser, être en sécurité, ce genre de choses. Et après, ça va s’exprimer d’une infinité de façons. Mais l’archétype, quelque part, il va se greffer sur ces impulsions très profondes – sans cette fois-ci, canaliser mon quart de [pas compris le nom] intérieur –, ces motifs-là sont des choses qui sont très profondes, et c’est là-dedans que va taper l’archétype. Et dans l’archétype, il y a une forme de vérité très ancestrale et très ancienne, mais le cliché l’habille du schéma.
L’intérêt de l’archétype, c’est quelque part une rencontre entre ce motif ancien et le rapport qu’on a soi-même, et sa propre authenticité, avec l’archétype. Et là, on peut en faire quelque chose d’intéressant.
MF : En fait, par rapport à ça, je réfléchissais à ma propre expérience, par rapport à des clichés qu’on a pu me faire remarquer dans des textes, et les quelques fois où vraiment, de manière flagrante, je suis tombée sur des clichés, c’était parce qu’il y a des choses que je n’arrivais pas à écrire ou que je n’arrivais pas à concevoir. C’était par difficulté justement d’aller puiser dans une forme de vérité. Et je pense à un texte en particulier où je devais mettre en scène une famille – on va dire une vie de famille ordinaire – et c’est tellement loin de mes préoccupations, de mes centres d’intérêt dans la vie, tellement quelque chose qui ne m’intéresse pas, que je n’arrive même pas à m’y projeter. Un bêta-lecteur à qui j’ai fait lire le texte m’a dit : « Non, le texte ne fonctionne pas pour plein de raisons, mais entre autres, les personnages sont des clichés ». Et je me suis rendu compte que j’ai voulu mettre en scène des personnages que je ne comprends tellement pas, que je me suis rabattue sur des choses que j’avais lues ou vues dans des fictions, que j’avais mal digérées et mal recrachées, mais que je n’étais pas allée chercher dans quelque chose de justement, d’universel ou de vécu ou quelque chose de profond.
EF : Clairement, j’ai l’impression que le cliché vient aussi quand on parle de quelque chose qu’on ne connaît pas et sur lequel on ne prend même pas la peine de se renseigner. Par exemple, c’est quand on voit des artistes ou des réalisateurs de milieux disons, très favorisés, qui vont mettre en scène des pauvres, ou des agriculteurs, ou ce qu’ils considèrent comme des pauvres, et qui souvent vont faire des caricatures qui ressemblent à aucun agriculteur réel, par exemple. Je ne dis pas qu’il faut forcément avoir tout vécu pour le rendre bien, mais par contre se renseigner un minimum pour justement ne pas être dans le cliché, c’est quand même un peu la base de notre boulot. J’ai l’impression en tout cas une des bases.
Après, il y a quand même des choses à faire avec le cliché. Parce que si le cliché ne dit rien d’universel, par contre il va dire quelque chose de l’époque dans laquelle il est, de la culture qu’il fait naître, et très souvent, oui aussi, des pires tendances de cette culture. Mais mine de rien, ça dit quelque chose aussi, et le cliché ce qu’on peut en faire après dans vraiment un certain style de littérature ou de cinéma ou d’histoires, c’est justement le questionner, c’est le démonter, c’est le prendre à rebours. C’est par exemple ce que fait The Boys[1] avec les clichés du super héros. Alors, le comics est génial, je n’ai pas pu voir la série, mais vraiment, on peut donc prendre des personnages pour le coup qui sont vraiment les clichés du genre et les démonter, les dynamiter complètement de l’intérieur. Ou c’est ce que fait par exemple Alexandre Aja avec Piranha[2], où là il prend tous les clichés du film du film de spring break américain qui tourne au film d’horreur, et il le démonte complètement en en profitant pour faire bouffer plein de gens au passage.
LD : C’est toujours bien.
EF : Donc il y a un côté très jouissif à ça si on est dans ce genre de cinéma. Mais c’est cette idée que justement et en même temps, ça critique un certain cinéma, ça prend du recul par rapport à une certaine vision de la société. Donc il y a ça qu’on peut faire avec le cliché aussi. Ou par exemple questionner la place que prend le cliché dans une culture, c’est ce que fait Cabin in the Wood[3] aussi au cinéma…
MF : Oui, très bon exemple !
EF : … qui reprend tous les clichés du cinéma d’horreur et qui les met dans un contexte qui nous pousse nous, à nous questionner sur notre propre rapport de spectateurs par rapport à ce cinéma-là, justement en jouant sur les clichés.
Mais encore une fois, pour que ça marche, il faut bien qu’on se rendre compte qu’un cliché est limité et qu’on va vraiment prendre cet aspect-là en compte.
MF : En fait, c’est avoir conscience qu’on est en train d’utiliser un cliché, avoir un recul sur lui, et ne pas l’utiliser au premier degré.
EF : C’est même plus que ça pour moi, c’est vraiment prendre un cliché pour le questionner, pour questionner la culture qui l’a fait naître.
MF : Ce qui sous-entend déjà d’avoir conscience qu’on utilise un cliché. Je sais quand je bute sur des bouquins, par exemple je sens que quelque chose ne marche pas et que c’est vraiment un cliché, je sens que l’auteur n’a même pas conscience de ce qu’il est en train de faire, en fait.
EF : Voilà. Alors ça, après il y a deux choses : nous, en tant que lecteur ou spectateur ou tout ça, et après, dans notre travail d’autrice ou d’auteur comment se questionner, se questionner toujours au maximum sur ce qu’on est en train de faire. Je pense que c’est une évolution, de toute manière on ne peut jamais dire qu’on est forcément libéré de tous les clichés.
Par exemple, quelque chose que je ne voyais pas au début quand j’écrivais mes livres et c’est vraiment mes lectrices surtout qui m’ont aidée à m’en rendre compte, c’est que mine de rien, je tombais dans un cliché ou un travers hélas hyper commun d’un certain nombre de romans et de films dans l’Imaginaire, qui est le personnage de femme hyper badass, donc hyper forte, mais qui vit dans un monde entièrement composé d’hommes ou presque, et autour d’elle, il n’y avait que des mecs. Et je trouvais déjà que « Ouais, je suis une femme, elle est forte et tout » sauf qu’elle vit dans un monde où il n’y a que des mecs, quoi. Voilà.
Et quand même, c’est un cliché, mais j’avais tellement vécu dans cette culture-là, j’en étais tellement imprégnée, que même moi je ne le questionnais pas. Et je trouve qu’une des forces, notamment de la jeune génération qui arrive de lectrices que j’ai, qui ont autour de vingt/trente ans, même un peu plus jeunes ou un peu plus âgées parfois, elles sont en questionnement de beaucoup de clichés, peut-être plus que moi, certainement même plus que moi je l’étais à leur âge, et ça m’apprend beaucoup.
MF : Oui, je pense plus qu’on était notre génération… Moi, j’ai eu un apprentissage justement de reconnaissance que certaines choses étaient des clichés, mais qui a été vraiment sur le temps, avec ce qu’on apprend en vivant finalement. Et il y a beaucoup de choses qu’on a découvert sur le tard, sur les clichés sexistes, des clichés même… J’ai déjà utilisé des images qui étaient limite raciste et je ne m’en rendais pas compte sur le moment, des choses comme ça. Il y a beaucoup même de clichés que je vois avec le recul et sur le moment on était dedans. Et effectivement, la génération maintenant est beaucoup plus au fait de tout ça.
LD : Heureusement, les mœurs évoluent et il y a aussi le fait que ce qui n’était pas considéré comme un cliché ou qui était même totalement considéré comme tolérable, ne serait-ce qu’il y a vingt ans, c’est assez intéressant. Un exercice d’ailleurs qui avait un peu tourné sur la toile, regarder Friends aujourd’hui alors que c’était hyper à la mode il y a vingt ans, etc., c’est un exercice qui fait grimacer, des fois, quand même. Donc ne serait-ce qu’en vingt ans, les choses évoluent.
Je pense qu’il ne faut pas baisser les bras sur le fait de se dire « ah, ce que je vais écrire sera forcément un cliché dans vingt ans », ça rejoint un peu notre discussion sur l’authenticité et la sincérité. C’est difficile de s’extirper du cliché. Je pense que la première base doit essayer de nourrir toujours une curiosité, un intérêt sincère pour le sujet qu’on traite, et une forme d’humilité, notamment quand on est… Moi, je parle du point de vue du mâle blanc, cis, hétérosexuel et c’est assez facile de de faire un peu n’importe quoi sans trop faire gaffe, parce qu’on ne questionne pas forcément ce point de vue-là. Un peu de parano bien placée peut être salutaire, me semble-t-il.
MF : Il y a une chose qui peut être très utile sur les clichés, précisément parce qu’ils sont liés à une vision du monde ou un questionnement qui n’est pas poussé assez loin, c’est en faisant lire le texte à d’autres personnes et à des personnes des fois ayant justement un point de vue très différent du nôtre. Et c’est souvent ce regard extérieur qui peut mettre le doigt sur quelque chose que nous on n’a pas vu parce qu’étant pris dedans.
EF : Oui, puis bêtement aussi faire lire le texte à des personnes qui sont beaucoup plus dans la situation de nos personnages que nous. Bêtement, Porcelaine – mon premier roman paru en deuxième qui se passe en Chine ancienne –, je l’ai fait lire à des étudiantes Chinoises sur Paris – parce que par contre, je n’ai pas pu aller en Chine, notamment pour des raisons de budget, parce que les cultureux, ça ne gagne pas beaucoup – mais vraiment, l’idée c’est que justement, elles pointaient du doigt quelques réactions qu’avaient mes personnages, qui n’étaient pas des réactions de cette culture-là, qui étaient des réactions de ma culture, qui étaient des réactions de Française du XXIᵉ siècle habitant en banlieue Parisienne. Et elles m’ont expliqué pourquoi dans cette culture-là, cette réaction-là n’était pas possible. Et en plus je trouve, à fortiori dans les littératures où on est, qui sont pleins de dialogues, pleins de festivals, on rencontre plein de gens, plein de choses qui bougent sur Internet, aller vers des gens, leur dire « eh, au fait est-ce que tu peux me donner un coup de main là-dessus ? », en général… Enfin, je ne sais pas pour vous, dans votre expérience, mais on est toujours hyper bien reçus, donc allons-y !
LD : Tout à fait !
EF : Enfin, voilà, c’est…
LD : Complètement, que ce soit dans la traduction ou dans l’écriture, envoyez un mail à quelqu’un en disant « écoutez, je veux parler de tel sujet, mais vous êtes un ou une experte, et vous en parlerez mieux que moi, et j’aimerais servir convenablement ce sujet » sera toujours accueilli un bras ouvert, il ne faut pas avoir peur de le faire, bien sûr.
EF : En France, pendant les études littéraires notamment, j’ai quand même été biberonnée à une vision très solitaire de l’écrivain dans sa tour d’ivoire avec l’inspiration qui vient le visiter de très haut. Sauf que pour moi, ce n’est pas un boulot solitaire, au contraire, c’est un boulot où on va vers les autres, on se nourrit de tout ce que les autres nous apportent, que ce soient les autres œuvres ou les gens avec qui on discute. Et une des manières… pas forcément d’éviter complètement le cliché, après ce que c’est possible aussi ? Il faut aussi reconnaître ses limites. Mais c’est de se dire que – en tout cas, une des manières peut-être de pousser les choses un peu plus loin, de faire des choses peut-être un peu plus libres justement de ce cliché parce que aussi, quand on parle justement de ces enjeux-là, j’entends souvent des mots très négatifs, tu parlais de parano, par exemple. Donc on parle d’éviter des choses, alors que pour moi, avant tout, quand même, c’est quelque chose de très positif ce mouvement-là, c’est une libération de l’imaginaire qui se libère des clichés. Voilà, c’est quand même à la base un mouvement avant tout positif, et s’ouvrir aux autres c’est cool, surtout dans l’Imaginaire, on veut faire vivre des personnages qui ne sont pas nous.
LD : Quand je dis « parano » – c’est pour ça que je parlais de parano saine –, ça fait référence à un truc qui, à mon avis, est important, en tout cas, de mon point de vue, c’est le fameux « Check your privilege ». Et d’ailleurs, c’est intéressant je trouve, que en fait, on a cette discussion autour des clichés, et très vite, on arrive sur des valeurs rétrogrades ou progressistes, et quelque part, ça reflète aussi notre époque. Et je trouve ça très bien que finalement, la discussion du cliché arrive très, très vite sur ce terrain-là.
Je pense qu’il… Alors, ce n’est absolument pas pour contredire ce qui vient d’être dit, mais pour aussi rappeler qu’on écrit de la fiction et on peut aussi, dans la fiction, traiter des problèmes ou aborder des conceptions du monde qui peuvent être considérées toxiques ou néfastes. Ce que je veux dire par là, c’est que tous les personnages ne sont pas tenus d’avoir une morale irréprochable, ce qui serait un cliché en soi et qui pourrait être l’extrémité à laquelle on pourrait arriver.
Par contre, à mon sens – en tout cas c’est ma vision des choses et je pense que tout le monde ne la partage pas, mais je m’en fous, c’est la mienne – je pense que, quand on écrit de la fiction, on a toute liberté en fiction – c’est peut-être un sujet dont on pourra parler –, mais les valeurs et le discours que l’on véhicule à travers la fiction sont une haute responsabilité de la part de l’auteur.
La fiction, globalement – en tout cas, de mon point de vue –, je trouve qu’elle devrait essayer de véhiculer des choses qui cherchent globalement à essayer de faire un peu progresser le monde dans un sens plutôt positif, même si notre impact est évidemment extrêmement, extrêmement mineur. Mais on a la chance de pouvoir écrire et d’être lu, et je trouve qu’il y a une certaine responsabilité dans les valeurs qu’on véhicule à travers globalement l’intégralité de ce que raconte notre fiction. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas avoir des personnages qui sont des enfoirés ou des personnages qui sont ambiguës, ou des personnages qui sont perdus, ou des personnages qui véhiculent des choses avec lesquelles notre morale personnelle est en désaccord, mais la manière dont ça va être traité, la manière dont ça va être justifié – ou pas justement – est importante.
EF : Alors, si je peux juste revenir sur un truc, parce que là, je suis à peu près tout à fait d’accord – et puis si on ne croit pas que les mots, que les histoires qu’on raconte ont un impact sur le monde, je pense que [pas compris] notre boulot, sinon on n’est pas assez payé [rires] –, mais quand même une impasse dont il faut aussi se garder, je pense, c’est de glorifier notre époque par rapport aux époques passées.
Quand on voit notamment l’histoire des cultures populaires, et donc l’histoire du cinéma de genre – que, personnellement, j’adore, je pense que vous vous rendrez compte que c’est une de mes grosses sources d’inspiration – et mine de rien, une des grosses sources de ma réflexion, c’est que très souvent, le cinéma de genre, justement en ne cherchant pas à faire des grands concepts ou autres, s’est libéré de certains clichés ou a été progressiste presque sans le montrer, bien plus tôt que finalement un cinéma plus d’auteur ou plus film à oscar ou ce genre de choses.
Par exemple, je parlais d’Alien[4] dans l’épisode précédent. Alien, quand même, c’est un casting ou à la base, les rôles n’étaient pas écrits pour des hommes et des femmes, et ils ont été distribués après à des hommes ou des femmes, mais Ripley dans Alien, c’est un personnage qui n’est pas écrit pour une femme spécialement et qui est joué par une femme. Et ça déjà, c’est une énorme avancée dans la représentation des personnages masculins ou féminins au cinéma. Et c’est le cinéma de genre qui a permis ça.
Les enjeux sociaux aussi. Par exemple, il y a dans des films comme Street Trash[5], qui à la base, est un film où des clodos explosent dans des énormes explosions de couleur malsaine, mais qui mine de rien, fait partie de tout un cinéma qui donne une place prépondérante à des petites gens, à des marginaux, à des exclus, qui sont à cette époque pas du tout représentés de la même manière dans le cinéma plus – comment dire – joli, bien médiatisé ou plus acceptable. Et même encore maintenant, très souvent, les exclus, les petites gens, vont avoir des vrais rôles dans un cinéma populaire, dans un cinéma de genre, et ils ne seront pas réduits au cliché dans certains cinémas d’auteur mal pensés, par exemple.
Il y a de très jolies choses très bien aussi dans le cinéma d’auteur, mais juste, quand c’est par exemple une invasion de rats mutant à New York, et qu’il y a les habitants d’un immeuble – là, je ne me souviens plus du titre, désolée[6] – mais qui doivent lutter contre ça, c’est avant tout des personnages qui sont vus comme des gens en train de se battre pour survivre, et pas juste comme « ah là là, c’est des pauvres, on va les plaindre ». Leur pauvreté, leurs conditions de vie ne sont pas niées pour autant, mais ils ne sont pas réduits simplement à ça. Ils ont un vrai statut de personnage, là où trop souvent… Par exemple, les agriculteurs d’un film récent que je ne citerai pas, sont vues uniquement comme des clichés d’agriculteurs qui, en gros, au XXIᵉ siècle, vivent comme un cliché d’année 50.
Donc ne pas oublier aussi, que mine de rien, il y a des choses qui bougeaient déjà dans les cultures de genre, dans les cultures populaires, à une époque où les cultures plus générales, plus propres si on peut dire, ou plus acceptables, bougeaient beaucoup moins vite.
LD : Petite citation pour terminer ?
MF : Citation de Douglas Wood, qui nous dit : « je préfère lire une histoire mal structurée avec des idées neuves, qu’une histoire bien structurée avec des clichés ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !
[1] Série de comics de Garth Ennis et Darick Robertson, qui a une adaptation en série sur Prime Vidéo depuis 2019, attention, public averti.
[2] Comédie horrifique assez gore (2010)
[3] Film d’horreur de Drew Goddard (2012) (l’un de mes préférés – Symphonie)
[4] Film de Science-Fiction horrifique (1979) de Ridley Scott, qui sera suivi par plusieurs autres films
[5] Film d’Horreur (1987) de J. Michael Muro. Si vous êtes curieuxses, faites gaffe, c’est assez trash comme son nom l’indique, même si en soit, il y a peu de sang (Symphonie)
[6] Mulberry Street (2006), de Jim Mickle (Information prise sur le site de Lionel Davoust)
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