
S04E08 : Ce qui se passe en festival
(Transcription : Symphonie)
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Cette semaine, lever de rideau sur les coulisses des événements littéraires : que se passe-t-il de l’autre côté de la table, et quels en sont les atouts professionnels (… mais pas seulement) ?
Mélanie invite d’abord à réfléchir sur la distinction salon / festival, puis parle des publics des salons spécialisés et généralistes. Lionel insiste sur le rôle de découverte joués par les festivals auprès du grand public, surtout pour les genres de l’imaginaire au sens large. Estelle insiste sur la curiosité très forte dans ces milieux, ainsi que sur la passion et l’ouverture qui y sont sensibles, qu’il s’agisse des auteurs, éditeurs, blogueurs, et surtout lecteurs. (Blog de Lionel Davoust)
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
(A noter que cet épisode n’a pas pu bénéficier de relecture par une tierce personne. N’hésitez pas à me signaler toute erreur ou contresens)
Vous écoutez Procrastination, Saison 4 Episode 08 :
Ce qui se passe en festival
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Estelle Faye, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Vous avez peut-être publié votre premier livre, auquel cas félicitations ! Et on peut vous inviter à un événement littéraire, un salon, un festival. On pensait que ça pouvait être intéressant, ou peut-être même pour les lecteurs simplement curieux, de savoir ce qui se passe derrière les coulisses. En gros, comment ça se passe un festival littéraire ?
Alors, une petite note préliminaire en disant qu’on va parler là des festivals et des salons littéraires, par opposition au modèle des conventions. Alors on a des conventions en France, des conventions nationales et d’autres, mais c’est quand même plus une spécificité du monde anglo-américain, puisque les conventions sont en général des événements qui sont organisés par les fans ou les spécialistes, et qui s’adressent plutôt aux fans ou aux spécialistes. Alors que les salons littéraires et les festivals sont en général des événements plus grand public qui peuvent avoir une volonté associative, mais il peut également y avoir une volonté publique derrière, avec par exemple une municipalité qui va porter un événement ou qui va, du moins, y contribuer beaucoup.
Donc, on va parler de ce modèle-là, qui est quand même assez français, semble-t-il. Alors, qu’est-ce que c’est ? Et pourquoi on y va ?
Mélanie Fazi : Parce qu’il y a des lecteurs, il y a des livres, c’est trop bien !
LD : Voilà, c’était Procrastination, merci de nous avoir suivis !
MF : Et après on va au bar !
[rires]
Estelle Faye : Et il y a du café parfois ! Souvent. C’est cool !
[rires]
MF : Mais sérieusement, j’ai envie de commencer par une question, je me suis interrogée en réfléchissant au sujet. Comment vous feriez exactement la différence entre un salon et un festival déjà ? J’aurais pensé que c’était une question de taille, mais il me semble qu’il y a des salons très grands, des festivals plus…. Je n’arrive pas bien à déterminer si il y a une différence nette entre les deux.
LD : Je ne pense pas qu’il y en ait. Moi j’ai plus l’impression que « salon » a cette connotation de salon du livre, c’est-à-dire plus l’aspect grande librairie, où il y a des livres, des auteurs et du café. Et on peut discuter avec les lecteurs, et les lecteurs se font plaisir en achetant des bouquins – du moins j’espère, c’est pour ça qu’ils sont là. Alors que le festival a pour moi un aspect plus transdisciplinaire, faute de meilleur terme. C’est-à-dire qu’il peut y avoir du livre, il peut y avoir un salon de livre, ça peut tourner autour d’un salon du livre, mais il peut y avoir : du cinéma, des expos, du jeu de rôle, du jeu de société, du spectacle du cosplay, etc. Souvent, à quelques exceptions, les festivals d’imaginaire sont quand même plus articulés autour d’un salon du livre, mais très vite, l’idée est de faire vivre le livre par d’autres biais, et on va avoir très vite des expos graphiques, etc. Ce qui fait entrer la chose dans le domaine du festival. Mais ça n’est que mon ressenti, et si ça se trouve, je suis à côté de la plaque.
MF : Je sens que ça paraît assez cohérent, oui.
EF : J’avoue, on ne m’a jamais posé la question avant aujourd’hui.
MF : Ben non, même chose, mais en préparant le sujet, on se dit qu’on va un tout petit peu plancher, et on se pose des questions existentielles.
Sinon, pour la distinction salons/festivals, je dirais aussi qu’on peut faire une distinction entre des salons qui sont spécialisés ou plus généralistes. Ils ne vont pas forcément être organisés de la même manière et on n’aura pas forcément le même public non plus. J’ai remarqué que souvent, dans les salons qui sont vraiment spécialisés dans l’imaginaire, il y a quand même assez souvent un public qui sait précisément ce qu’il vient acheter. Souvent, il va connaître le domaine ou il s’y intéresse. Il a un minimum de curiosité, de culture. Il connaît les auteurs, les livres. Souvent même, aux Imaginales, vous avez dû avoir le truc. Tous les ans, des lecteurs reviennent en disant : « L’an dernier, j’ai pris ça. C’était vachement bien. Maintenant, je vous prends celui-là ». Ils reviennent l’année suivante en parler, on a vraiment un truc de fidélité.
J’ai une expérience dans les salons généralistes plus d’être au milieu d’une foule qui est là pour ça ou pas forcément, et avec qui le rapport va être assez différent.
LD : Je suis assez d’accord. Juste pour rappeler, les Imaginales, c’est le Festival des Mondes Imaginaires d’Épinal qui est un des grands événements, des grands rendez-vous de l’année. Comme tu parlais des Imaginaires, c’est un très bon exemple de ça, où comme l’Imaginaire est de plus en plus mis sur le devant de la scène avec les adaptations cinématographiques, il y a des tas de gens aussi qui viennent pour découvrir et qui sont curieux en disant : « J’ai entendu parler de ce truc-là, Game of Thrones, tiens il y a un événement, je vais aller voir à quoi ça ressemble ». Et ce qui est très bien, parce que ça permet de rencontrer de nouveaux lecteurs, nouveaux pour soi, mais même nouveaux pour le genre aussi. Ça fait une vache de responsabilité d’ailleurs. [rires] Mais bon, on espère qu’on va être à la hauteur.
Souvent, d’ailleurs, les festivals ou salons permettent de faire aussi vivre le livre – et ça c’est une des grandes activités dont on peut peut-être dire un mot – à travers des tables rondes, cafés littéraires, conférences. C’est-à-dire, le principe en général, c’est qu’on met trois, cinq auteurs sur une scène, avec des micros, autour d’un sujet, avec un modérateur ou une modératrice qui se charge de diriger le débat sur des problématiques qui souvent sont en rapport avec les livres que les auteurs ont faits, ce qui leur permet de parler autour du livre et du livre.
MF : J’ai juste envie d’ajouter : quand on a été suffisamment convaincant – parce qu’il arrive qu’on se rate aussi –, et qu’on a un créneau de dédicaces derrière, il y a assez souvent des gens qui, au sortir d’une table ronde, viennent nous dire « c’était intéressant ce que vous disiez, c’était quel livre ? », et qui viennent les prendre ensuite.
EF : Oui, je rajouterais juste deux choses là-dessus. On a encore parfois, hélas, auprès d’un certain public, l’idée que l’Imaginaire c’est un peu un ghetto où on est enfermé sur nous-mêmes, alors que vraiment dans tous les salons et les festivals de l’Imaginaire, je vois au contraire une immense curiosité des lecteurs qui sont là vraiment pour découvrir des choses, donc qui viennent nous dire : « Je connais pas du tout ce que vous faites, est-ce que vous pouvez m’en parler ? ». Et voilà, des livres d’autres auteurs, parce que j’adore parler de livres d’autres auteurs. Donc, après, [ils] vont aller voir les autres auteurs, vont prendre leurs livres… Enfin, il y a toute cette curiosité-là, cette envie de découvrir, qui est très, très forte dans nos milieux, que je vois aussi en festival généraliste, mais vraiment en festival d’Imaginaire, j’ai l’impression que c’est exacerbé et c’est super cool.
MF : Effectivement, ce n’est pas aussi… j’allais dire systématique, c’est pas le mot, mais c’est beaucoup plus concentré, effectivement, en Imaginaire.
EF : Voilà. Et puis, sur les tables rondes, il y a deux autres aspects. Pour moi, il y a l’aspect déjà que ça… Moi aussi, de discuter justement de certains thèmes et tout, ça me fait vraiment réfléchir à ma pratique de l’écriture, à ma vision de ces thèmes. Il y a certaines tables rondes, des Imaginales notamment, qui restent gravées dans ma mémoire et qui m’ont vraiment aidée à progresser. Ça permet d’enclencher aussi un dialogue avec les lecteurs qui, notamment aux Imaginales – dont je suis un peu une fan hardcore – se poursuit bien au-delà de la table ronde. On les ramène à nos tables de dédicaces, on continue à parler tous ensemble.
Et ce que j’aime aussi beaucoup dans les festivals d’Imaginaire, les vrais bons festivals d’Imaginaire que j’aime, c’est que je n’ai pas l’impression qu’il y ait d’un côté des auteurs et de l’autre des lecteurs. On est avant tout des passionnés et on parle tous ensemble de nos genres, et tout ça, ça fait qu’on est tous en train de réfléchir là-dessus, on est tous en train de se pousser en avant les uns les autres.
Et vraiment, les festivals, ça m’a fait grandir beaucoup plus vite. Et ça continue à me faire grandir, à me faire réfléchir beaucoup mieux. C’est comme cet immense creuset de plein de gens qui s’échangent des idées, qui vont en discuter, qui vont vraiment être passionnées de ça. Et je repars toujours avec des nouvelles idées, avec vraiment des nouvelles questions aussi. Beaucoup de cogitation et ça aide beaucoup pour ça aussi.
MF : Moi, je m’aperçois qu’il y a effectivement une forme de brassage, on revient souvent avec plein d’énergie. Il y a les rencontres avec les lecteurs, et c’est aussi un endroit où on est amenés à côtoyer certains collègues, à en retrouver certains. Il y a une espèce de brassage. Pour moi, les festivals, ils rendent aussi le milieu vivant en mettant les acteurs en présence les uns des autres. On y va quand même principalement pour rencontrer les lecteurs, mais il y a cet effet-là qui, pour moi, rajoute vraiment quelque chose. Et je m’aperçois que la plupart de mes souvenirs de rencontres, finalement, et d’échanges dans ce milieu avec d’autres personnes des milieux, sont dans les festivals. C’est un lieu important pour ça aussi.
EF : Alors pour moi, c’est peut-être aussi, pour le coup, le fait que je vienne d’autres univers où c’est peut-être plus marqué, ou c’est peut-être mon côté de mercenaire, mais quand je vais au festival, c’est aussi pour rencontrer d’autres professionnels, pour parler à d’autres professionnels, et c’est aussi un moment vraiment d’échange autour de nos travaux qui fait qu’il y a d’autres projets qui vont naître, qui vont se monter, sans que j’arrive en ayant dans ma tête un agenda de : je dois rencontrer un tel, un tel, un tel, et lui parler de ça, ça et ça, ce n’est pas forcément ça. C’est juste qu’on va avoir plein de discussions impromptues, informelles, mais c’est peut-être aussi ce que j’ai vu du côté théâtre ou court-métrage, mais c’est souvent ces discussions impromptues et informelles qui vont finalement faire que des projets vont se monter ou vont aller plus vite ou vont aller plus loin. Donc il y a aussi vraiment cet aspect professionnel qui pour moi est hyper important en festival, et puis en même temps c’est ça qui nous permet de faire d’autres romans et j’espère qu’après les lecteurs ils sont contents qu’on les fasse aussi.
LD : On n’arrête pas de parler, parce que c’est vrai, que l’édition c’est aussi de l’humain, et le simple fait de pouvoir rencontrer des gens… Parce que comme on fait des métiers éclatés aux quatre coins de la France, voire du monde, qui sont assez solitaires, finalement il y a des gens qu’on voit une poignée de fois dans l’année dans les festivals. Ce n’est pas forcément même pour discuter de projets – même si c’est vrai que ça arrive – mais simplement le fait de boire un verre avec ces gens-là, c’est important et c’est un plaisir aussi. C’est des gens avec qui on partage une vraie passion et des projets communs, on a envie simplement de savoir comment ça va.
EF : Moi, vraiment, quand je suis arrivée dans le milieu, le premier festival où je suis allée, c’était les Imaginales. Je ne connaissais quasiment personne, je connaissais un libraire qui venait me donner un coup de main sur un stand que j’avais vu une fois sur Paris. Et tout de suite, en plus, il y a, je trouve, un côté super convivial dans les festivals d’Imaginaire. J’ai rencontré des gens, j’ai été présentée à des gens, et on s’est mis à parler. Il y a des projets qui se sont montés un peu naturellement.
Par exemple, la série Bohen, c’était un projet qui faisait partie de mes incasables que je ne pensais pas forcément faire avant 20 ou 30 ans. Et c’est donc un soir de festival aux Imaginales, en parlant avec un autre auteur qui me dit : « tiens, mais est-ce que tu en as parlé à ? ». Et là, il y a des choses qui se débloquent.
Et c’est vraiment ça aussi, les festivals, c’est ce qui permet… Alors que quand je parlais à cet autre auteur, c’était en parlant de nos projets incasables, je n’étais pas en train de vouloir lui placer quelque chose. C’est juste des discussions informelles qui font que ça va aller beaucoup plus loin que finalement quand on fait un mail précis à quelqu’un de précis pour un projet précis, en fait. De toute cette liberté-là, il y a beaucoup de choses qui vont sortir.
MF : J’ajouterais pour l’anecdote, c’est à l’heure du petit-déjeuner dans un salon autour du premier café pour tenter d’émerger, qu’un jour Lionel Davoust ici présent… me dit : « au fait, je voudrais te parler d’un projet de podcast, ça s’appellerait Procrastination ».
LD : [rires] Haha ! Je crains que je plaide coupable.
MF : Voilà le genre de choses qui arrivent dans les salons et les festivals.
LD : J’avais fait le même coup à Laurent [Genefort], j’avoue. [rires] Toujours prendre les gens avant le café.
MF : L’heure du premier café, c’est très important pour l’auteur. L’auteur se nourrit de café, l’auteur est défrayé pour le voyage, l’auteur est défrayé pour l’hôtel, et l’auteur reçoit du café.
LD : Si vous avez un truc à demander à un auteur, faites-le avant le café parce qu’ils acceptent après de participer au podcast.
Non, c’est vraiment ce double volet qui est super important, c’est qu’il y a l’aspect effectivement public, parler des livres etc, et puis l’aspect « marché » en fait, au sens retrouver son milieu, et l’aspect social est hyper important là-dessus. Il y a des projets qui sont nés à 23h en buvant une bière, en discutant du remake de Battlestar Galactica avec un éditeur, et on s’est rendu compte qu’on accrochait bien et voilà.
EF : C’est même moins double que tu dis, parce que la discussion avec les lecteurs, la discussion avec les professionnels, finalement, ça fait partie de cette grande discussion générale. Et ce que je vois au fil des festivals d’Imaginaire notamment, et que j’adore, c’est que mine de rien, il y a des lecteurs et puis des lectrices qui commencent à écrire leurs premiers projets aussi, donc qui passent de l’autre côté de la barrière.
Il y a tout ce mouvement-là où vraiment, on a en plus la chance d’avoir un milieu des festivals qui permet, – et ça je l’ai vu nulle part dans la culture, dans tous les milieux culturels que j’ai un peu vus ou dans lesquels j’ai des potes –, j’ai vu nulle part un milieu où on arrive en festival, on vient de nulle part, tout ce qu’on a pour nous c’est notre passion et une envie de raconter des histoires. Et rien qu’avec ça, on est accueilli et on peut faire exister nos histoires dans le vrai monde. Et ça, c’est quand même quelque chose qu’on a de vraiment unique et de très, très précieux dans ce milieu.
Et les Imaginales, pour moi, c’est vraiment le fer de lance de ça, avec le focus qu’ils font sur des jeunes auteurs aussi, avec le coup de cœur des Imaginales qui permet vraiment de professionnaliser des auteurs. J’ai pu en bénéficier. Et vraiment, pour moi, ça a complètement changé ma vie. Et je ne suis pas la seule pour qui ça a changé les choses. Et vraiment, c’est le seul milieu où j’ai vu cette ouverture à des gens qui viennent de complètement ailleurs et qui ne viennent pas du monde de la culture. Voilà, simplement parce qu’on partage la même passion.
LD : J’ai forcément une pensée pour Roland Wagner[1] et sa merveilleuse expression qui est une réalité : il parlait du peuple de la Science-Fiction – on va dire de l’Imaginaire au sens large – et c’est une vérité. Des fois c’est impressionnant effectivement, si on arrive en salon avec des envies de faire des trucs et des projets, tout le monde, quelque part, a commencé comme fan, comme ça, en débarquant avec des envies. On est tous passés par là, je pense. Quand on dit que la littérature c’est une conversation, ce n’est pas juste une formule pour faire joli, c’est vrai et les festivals en sont l’exemple même.
EF : Disons, dans un monde où, plus généralement, on met de plus en plus de murs et de barrières pour la société à l’extérieur. Là, c’est vraiment les festivals de l’Imaginaire, un des rares endroits où vous arrivez, on vous tend la main.
LD : Ma foi, c’est un magnifique mot de la fin, à nouveau pour Estelle. Une petite citation pour finir ?
EF : « On m’envoie souvent des livres dédicacés. J’arrache la page de dédicaces et je jette le bouquin. J’ai une fabuleuse collection de dédicaces ». Serge Gainsbourg.
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Assez procrastiné, allez écrire – et ne mutilez pas vos livres.
[1] Ecrivain français de Science-Fiction
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