Vous lisez Procrastination : S04E11 – Les arcs narratifs, première partie

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S04E11 – Les arcs narratifs, partie 1

(Transcription : Symphonie)

Les liens vers l’épisode S04E11 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin

Liste des Episodes transcrits

Les fils ou arcs narratifs, trajets concernant personnages et intrigues, forment une brique fondamentale de l’évolution d’un récit, tout particulièrement dans le roman choral (à plusieurs points de vue) et la saga. Dans ces deux épisodes, Estelle, Mélanie et Lionel décortiquent la notion, sa construction et ses exigences. Estelle commence par la définir comme le parcours d’une histoire, pouvant – et c’est fondamental – être composé d’intrigues entrecroisées ; Lionel insiste tout particulièrement sur l’aspect de progression, de parcours et d’évolution. Mélanie donne le point de vue de la nouvelle, où l’arc est souvent unique, et où les fils s’entremêlent le cas échéant de façon plus immédiate. (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

(A noter que cet épisode n’a pas pu bénéficier de relecture par une tierce personne. N’hésitez pas à me signaler toute erreur ou contresens)

Vous écoutez Procrastination, Saison 4 Episode 11 :

Les arcs narratifs, première partie

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Estelle Faye, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Alors, les arcs, c’est un anglicisme, mais on a quand même décidé d’intituler l’épisode comme ça parce que, en général, c’est la notion qu’on voit et c’est comme ça qu’on voit les choses appelées sur Internet. Mais peut-être qu’il faudrait plutôt dire fil narratif qu’arc, mais ça ne pourrait pas se discuter ? On va en discuter de cette notion de progression, cette notion d’histoire unitaire, avec peut-être des pluriels aux deux mots, et comment elles se manipulent, comment elles s’entremêlent éventuellement, et qu’est-ce que c’est exactement. Alors c’est quoi un arc narratif, à la base ?

Estelle Faye : C’est une bonne question ! En gros, vous me direz ce que vous en pensez, mais un arc narratif, grosso modo, c’est la progression d’une intrigue ou un personnage du début jusqu’à sa fin. Il peut y avoir plusieurs arcs narratifs par histoire, soit chaque arc narratif va correspondre grosso modo à l’évolution d’un personnage ou alors à l’évolution de plusieurs intrigues entrecroisées. Là-dessus, un exemple très simple, c’est la plupart des séries télévisées modernes ont un grand arc narratif sur toute la saison, plus des petits arcs narratifs, en général un par épisode, plus des arcs narratifs aussi par personnage.

LD : Je pense que c’est hyper important la notion que tu mets de progression et de parcours, parce qu’un arc narratif c’est un parcours, ce n’est pas juste un personnage qui est là au début et à la fin de l’histoire, et il lui est vaguement arrivé des trucs entre les deux. Il y a pour moi clairement une notion d’histoire. Alors, ce n’est pas forcément une histoire entièrement complète et qui tiendrait debout toute seule si jamais on devait la retirer de son environnement. Mais il y a quand même très clairement cette notion de progression, peut-être de façon plus simple ou plus squelettique que l’intrigue globale de tout ce dont on parle. Mais il y a absolument cette notion de parcours.

Je pense qu’on peut dire aussi, je suis d’accord avec toi, avec l’histoire d’échelles. Les échelles, pour moi, elles se situent également au niveau de la complexité, c’est-à-dire que je peux avoir un personnage… Je prends Game of Thrones qui est en général un exemple assez connu, je peux avoir l’arc narratif de Jon [Snow] sur le mur, donc un personnage à un endroit, mais tout ce qui va se passer sur le mur va influer sur le reste du royaume et sur toute l’histoire, même si c’est un petit peu à part du reste. Donc c’est un arc narratif en soi, ce qui va se passer là, mais de niveau supérieur, mettons.

EF : Après, tu parlais d’arc et fil, et je n’avais pas réfléchi à cette question, je t’avoue, avant de t’entendre en parler, donc merci. C’est vrai que l’arc narratif, tel qu’on le voit représenté surtout par exemple dans les méthodes anglo-saxonnes, c’est une sorte d’arche, évidemment, qui part en gros pour être super simplificatrice d’une exposition, qui donc ensuite a une crise qui va culminer à l’acmé de l’acte 2, et ensuite il va y avoir la résolution qui va redescendre. Donc, à la fois, ça montre effectivement une progression, une dynamique, donc, c’est intéressant pour ça. Après, ce que j’aime bien avec l’idée de fil narratif, ça pose tout de suite d’emblée que tout ne marche pas forcément en courbe. Donc ça permet plus de complexité, ça permet plus de variations.

Après, tu parlais de retirer un arc narratif de l’histoire, et qu’il ne tient pas forcément tout seul sur ses jambes. Je dirais même que c’est mieux quand il ne tient pas sur ses jambes, et ce qui est bien avec les fils, c’est qu’en gros, pour moi, quand je fais un roman a fortiori quand je fais un roman choral – c’est-à-dire un roman où on suit plusieurs trajectoires de personnages – l’idée, c’est que tous les fils doivent être tressés ensemble, et que si on retire un, tout se casse la figure, tout se défait. Parce que là, tout est vraiment interdépendant et c’est là que le roman va prendre vraiment sa force. Et c’est là que chaque arc narratif va avoir une pertinence.

LD : C’est vrai qu’en général, derrière la notion de fil ou d’arc narratif, il y a la notion de roman choral, c’est-à-dire plusieurs points de vue entremêlés dans une grande histoire. Encore une fois, l’exemple tarte à la crème connu en général mondialement de nos jours, c’est Game of Thrones, avec tous ces personnages qui vivent chacun leur truc, mais ça influe les autres, et puis ça forme cette grande fresque, cette grande tapisserie, avec tous ces fils entremêlés. Et note pour les bricoleurs parmi vous, c’est en général plus facile d’entremêler des fils que d’entremêler des arcs [Rire].

Mais ça marche pour tout roman à plusieurs points de vue. Mais aussi, on pourrait à la rigueur dire que ce n’est pas qu’une notion, je pense que c’est important à dire, ce n’est pas une notion qui est réservée au roman choral ou même à la saga. Dans une nouvelle, à mon sens, il y a des arcs et des fils. Et même si on n’a qu’un seul point de vue de personnage, les autres personnages qui vont interagir avec ce protagoniste principal dont on va avoir le point de vue, vont peut-être aussi avoir une progression. Et c’est des choses auxquelles il faut prêter attention, éventuellement.

Mélanie Fazi : En même temps j’ai l’impression que c’est moins… Parce qu’en fait, je me suis rendue compte en préparant l’épisode que je réfléchis très peu en termes d’arcs narratifs. Et me demandant pourquoi, je me suis rendu compte que je fais beaucoup plus de textes qui ont un arc narratif unique. Je me suis essayé plusieurs fois, notamment dans mon roman Trois pépins du fruit des morts, il y a trois voix, trois voix de narration. Mais sinon, j’entremêle assez peu.

Je pense que la nouvelle, même quand on va avoir différents points de vue, on reste dans quelque chose qui est quand même relativement concis. Et je pense que ça demande un travail de mise à plat moins important, parce que j’ai toujours dit d’une nouvelle : on peut l’embrasser d’un seul regard. Alors que les romans, j’avais quand même dû mettre les intrigues à plat, ce qui n’arrive jamais sur une nouvelle. Je pense que c’est peut-être plus facile d’entremêler naturellement les arcs dans une nouvelle que dans un roman. Plus facile ou en tout cas plus immédiat.

LD : C’est intéressant ce que tu dis, cette histoire « d’embrasser d’un seul regard », parce que j’ai presque l’impression que pour moi, les arcs narratifs, c’est ça. Prenons une grande saga choral avec donc plein de points de vue, l’arc narratif – même si, comme tu le rappelais très justement Estelle, et je suis entièrement d’accord avec toi, si tu le retires, il ne doit pas tenir debout, parce qu’il doit faire partie d’un tout et de toute la trame – un arc narratif unique peut à peu près s’embrasser d’un seul regard, ne serait-ce que parce qu’il faut que l’auteur ait suffisamment de cerveau pour pouvoir tout écrire, et que le lecteur très concentré doit pouvoir suivre aussi mine de rien, parce que le risque, c’est aussi de multiplier les arcs narratifs et que le gâteau s’effondre sous son poids.

EF : Après, par exemple, quand j’écrivais Bohen, roman choral, surtout pour le premier j’avais un fil par personnage sur mes merveilleux cahiers de brouillons. Et chaque fil de personnage évoluait au fur et à mesure de l’écriture, comme mes histoires changent beaucoup pendant que je les écris, mais aussi à chaque fois, je veillais que les changements d’un fil de personnage soient bien répercutés, que leurs conséquences soient répercutées sur tous les autres fils de personnages. Donc c’est vrai que ça permet d’avoir cette vision globale d’ensemble. Et en ça, c’est un outil qui peut être très précieux pour du roman choral, mais pas que.

LD : L’intérêt du roman choral, je pense principal, c’est de pouvoir donner plusieurs versions, ou plutôt, plusieurs visions d’une série d’événements. Du coup, de donner la voix à la partie adverse ou à d’autres visions du monde. Il ne s’agit évidemment surtout pas de redire ce qui a déjà été dit parce que ça, ça n’intéresse personne. Par contre, ça peut donner une vision beaucoup plus complexe d’une situation et donc donner de la richesse. Et aussi, il peut y avoir, je trouve que c’est un des plaisirs de la forme, il y a un jeu avec le lecteur qui est de lui donner plus de hauteur que ce que les personnages ont, et donc quelque part de susciter des questions d’ordre supérieur, disant : « est-ce qu’on t’a bien tout dit ? Est-ce que t’as bien toutes les clés ? Est-ce que t’es bien d’accord avec tout ce qui est en train de se passer, etc ».

EF : Alors, oui, évidemment, il y a le fait d’avoir un coup d’avance qui peut créer des jeux intéressants. Maintenant, je voudrais sortir un peu du roman choral, pas aller dans la nouvelle parce que je maîtrise dix fois moins que Mélanie, donc là-dessus… Mais pour le coup aussi, penser par fils de personnages, même quand on a, par exemple, quand on suit un groupe de personnages, mais que chacun a son fil d’intrigue, ça permet de, par moment, qu’il y ait un personnage qui prenne le devant – pour faire de l’affreux anglicisme, qui prenne le lead –, et que ça soit tout à coup lui qui tire l’histoire dans une direction différente.

Pour prendre des exemples, peut-être un peu connus, en tout cas des vieux ici : pour moi, un bon exemple, c’est Buffy contre les vampires.

[rires]

MF : C’est l’un des meilleurs exemples à ce niveau, oui.

EF : Dans Game of Thrones, il y a quand même, pour moi, deux grands arcs de base qui ne concernent pas les personnages, c’est-à-dire qui va monter sur le trône de fer et qu’est-ce qu’on va faire de ces foutus marcheurs blancs, en gros, pour résumer. Alors que Buffy, il y a un petit groupe de personnages, donc chacun a son histoire qui se développe, à la fois en relation avec les autres, mais aussi en allant dans sa propre direction, et là-dessus, c’est l’histoire de Willow, dans l’une des dernières saisons, qui fait que ce personnage, qui au départ est un personnage secondaire, va finalement avoir un développement qui va faire que c’est elle qui va devenir l’histoire et l’enjeu principal.

MF : La saison 6.

EF : Voilà, et c’est très intéressant ce fait que des personnages puissent finalement devenir le personnage central, voire le pivot de l’histoire, alors qu’ils ont commencé en personnages secondaires, qu’il y ait vraiment toutes ces interactions humaines et que l’histoire se développe en pouvant prendre des chemins de traverse qui deviennent des chemins principaux. Et encore une fois, c’est pour ça qu’être sur des fils plutôt que sur des arcs, c’est plus pratique pour ça.

LD : Pour rebondir sur cet excellent exemple, je ne me spoilerai parce que paradoxalement ça devient peut-être suffisamment ancien pour que ça n’ait pas été vu mais on ne peut je pense que tous vous encourager à aller voir Buffy contre les vampires, parce qu’en plus au niveau du dialogue c’est une masterclass. À la fin de la saison 2, Alex prend une certaine décision qui émerge organiquement – vous pouvez cocher votre bingo – de tout ce qu’il a été, de tout son propre fil narratif depuis le début de la série. Et on le voit un petit peu comme le lycéen qui veut se la raconter, mais qui n’y arrive pas très bien et qui veut impressionner Buffy, et en fait, tout ça qui est en fond et qui est plus ou moins une figure archétypale où on ne s’intéresse pas énormément, et bien la fin de la saison 2, ça prend son sens. Il y a une décision terrible qui est prise à ce moment-là. Et lui aussi, il a un arc tout en étant un personnage secondaire.

Pour moi, c’est important de dissocier la notion arc/fil de la notion de point de vue par lequel on va raconter une histoire, parce qu’il y a des fils qui sont extérieurs. En tout cas au début, dans Buffy, on peut très facilement dire que c’est finalement l’histoire de Buffy, surtout. Et les autres, c’est ses acolytes, mais ils ont tous des arcs narratifs et ils ont une importance.

EF : Oui, c’est aussi finalement, on a tous ces fils ou tous ces arcs et c’est sur lesquels on va mettre un coup de projecteur, ou à partir duquel on va raconter l’histoire. Mais ça n’empêche pas que chaque fil ou chaque arc existe complètement, par exemple, sur nos infâmes cahiers de brouillon ou pour ceux qui sont passés dans l’ère informatique, sur nos ordinateurs. Après, il y a quelque chose sur lequel j’aimerais revenir. Par exemple, quand tu parlais du parcours d’Alex dans Buffy, et qui me paraît très important quand on parle d’arc ou de fil narratif, c’est quand même qu’il y ait des points de non-retour aussi, pour l’histoire, pour les personnages.

Et c’est ce qui me manque parfois dans certaines histoires, c’était l’un des problèmes d’un film que je suis allée voir avant-hier – c’est assez frais dans mon esprit – ou avant avant-hier. C’est des moments où le personnage va prendre une décision, faire une action, où de toute manière il n’y a plus de retour en arrière possible après. Ça va le changer fondamentalement, il va en garder fondamentalement une marque, même s’il essaie d’avoir un retour à la normale, même s’il essaie d’avoir un retour au statu quo, ça ne peut plus être possible. Et d’avoir ça, d’avoir ces points de non-retour vraiment qui existent dans nos structures, dans nos arcs narratifs, de bien les marquer et de voir qu’effectivement, oui, après ça, tout va être changé, les héros ne pourront plus être les mêmes.

Ça me paraît vraiment important parce que sinon, toute histoire ressemble à un épisode des Simpsons où finalement, on revient toujours à un statu quo. Et puis, on a vu qu’au fil du développement de la série, même les Simpsons, la ville bouge et finalement, les choses bougent autour d’eux. Moins d’être vraiment dans une sitcom pure, de toute manière, les choses vont changer.

Après, un exemple super bateau de point de non-retour manqué, c’est par exemple les gens qui blessent quelqu’un, que ce soit dans un film d’horreur ou dans un livre de Fantasy. Donc, voilà, la guerrière se fait trancher l’épaule et quand même, elle arrive toujours à porter son épée à deux mains [Rires]. C’est très bête, mais…

MF : C’est le chevalier noir de Sacré-Graal !

LD : C’est quand même pratique !

EF : Ce que je veux dire, c’est ça. C’est que quand vous avez un point de non-retour, quand vous avez quelque chose qui doit bouleverser votre histoire et la vie de vos personnages, après, il ne peut plus être pareil, quoi. Donc, assumez.

LD : C’est flippant, quelque part, dans l’écriture. Parce qu’on se dit : « est-ce que je ne viens pas de casser mon histoire ? ». Mais en général, ça ouvre des opportunités, justement.

EF : Et c’est ça qui va donner de la force à vos histoires, parce que si c’est finalement un univers où rien n’a de conséquences, pourquoi vous voulez que le lecteur, il s’y accroche ?

MF : Et là, je renchéris : Buffy, saison 6, magnifique exemple de point de non-retour, on les franchit tous allègrement. Et après cette saison-là et la précédente, plus rien ne peut être pareil, c’est géré magistralement.

LD : Et c’est pour ça qu’il n’y a plus qu’une saison 7, d’ailleurs, après, ça devient compliqué.

C’est un sujet qui nous emmène loin et donc nous allons faire une deuxième partie pour ce sujet : les fils narratifs. Rendez-vous dans 15 jours pour la suite.

(Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !)

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