Vous lisez Procrastination : S04E12– Les arcs narratifs, deuxième partie

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S04E12 : Les arcs narratifs, deuxième partie

(Transcription : Symphonie )

Les liens vers l’épisode S04E12 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin

Liste des Episodes transcrits

Suite et fin de l’exploration des trames narratives, avec un accent plus spécifique sur le roman choral. Lionel commence par récapituler les notions de progression évoquées dans l’épisode précédent, et aborde les questions de rythme et de complexité liées à la forme ; Estelle insiste sur le fait que l’auteur décide sur quoi il attire l’attention dans son récit, notamment par rapport à la temporalité de l’histoire. Mélanie aborde quant à elle l’ordonnancement et l’équilibre des éléments dans une trame donnée. (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

(A noter que cet épisode n’a pas pu bénéficier de relecture par une tierce personne. N’hésitez pas à me signaler toute erreur ou contresens)

Vous écoutez Procrastination, Saison 4 Episode 12 :

Les arcs narratifs, partie 2

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Estelle Faye, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Je pense que sur l’entremêlement des fils narratifs, si on parle du roman choral, pour moi il y a deux aspects importants à prendre en compte. D’une part, c’est qu’il faut avoir un fil, ou un arc, qui ait une progression, qui ait du sens. C’est-à-dire, on le disait tout à l’heure, on ne peut pas l’enlever et le mettre dans un vide, et il sera moins intéressant. Mais par contre, il faut quand même qu’il y ait une forme de progression, et que cette histoire justifie son existence, on va dire. En tout cas, dans un roman choral, si on a un point de vue, il faut que le point de vue justifie son existence.

Ça, c’est la première difficulté. Et on peut quelque part dire que la difficulté se multiplie de manière exponentielle, parce qu’il y a une conséquence qu’il faut prendre en compte quand on écrit du roman choral, c’est qu’il faut prêter attention au rythme global du récit. C’est-à-dire qu’en général, on aime de la variété dans un récit, simplement pour éviter la monotonie. Je veux dire, si c’est de l’action à 100 à l’heure du début à la fin, à la rigueur, ça peut être de l’action à 20 à l’heure, finalement, au bout d’un moment, on n’en voit plus, on a besoin de contrastes pour maintenir l’intérêt, pour avoir de la diversité dans une progression narrative. Et là où ça devient complexe, c’est que si j’ai plusieurs fils narratifs à raconter ensemble, ou en tout cas en les alternant les uns avec les autres, il faut aussi que je pense à ne pas avoir peut-être que de la baston au début, parce que tout le monde se bat, et ensuite qu’il n’y ait plus rien et que ça retombe comme un soufflé.

Donc il y a une autre difficulté qui est que non seulement mon histoire doit pouvoir à peu près tenir debout, mais en plus il faut… Enfin, il faut… Il ne faut rien, mais c’est mieux – ça c’est purement l’auteur qui parle – c’est préférable, ça suscite mieux l’intérêt si on arrive à panacher les ambiances, presque comme – alors là c’est toi Estelle la spécialiste –, mais presque comme – en tout cas moi j’ai l’impression – un montage cinématographique où il va y avoir des enchaînements entre les fils narratifs : de plans, peut-être de thématiques, ou justement jouer sur les contrastes.

On peut faire ce qu’on veut, mais à mon sens, il faut en avoir conscience. C’est-à-dire que l’enchaînement est dicté par l’histoire, il est dicté par les fils narratifs, mais il y a aussi une vision de plus haut niveau qui est la vision esthétique de « qu’est-ce que je veux dans mon rythme d’histoire, et comment je vais entremêler mes trames pour garder ça en tête ».

Estelle Faye : Après, quand on a les fils narratifs, on a tout qui est au même plan quelque part, sur un fil narratif, et le temps par contre qu’on va passer sur chaque moment du fil, ça c’est nous qui allons en décider aussi et c’est ça qui va donner le rythme à l’histoire.

Et par exemple, il peut y avoir trois mois de voyage qu’on fasse passer dans une ellipse, comme il peut y avoir cinq minutes de baston ou même pas, une minute trente de duel qu’on va complètement étendre à l’infini, parce que pour les personnages aussi, ça leur paraît durer dix siècles.

Donc voilà, c’est : comment est-ce qu’on va choisir de passer énormément de temps sur tel ou tel moment du fil et quasiment pas sur un autre. Après, sans oublier que même si on fait passer dans une ellipse ces trois mois de voyage, pour les personnages ça a quand même duré trois mois et il faut qu’on sente ce passage du temps. Mais on n’est pas obligé de le faire sentir, par ailleurs, en mettant au lecteur une description en 18 chapitres de la moindre auberge qu’il voit sur la route.

Mélanie Fazi : Il y a une chose que j’ajouterais juste en plus de la question du temps, c’est la question… Moi la question principale que je me pose même dans mes textes courts avec un seul arc, c’est principalement : « bon, je vais du point A pour atterrir à un point B, j’ai une idée de tous les éléments que je dois placer », moi je ne me pose pas la question du temps que de « dans quel ordre j’amène les éléments, quel est le meilleur équilibre, tiens cet élément je le sens bien ici et ensuite celui-ci, je le sens plutôt ici », ce qui se complique dès lors qu’on a plusieurs intrigues où il faut faire ce travail. Mais plus qu’en termes de temps, je vois ça en termes de pièces. On a un tas de pièces à côté de soi qu’on va placer une par une et il faut trouver le bon équilibre.

EF : Pour rebondir un peu sur ce que disait Mélanie, un fil ou un arc narratif, c’est un outil de travail, mais ce n’est pas, pour moi en tout cas, quelque chose à suivre absolument du début à la fin. Et par exemple, savoir où on place le début ou ce qu’on va mettre dans le premier chapitre de l’histoire, ça peut être aussi bien à l’état A du début, ça peut être au milieu du fil d’histoire du personnage. Pareil, est-ce que l’état B, ça va être vraiment quelque chose qui soit clos sur lui-même ou pas ? Est-ce qu’il va y avoir une ouverture ?

Enfin, quand on voit, si vous allez sur Internet, que vous cherchez sur les arcs narratifs, tout ça, je dirais faites un peu attention, parce qu’il y a beaucoup de méthodes, notamment inspirées du monde anglo-saxon et d’Hollywood, qui marchent très bien pour écrire certains types d’histoires, mais qui ont tendance à vous enfermer dans certains types d’histoires.

Or, n’oubliez pas qu’un arc narratif, un fil narratif, c’est un outil, mais ça ne doit pas être après une cage.

LD : Absolument ! Je ne peux qu’applaudir à deux mains. Déjà, la gestion de l’information – toujours ce problème-là – la gestion du rythme, est complexe. Quand on se rajoute d’autres arcs, ça veut dire qu’on multiplie la complexité. Mais je pense qu’il y a deux choses qui sont importantes. Il ne faut pas se laisser paniquer par la complexité de la chose. La complexité est réelle, mais il faut prendre le truc par un bout à un moment, et ça ne veut absolument pas dire qu’il faut le faire bien du premier coup, au contraire. Il faut se donner le droit d’expérimenter avec la gestion du puzzle. C’est un puzzle, et des fois on part sur une solution et on se rend compte que non, ça ne colle pas. Donc ne pas avoir peur de revenir en arrière, on n’est pas censé réussir du premier coup. C’est l’avantage de la littérature, c’est qu’il y a une grande phase d’exploration.

Le deuxième truc, c’est que sur l’alternance pure des scènes, des rythmes, des ambiances… ça peut être vu comme une contrainte supplémentaire. Pour moi, c’est presque un outil et un avantage du roman choral. C’est-à-dire que si je sais qu’à un moment… Tu disais Estelle par exemple, il y a trois mois de voyage à un moment, là ces personnages-là vont peut-être avoir des trucs un peu moins importants à vivre, en tout cas moins palpitants, parce que ce qui va se passer, c’est vraiment à la destination. Mais si ça se trouve, entre-temps, je vais avoir un autre arc narratif qui est plus riche ou sur lequel je vais mettre plus d’accent, ce qui va me permettre de maintenir une certaine tension narrative, tout en donnant l’impression du passage du temps, parce que, pour les autres, il se sera passé plein de trucs. Et quand les types arrivent à la ville, si on dit qu’il s’est passé trois mois, et effectivement, il y a eu des conséquences, comme tu dis : ils ont traversé le désert, ils ont des coups de soleil et tout. Mais c’est aussi un outil pour maintenir sa tension narrative et son rythme. C’est une opportunité, quelque part.

EF : 2-3 petites choses sur comment jouer avec les fils narratifs, peut-être. C’est très bête et très basique, mais une des questions que j’aime bien me poser quand j’écris, c’est vraiment : « est-ce que j’ai placé mon début au bon endroit ? Est-ce que j’ai placé ma fin au bon endroit ? ». Et d’essayer donc de déplacer mon début et ma fin sur mes fils narratifs et de voir ce que ça donne. Ou de déplacer mon début, de commencer non pas par tel personnage, mais par tel autre, et de voir ce que ça donne, pareil. De vraiment expérimenter, et de voir finalement que la première solution que j’avais en tête, ce n’est pas forcément la bonne.

Après, autre chose qui peut aider ceux qui n’ont pas énormément d’expérience d’écriture et qui ont envie d’en acquérir un peu plus, c’est quand vous avez des romans que vous aimez bien, de voir comment ça fonctionne. Vraiment. De voir comment fonctionnent les fils narratifs dans telle ou telle histoire que vous adorez et qui est proche de ce que vous voulez écrire. Et là, vous verrez encore une fois que c’est souvent très, très varié. Et que donc ce n’est pas juste l’espèce d’arc avec une montée et une descente qu’on a trop souvent, notamment sur Internet. Regardez vraiment la variété des romans dans la vraie vie, la variété des fils narratifs qu’ils offrent, et inspirez-vous de ça aussi quand vous-même vous êtes en train de faire vos propres fils. Demandez-vous toujours s’il n’y a pas d’autres formes possibles.

LD : Westley dans Princess Bride a cette parole immortelle où il dit : « La vie n’est que souffrance, ceux qui vous disent le contraire cherchent à vous vendre quelque chose ». Je pense qu’on pourrait dire : les histoires ne fonctionnent pas avec des formules toutes cadrées comme ça, ceux qui vous disent le contraire cherchent à vous vendre quelque chose, en général c’est leur formule à eux.

Ça me fait penser à… Si ma mémoire est bonne, les créateurs de South Park, c’est donc Trey Parker et Matt Stone, qui ont donné une… Il y a une vidéo très courte, j’essaierai de la retrouver[1], qui fait deux minutes, où en gros ils disent : « On réfléchissait à la manière de narrer, de narrer des bonnes histoires, et on est arrivé à une conclusion extrêmement simple. Supposons que vous ayez toutes vos scènes sur un tableau Veleda, qui s’enchaînent les unes avec les autres, si les mots qui vont entre les scènes, c’est « Et alors ? » Vous avez fait un truc qui ne va pas. S’il se passe A, et alors il se passe B, et alors il se passe C, il y a un truc qui cloche. Ce qu’il faudrait qu’il se passe, c’est que les mots qui lient vos scènes soient « par conséquent » ou « mais alors ». Il se passe A, par conséquent il se passe B, mais alors il se passe C ».

C’est tout bête, mais c’est une bonne chose à garder en tête quand on vise l’enchaînement et la progression de ces arcs narratifs. Si c’est juste une progression, je dirais « plan-plan », où il n’y a pas de surprise, où les choses n’ont pas de conséquences comme tu disais Estelle tout à l’heure, à la rigueur on aurait envie de dire : « ami auteur, amène-moi au moment où ça change. Amène-moi au moment où il y a quelque chose qui va avoir une influence sur la suite ». Si c’est juste un déroulé linéaire, on peut se poser la question de la tension narrative. Et c’est fondamental à un arc narratif de manière générale, et évidemment à l’entremêlement aussi.

EF : Alors, il y a aussi quand même quelque chose que j’aimerais dire sur les arcs narratifs et qui pareil, me manque souvent quand je lis des méthodes d’écriture, qui est que l’arc narratif qu’on choisit, la manière dont on développe l’arc ou le fil de chaque personnage, ça dit aussi quelque chose profondément de la manière dont on voit ses persos et de la manière dont on voit son histoire. Très souvent on dit donc « pour faire une bonne histoire » ou tout ça, mais la première question c’est, avant tout, : qu’est-ce qu’une bonne histoire et qu’est-ce qu’une bonne histoire pour nous ? C’est-à-dire que ça ne va pas l’être forcément pour le voisin, pour l’autre roman, pour le prochain roman qu’on va écrire, par exemple.

Notamment, je viens du théâtre, et la structure classique de la tragédie de Racine que j’adore, des tragédies classiques, en cinq actes, dit aussi quelque chose d’une vision du monde. Le parcours du personnage dans les cinq actes de la tragédie classique dit quelque chose d’une vision du monde, d’une vision du destin qui va écraser les personnages après leur avoir donné un dernier souffle, par exemple.

Donc vraiment, ne pas oublier que le bon arc narratif, la bonne progression de personnage, ça sera celle qui correspondra aussi à ce que notre histoire veut dire ou doit dire. Ce n’est pas quelque chose qui existe indépendamment du sens ou de l’ADN profond de notre histoire.

LD : Petite citation pour terminer ?

EF : « Une histoire peut avoir exactement trois commencements : un pour le public, un pour l’artiste, et un pour le pauvre type qui est forcé de la vivre ». Catherynne M. Valente.

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !


[1] https://www.youtube.com/watch?v=vGUNqq3jVLg

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