
S04E13 : L’identification du lecteur au personnage
(Transcription : Symphonie )
Les liens vers l’épisode S04E13 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin
L’identification du lecteur au personnage est un conseil fréquemment mis en avant, parfois au point d’être affirmé comme une nécessité pour parvenir à intéresser le lecteur à l’histoire. Qu’en est-il ? Mélanie commence par rappeler que le projet de beaucoup de livres c’est qu’on s’identifie pas, justement. Estelle entre en détail dans le sujet la présence de l’identification dans la littérature jeunesse, à la fois dans son rôle d’inspiration mais aussi de validation de la diversité. La notion d’identification apparaît ainsi sous deux facettes sur lesquelles conclut Lionel : la neutralité d’un personnage censément servir de support de projection, et la représentation par l’exemple de toute la diversité de l’expérience humaine. (Blog de Lionel Davoust)
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
(A noter que cet épisode n’a pas pu bénéficier de relecture par une tierce personne. N’hésitez pas à me signaler toute erreur ou contresens)
Vous écoutez Procrastination, Saison 4 Episode 13 :
L’identification du lecteur au personnage
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Estelle Faye, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Vous écoutez Procrastination confiné – en tout cas nous enregistrons cela confinés – mais la discussion continue. Nos excuses par avance si le son est légèrement différent ou de moins bonne qualité par rapport à d’habitude. Nous ne sommes pas en présence les uns des autres pour respecter les normes, mais nous continuons à discuter et nous entrons de plein pied dans le XXIe siècle avec un enregistrement à distance.
Et donc nous allons parler d’identification du lecteur au personnage, qui est un conseil qu’on voit très fréquemment donné dans les conseils d’écriture divers et variés, notamment en ligne, où en général, la teneur qu’on voit passer, c’est : pour intéresser, pour impliquer le lecteur, le lecteur devrait pouvoir s’identifier au personnage et il faut tout faire pour que ce soit possible. Alors, comme toujours, les « il faut » il faut s’en méfier, et donc il semblait intéressant de discuter de ça.
Vous pensez quoi de la valeur d’identification du lecteur au personnage ?
Mélanie Fazi : Moi j’aurais tendance à dire, comme d’habitude : ça dépend, ça dépend du type de projet. En y réfléchissant, je me suis aperçue que je trouvais énormément de contre-exemples et pas tellement d’exemples vraiment qui rentraient dedans, à part certains livres jeunesse spécifiquement, qui ont certaines lignes. J’ai l’impression que c’est peut-être plus quelque chose qui est spécifique à la jeunesse, mais en tout cas tous les exemples de livres que je pensais dont les personnages m’ont marquée, il n’y en a pas tellement auxquels je puisse m’identifier.
On développera peut-être après, mais il y a beaucoup de livres dont le projet, c’est précisément qu’on ne s’identifie pas. On n’écrit pas un American Psycho en espérant qu’on s’identifie au personnage, par exemple. Donc je suis un peu perplexe face à ce conseil, moi, j’avoue.
Estelle Faye : Alors moi, je vais peut-être parler en tant qu’autrice jeunesse, la plus jeunesse, je crois, des trois. Voilà. Disons, en jeunesse, il y a différents niveaux, en fait, de rapport au personnage. Évidemment, il y a une identification au personnage quand on est dans les livres, surtout pour les petits jeunes qui aident à grandir, où là, c’est vraiment d’avoir des personnages qui soient les reflets des expériences de l’enfant. Par exemple, des histoires d’école ou bien des histoires de « la maman de Timmy ou de Léa est partie » ou ce genre de choses. Des histoires qui aident vraiment les mômes à avoir des miroirs de leur propre expérience, ça leur permet de trianguler leur propre expérience. Mais c’est vraiment qu’une petite partie de la littérature jeunesse.
Et comme disait Mélanie, même en jeunesse, il y a plein de contre-exemples. Déjà, dans les grands classiques de la littérature jeunesse, quand on fait lire Voyage au centre de la Terre ou Vingt mille lieues sous les mers, a priori, il n’y a pas une identification super proche avec le personnage. Enfin, pas une identification au sens « ouah ! mais on dirait moi maintenant ».
Et même en littérature jeunesse, même quand je fais pour les plus jeunes, ce n’est pas tant des héros qui vont être exactement dans la même expérience que le lecteur, que je vais faire, c’est plutôt des héros qui vont être un peu des grands frères ou des grandes sœurs, c’est-à-dire qui vont avoir un peu plus d’indépendance que le lecteur, qui vont avoir un peu plus de maturité que le lecteur, pour justement tirer les lecteurs ou les lectrices un peu plus loin. Donc ça déjà, sur l’âge, c’est la première chose en littérature jeunesse « pure », si on peut dire.
Et ensuite, dès qu’on parle aussi d’identification, une chose qui montre que non, le lecteur ne va pas forcément s’identifier à un héros parce qu’il est comme lui, c’est que pendant des générations et même plus, même en jeunesse, et a fortiori en jeunesse, toutes les jeunes lectrices ont pris l’habitude culturellement, parce qu’elles ne pouvaient pas faire autrement, de s’identifier à des héros masculins. Pareil, les lectrices et les lecteurs de couleur qui s’identifient à des héros blancs parce qu’il n’y a qu’eux. Ou les adolescents LGBT+ qui étaient bien obligés par moments de se fantasmer en Luke Skywalker, parce que pareil de toute manière, les personnages LGBT+ en jeunesse, il n’y en avait pas des masses.
Ça bouge un peu aujourd’hui tout ça, mais mine de rien ça montre que quand on dit : « En jeunesse, il faut absolument que le personnage soit un peu un reflet du lecteur », pendant des générations, il y a des lecteurs qui se sont débrouillés avec des personnages qui n’étaient pas leur reflet.
Et en même temps, ça montre que ces personnages qui n’étaient pas le reflet des lecteurs, ils manquaient aussi. Parce qu’une part d’identification, pas au sens où on va retrouver exactement notre reflet dans les livres, mais par contre avoir des personnages, à fortiori quand on est en construction, quand on est jeune, quand on est ado, qui nous ressemblent ou en tout cas qui nous permettent d’avoir des références en disant : « ce que je suis peut exister, ce que je suis peut être un héros, ce que je suis peut être valide », ça c’est important par contre. Et donc en littérature jeunesse ce n’est pas tant de faire des personnages qui soient l’équivalent du lecteur – et en littérature d’ailleurs en général –, c’est par contre montrer à tous les lecteurs – et y compris au lecteur mec, blanc, hétéro, etc. – que tous les héros, tous les personnages peuvent avoir droit à la parole. Et donc, à la fois permettre, par exemple, à des filles, à des ados homos, à des personnages de couleur, etc. d’exister, pour avoir une identification pour une partie du lectorat, mais mine de rien aussi pour dire à tout le lectorat qu’il y a toute une variété d’êtres humains, et que tous ces êtres humains-là peuvent exister.
MF : Alors là, je signe à 200% parce que pour le coup, je connais très, très bien, on en a souvent parlé, le cas de figure de ne pas se reconnaître dans des modèles en grandissant. Mais c’est bizarre, je n’avais pas du tout pensé à cet aspect-là en préparant l’épisode, en réfléchissant à ça. Parce que moi, quand j’entends « faut-il s’identifier ? », j’imagine forcément qu’on parle d’un personnage qui soit censé être le plus neutre possible pour qu’on puisse tous se projeter. Ce qui, d’expérience, est faux. Tout le monde ne peut pas se projeter dans un personnage et c’est amusant que je l’aie entendu comme ça. Alors que le cas de figure dont tu parles de ne pas pouvoir se trouver de modèle, je le connais intimement, justement[1].
EF : Disons, le personnage qu’on a appris à considérer comme neutre, en fait, c’est quoi en général ? Je suis désolée, c’est le héros mec blanc hétéro, quoi.
MF : Même pas forcément. Même chez des personnages féminins un petit peu plus marqués, je dirais.
EF : Ben disons, moi j’ai vraiment vu – je ne sais pas, Mélanie, si t’as vu ça –, mais on en parlait avec d’autres autrices plus âgées que moi, un changement de génération par rapport à quand moi j’étais ado. C’est-à-dire que quand j’étais ado déjà, on était super contentes quand il y avait des filles qui étaient des personnages secondaires, pas forcément « cruches », quoi. Par exemple, la princesse Leia.
MF : Ben en fait là-dessus, j’ai une expérience qui est légèrement différente. C’est oui, je suis d’accord sur ce point. Un problème que j’ai eu étant enfant, notamment les personnages des dessins animés de notre génération, il y avait beaucoup de personnages féminins un peu plus débrouillards. Et moi, je n’arrivais pas à m’identifier à ces personnages-là parce que je me disais : « ils se comportent comme des adultes, ils ont réponse à tout, donc je ne peux pas me reconnaître, moi étant tellement paumée dans la vie de tous les jours, je ne peux pas me reconnaître dans un personnage débrouillard ». Et sur ça non plus, je ne trouvais pas de personnage à qui m’identifier. C’était des modèles vers lesquels tendre peut-être, mais moi, je n’avais pas de lien avec ces personnages, très étonnamment. Mais je trouve que pour le coup, on va vraiment dans le bon sens à ce niveau. Et je suis totalement d’accord sur ton discours, oui.
EF : Il y a le problème encore du personnage trop parfait, c’est aussi un autre débat. Mais c’est vrai qu’il y a le moment où je me suis rendue compte… c’est très bête, mais quand on voit des petites mômes qui tout à coup se déguisent en Wonder Woman, par exemple, et qui se déguisent dans des héroïnes, vraiment, et pas dans des personnages secondaires. Quand j’étais môme, je me déguisais en chevalier, je ne m’identifiais qu’à des héros masculins. Et je n’étais pas la seule. Je ne me posais même pas de questions, et je pense qu’on était nombreuses à ne pas se poser de questions, on s’identifiait à des héros masculins parce que c’était eux qui étaient cools.
MF : Je suis passée à travers ça, mais je pense que je suis l’exception là-dessus. Beaucoup de personnes me disent effectivement exactement la même chose que toi.
EF : Et là, tout à coup, je vois des filles qui s’identifient à des héroïnes féminines et qui peuvent se déguiser en héroïne féminine et quelque part, les voir, ça me dit : « mais pourquoi nous, on a accepté ça de manière aussi naturelle, sans même le questionner, en fait ? ». Et là, oui, c’est là qu’on voit que l’identification, ou en tout cas, plutôt le fait d’avoir des modèles, qui ne ressemblent pas simplement à une sorte de neutralité fantasmée, mais vraiment à tout un panel d’expériences, c’est important pour ça, c’est important pour, mine de rien, pouvoir se construire en disant « mon expérience, mon existence est valide aussi ».
MF : Exactement.
EF : L’identification, pour moi, il y a deux choses. Il y a effectivement une sorte de volonté de certains éditeurs – mais qui je trouve en France n’existe pas tant que ça – de vouloir normer les genres, surtout en jeunesse. Mais il y a aussi quand même ce miroir à tendre à toutes les expériences humaines qui me semble super important pour le coup. Et là, il y a des éditeurs jeunesse qui, par contre, bossent vraiment là-dessus autant qu’ils peuvent, je trouve que c’est un super bon boulot.
Et après, pour moi, il ne faut pas oublier qu’a fortiori en jeunesse, on parle à des mômes, on parle à des ados qui sont en train de se construire, donc il faut faire deux fois, trois fois plus attention à ce qu’on écrit, je trouve.
MF : En fait, c’est curieux, parce que ma réponse à la question « faut-il s’identifier ? » au départ était plutôt non, dans le sens de ce que je viens de dire, où la plupart des personnages qui sont créés vraiment pour qu’on s’identifie, je trouve que c’est assez repoussoir. Et je m’aperçois qu’en fait, prenant la question sous l’angle que tu abordes, je suis complètement d’accord pour dire oui, il faut s’identifier. Mais tout dépend comment la question est comprise, j’ai envie de dire.
EF : C’est ça. Et disons, pour moi, il y a deux aspects. Il y a cet aspect-là. Mais comme justement, la question était assez marquée jeunesse, donc c’est un peu là-dessus que je suis partie. Et je suis désolée, je parle beaucoup – pardon ! – parce que c’est des sujets sur lesquels forcément jeunesse…
MF : Ah ! mais tu as complètement raison ! C’est un discours que je valide.
LD : Pour moi, tu as exactement touché à ce qui me semble être le double sens du mot « identification », qui est : est-ce que je dois pouvoir me projeter, ou est-ce que je puisse ( ?) être représenté ? Pour moi, c’est les deux facettes. C’est très bien que justement tu sois partie là-dedans, Estelle, parce que c’était ce que j’avais noté, notamment dans des expériences que j’avais eues en littérature jeunesse – très brèves –, où notamment un cas où un texte avait été accepté par une anthologiste, et ensuite refusé à un niveau plus haut par l’éditrice, parce que mon personnage principal n’était pas un ado. Et il y avait cette espèce de dictat comme quoi la littérature pour ados devait forcément faire intervenir des ados. Alors que comme tu l’as rappelé de manière très juste, Jules Verne, pas tellement.
Il y a une double dimension pour moi qui est : « est-ce que je peux me projeter, est-ce que je peux me voir à la place du personnage », ce qui est une notion complexe. Dans l’absolu, la littérature repose – comme on l’a fréquemment dit dans le podcast – sur la notion d’empathie, c’est-à-dire que, par exemple – en particulier si je me place plus du côté de la littérature adulte –, il s’agit à mon sens davantage d’arriver à faire comprendre et à rendre accessibles les états d’âme d’un personnage à travers l’empathie, que de pouvoir se mettre dedans en se disant « je m’imagine que je suis Iron Man ».
Mais derrière il y a aussi – et ça c’est une autre dimension à laquelle il faut prendre bien garde –, la représentativité, qui est une question complètement différente. Le fait d’avoir, par exemple – moi un truc qui me réjouit au plus haut point –, le Docteur de Doctor Who joué par une femme, met en avant le fait que, bah oui, tu peux être le Docteur, être une femme, être badass, être trop cool. Et ça c’est super important. Est-ce que ça veut dire qu’on s’imagine à la place du Docteur ? On peut le fantasmer, pourquoi pas ? Mais c’est deux aspects qui sont différents. Je dois réussir d’un côté à faire comprendre mon personnage. La grande œuvre de la littérature, c’est peut-être nous rapprocher de la différence, de ce qui est différent de nous.
Et peut-être également, dans le cas des anti-héros, comme par exemple Dexter pour prendre un cas de série télé, où tous les anti-héros du monde jouaient sur une espèce de fascination parfois fantasmatique du malsain, dans le cas de certains cas de littérature adulte, ce qui est intéressant aussi. On parlait d’American Psycho.
Mais en même temps, on a le devoir de représenter la nature humaine dans toute sa diversité, dans toute sa beauté, dans toute son expression, telle qu’elle est finalement dans le monde. Et ça veut dire effectivement avoir des Wonder Woman, des Docteur femme, etc. Donc c’est vraiment deux choses. C’est une ligne dans laquelle il n’y a probablement pas de réponse toute faite, mais qu’il est super intéressant et super important à garder à l’esprit, pour se dire, toujours : est-ce que je parle bien de l’humanité telle qu’elle est, et pas telle que des clichés conscients ou inconscients auraient pu me la montrer ?
MF : J’allais ajouter un truc, pardon. Mais c’est marrant que tu parles de Dexter, parce que c’est un personnage qui m’avait énormément marquée pour une raison toute simple, c’est que pour moi, il y avait eu un truc d’identification. Pas sur la perceuse, je vous rassure [rires de Lionel et Estelle], mais sur tout son rapport aux émotions. Le rapport complexe qu’il a aux gens et à son absence d’émotions, et à des choses comme ça, ont résonné dans des choses chez moi qui étaient extrêmement personnelles et d’une manière que j’ai trouvé vraiment touchante en fait. La première saison, après ça partait sur autre chose.
Comme quoi de temps en temps, c’est en allant vers des personnages vraiment troubles qu’on peut toucher à des choses très justes. Et je dirais que mon expérience, moi dans l’écriture – ou même en tant que lectrice d’ailleurs – c’est que les personnages qui prêtent le plus à ce qu’on puisse s’y reconnaître et à résonner chez le lecteur sont ceux qui ont le plus d’aspérité, c’est ceux qui vont jouer sur les émotions complexes, sur les choses qu’on n’ose pas montrer, souvent. Au contraire, plus on va chercher à faire quelque chose qui soit consensuel, souvent moins on va réussir à toucher les gens finalement.
LD : Je signe entièrement à tout ce que tu dis et tout ce que vous dites depuis le début, c’est-à-dire autant j’étais un peu agacé par cette remarque qu’on m’a faite, comme quoi t’écris un texte qui est censé être destiné aux ados, c’est forcément être des ados. Attends, les ados sont pas cons, ils sont capables d’avoir des capacités d’empathie. J’avais un personnage qui était plutôt de l’âge de leur grand-père, je me disais, attends, en général, ils en ont des grands-parents, donc ils peuvent peut-être s’imaginer et se mettre à leur place. Enfin, je ne vois pas le problème là-dessus.
Par contre, si on parle d’ados, bah ouais, grave, on représente effectivement toute la diversité dont tu parlais Estelle avant : LGBT+, les questions de mixité, etc. Et j’aime bien ce que tu disais sur le fait de tirer vers le haut.
Ça me rappelle une intervention qu’avait faite Alexandre Astier il y a très longtemps où, en une manière typique d’Alexandre Astier, il râlait sur une certaine forme de télé-réalité. J’essaierai de retrouver l’intervention, de la mettre dans les notes. Je vous préviens, il n’est pas très tendre, c’était contre les présentatrices de C’est du propre ! Mais quand même, à côté de son côté grognon habituel, il disait un truc que je trouvais vachement inspirant, il disait : « ce serait quand même bien qu’à la télé, on ait des choses qui nous inspirent et qui nous tirent plus haut »[2]. Et ben ouais, carrément !
EF : Après aussi, je trouve que dans ce que je disais sur la représentativité, le fait d’essayer de donner tout un panel pour que plein de gens puissent être représentés, pour moi, ce n’est pas du tout contradictoire avec le fait, en tant que lecteur ou lectrice, de chercher justement à sortir de sa carcasse et à aussi aller comprendre des personnages qui ne sont pas nous. Parce que plus on enrichit le champ des personnages, plus il est divers, plus il est représentatif du monde tel qu’il est aussi, plus pour les lecteurs – j’espère en tout cas, et je veux croire que pour le lecteur qui est le mec blanc hétérovalide de base –, c’est aussi beaucoup plus intéressant de pouvoir avoir accès tout à coup à un champ de personnages qui est beaucoup plus vaste que sa propre expérience, et de se dire : « mais je peux essayer de sortir de ma carcasse et de me projeter dans l’expérience de tous ces persos qui ne sont pas moi ».
De toute manière, tout le monde y gagne parce qu’en tant que lectrice, pour le coup, j’adore me projeter dans des persos qui sont super éloignés de moi. C’est une des raisons principales pour lesquelles je lis. Et donc, plus les autrices et les auteurs feront des persos variés, plus aussi les lecteurs pourront avoir des expériences variées. Donc finalement, les deux marchent ensemble main dans la main.
LD : Je suis entièrement d’accord avec toi. En fait, je pense que derrière, et ça nous ramène à une notion que je trouve belle, c’est que finalement, au bout du compte, à mon sens, ce qui est chouette à faire, ce n’est pas tellement d’identifier, c’est plus finalement d’inspirer.
MF : J’ai tendance à dire de résonner, mais oui, inspirer. Inspirer, effectivement, les deux d’ailleurs.
EF : J’aime bien résonner aussi.
LD : J’aime bien les deux. Faire ressentir des trucs.
EF : Ouais, tout à fait.
MF : « La littérature, c’est faire ressentir des trucs », Lionel Davoust. [rires] C’est magnifique. Mais c’est très juste. Très belle conclusion.
LD : Je l’ai piqué à Bruce Holland Rogers, qui disait, pour moi, une des plus belles définitions de la littérature, j’en ai parlé dans un épisode précédent. Je pense qu’il disait : «Pour moi, mon travail, c’est d’utiliser les mots de manière calculée pour faire ressentir des trucs à mon lecteur avant qu’il s’en rende compte ».
MF : Ah ! joli.
LD : Petite citation pour terminer ?
MF : Une citation de Paul Nizan qui nous dit : « L’homme qui écrit, ce n’est pas moi. C’est un autre « je », c’est le protagoniste de mes livres, une sorte d’invention. Pour exister, il faut qu’il soit physiquement ailleurs, qu’il se sente étranger ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !
[1] Note de Symphonie : Pour en savoir plus, je vous conseille le livre de Mélanie Fazi Nous qui n’existons pas, qui traite en partie de cette problématique (publié en 2018, ed. Dystopia). J’en avais aussi parlé ici.
[2] Alexandre Astier chez Jean-Marc Morandini https://www.youtube.com/watch?v=pdREfg7ZXIM
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