
Les liens vers l’épisode S02E09 : Script : Télécharger / Audio : Youtube ; Elbakin
Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
S02E09 : Les personnages en groupe
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)
Vous écoutez Procrastination, Saison 2 Episode 9 : Les personnages en groupe.
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Alors, on a parlé des personnages… C’est évidemment un sujet inépuisable, mais on a donné quelques briques de base très élémentaires dans la saison 1. Là on voulait s’attaquer à la notion de groupe de personnages, la notion de dynamique de groupe. Comment un personnage s’inscrit dans un groupe ? Comment un groupe fonctionne-t-il ? Comment est-ce qu’éventuellement on peut gérer ça ? L’idée de groupe de héros est relativement courante dans les genres de l’Imaginaire, et je pense que ça l’est d’autant plus depuis 20-30 ans, notamment en Fantasy. Je pense que ça découle de l’influence des jeux de rôle, où on a le groupe de personnages. Alors évidemment, c’était déjà le cas chez Tolkien avant l’invention du jeu de rôle, mais c’est quelque chose qui s’est d’autant plus marqué. Mais la notion de groupe de personnages agissant ensemble – ou pas – peut se retrouver dans tous les genres et tous les récits.
Qu’est-ce qu’une dynamique de groupe intéressante entre des personnages ? On parle donc du coup a priori de gens qui agissent plus ou moins ensemble, sinon ce n’est pas un groupe, ce sont des opposants.
Laurent Genefort : Bonne question, parce qu’en fait, ça peut être tout et n’importe quoi. Un groupe c’est quelque chose de plus qu’une somme d’individus. Ça veut dire que c’est quelque chose qu’on va pouvoir traiter à la fois individuellement et en groupe, c’est ça qui est intéressant. Et donc ça pose le problème de la coopération et de l’autorité. C’est-à-dire le conflit entre intérêts collectifs et intérêts personnels. Donc pour moi, le groupe a ceci d’intéressant de permettre de développer le rapport psychologique et politique au monde, de chacun des personnages. C’est ça qui est intéressant, je trouve. Je trouve que le groupe, c’est quelque chose d’intéressant parce qu’il comporte aussi des pièges. Par exemple, quand on crée un groupe, on peut avoir la tentation de multiplier les personnages pour faire avancer une histoire. Mais en fait c’est une fausse solution, parce qu’en réalité, on va multiplier les interactions, forcément, mais plus on rajoute de personnages plus ces interactions deviennent exponentielles.
LD : Oui, la combinatoire devient…
LG : Exponentielle, voilà, donc c’est une fausse solution de penser que parce qu’on va ajouter des personnages, ça va ajouter de la matière. En réalité non. Parce qu’il y a aussi une problématique dans le groupe, dans la multiplicité des personnages, qui est qu’un personnage est à la fois une instance, un personnage en soi, mais aussi il représente quelque chose dans le groupe. C’est une instance. Alors sans aller dans les extrêmes comme « le bon », « le méchant », il va représenter par ses caractéristiques psychologiques une tentation d’aller vers une direction. Donc c’est là où c’est intéressant, mais c’est aussi un piège, notamment quand on les multiplie.
Moi personnellement… Alors j’ai beaucoup créé de groupes dans mes romans de Science-Fiction, c’est souvent des histoires de groupes. J’ai expérimenté des fois par exemple… Dans Arago, je m’étais dit : je vais faire quinze personnages de premier plan sans aucun personnage qui se détache vraiment. C’était une expérimentation, ça n’a pas très bien marché.
(rires)
LG : Et après je suis revenu à quelque chose de plus humain, on va dire. Pour moi personnellement la taille maximum d’un groupe, dans un roman de 300-400 pages, c’est 5 ou 6. Au-delà, ça devient difficile de se mettre successivement dans la peau de chacun des personnages, je trouve. Même si on peut le faire. J’ai essayé de le faire avec Arago, ça n’a pas très bien marché.
Mélanie Fazi : Je suis d’accord sur ce que tu viens de dire. Je trouve ça très intéressant ce que tu dis sur la philosophie du rapport au monde apportée par chacun. Il y a une chose que je trouve intéressante et en même temps extrêmement casse-gueule dans cette notion de groupe, c’est la question de l’utilité du personnage et du rôle qu’il a à l’intérieur du groupe, qui effectivement peut faire tendre vers la caricature de jeu de rôle par moment. On va avoir le gros bourrin qui tape, on va avoir l’intello, on va avoir tout ça. Sauf que quand je prends des exemples d’histoires qui m’ont marquée, justement au niveau du groupe, on retrouve ça de manière souvent un peu plus subtile. On va souvent avoir le héros central etc., on va avoir un personnage qui a des connaissances dans un domaine et à un moment, ça va ressortir…
Un type d’interactions que j’aime beaucoup, et je pensais à ça dans un roman que je traduis actuellement, où on a par exemple des personnages qui ont un peu un effet comique, parce qu’ils ont des caractéristiques qui sont vraiment too much. On a ce personnage par exemple qui est anxieuse à un tel point qu’elle passe son temps à faire des listes de choses qui pourraient se produire.
(rires).
MF : Il y a une espèce de superstition « si je prévois toutes les catastrophes, au moins il va se produire une catastrophe contrôlée ». Les cent premières pages on rigole, et arrive un moment où régulièrement ce personnage va se trouver avoir sous la main l’objet auquel personne d’autre n’a pensé, parce qu’on a suffisamment bien amené le fait que ce personnage est comme ça. Il peut y avoir des manières assez subtiles d’amener ces choses-là, et je trouve ça très intéressant comment on peut ancrer un personnage dans un rôle sans pour autant tomber dans cette espèce de caricature.
LD : Je pense que le problème des « groupes de jeu de rôle », c’est-à-dire le côté un peu mécaniste, où il y a l’intello, le guerrier, etc, – d’ailleurs c’est assez marrant, c’est quelque chose qu’on ne voit pas autour d’une table de jeu de rôle en réalité – c’est créé par le fait que c’est un groupe de héros qui vont tous agir communément pour le même truc, et en fait finalement c’est jamais qu’un seul et même personnage avec plusieurs facettes. Il y a un bras qui tient un livre de sorts, un bras qui tient une épée etc. Ce qui à mon avis donne beaucoup plus d’intérêt de vie et de carburant au fonctionnement d’un groupe, c’est ce que tu disais Laurent, c’est tout ce qui va créer du conflit. On n’est jamais 100% d’accord, y compris avec ses potes. Et tout ce qui va créer du conflit, c’est-à-dire peut-être sur la manière de procéder, ou sur différentes visions du monde… Il n’y a pas de mystère, pourquoi le buddy movie, le film avec le bon flic et le méchant flic… Moi je prends fréquemment pour exemple le film l’Arme Fatale. Est-ce que quelqu’un se rappelle des méchants de l’Arme Fatale ? Non, tout le monde s’en fout. Tout ce qui compte dans l’Arme Fatale c’est la relation conflictuelle entre Riggs et Murtaugh. Ils sont unis par un même but, mais ils sont diamétralement opposés. C’est ça qui fait marcher le truc.
LG : Alors, est-ce qu’un groupe commence à partir de deux ?
LD : Moi c’est un exemple extrême, mais…
LG : Je me pose la question, parce que voilà, un tas de sable ça commence à partir de trois, en fait. Pour moi un groupe c’est plus une sorte de matrice de personnages qu’on va jeter dans une situation, qui vont voyager, il va leur arriver des choses, et des personnages vont se détacher en fonction des réactions les plus intéressantes face à ces… Et souvent d’ailleurs, des fois ça redéfinit même le héros d’une histoire, où on va se dire « ah ! tiens ce personnage qui était secondaire, il commence à devenir intéressant ». Parce qu’il va évoluer à l’intérieur, il a sa propre progression dramatique. Et la progression dramatique d’un personnage, elle peut nous surprendre aussi. Moi ça m’est déjà arrivé plusieurs fois qu’un personnage qui était secondaire, tout à coup va commencer à être intéressant et à émerger de cette espèce de creuset. Pour moi, un groupe c’est un creuset de personnages.
LD : Tout à fait.
MF : Moi j’allais rebondir sur ça, quand on avait parlé des personnages j’avais donné un exemple… Je reviens toujours à cet exemple parce que pour moi c’est ce que je connais de plus parlant. Ce qu’a fait Joss Whedon avec ses personnages dans Buffy. En matière de création de groupe et d’interactions de personnages c’est vraiment un modèle. Et quand j’écoutais ce que tu viens de dire sur les personnages secondaires, c’est typiquement le personnage de Willow, en fait, qui au départ est la bonne élève, qui est là parce qu’elle connaît des choses, c’est l’intello du groupe, et qui va se détacher jusqu’à devenir un personnage extrêmement dangereux vers la fin, et extrêmement riche. C’est une progression de personnage secondaire absolument grandiose. Et moi ce que je retiens quand je regarde typiquement Buffy et le fonctionnement du groupe, c’est de se rappeler que chacun à sa philosophie et c’est une chose, mais chacun a sa propre vie en dehors, a sa vie dans le groupe et en dehors du groupe, et chacun va à un moment donné traverser des problèmes personnels – je ne sais pas, des ruptures, des choses comme ça – qui influent aussi sur le rapport au groupe, qui influent sur le rapport à l’histoire. Et je trouve que c’est intéressant de se rappeler que quand on écrit de manière un peu maladroite des personnages en groupe, on a tendance à, soit tout focaliser sur le héros, les personnages ne réagissent que par rapport au héros, ou que par rapport à la quête. Et ce que montre bien Buffy notamment, c’est que non, un personnage peut être complètement obnubilé par ce qui se passe dans sa vie, du coup il peut sortir plus ou moins de l’interaction du groupe, du coup il y a des alliances qui se forment parce qu’il y a des rancœurs, des choses comme ça, il y a ce côté extrêmement vivant qu’il ne faut pas oublier. Un personnage a une vie en dehors du groupe et en dehors de « la quête ».
LD : Tout à fait, il a une volonté, un ou des objectifs, mais qui ne sont effectivement pas forcément liés à la quête. La quête peut juste être le problème du moment – la quête ou l’objectif final en sortant de la Fantasy –, il y a également des moyens, c’est-à-dire que ce qu’il est va nourrir la façon dont il va se comporter, réagir avec les autres, et réagir à l’objectif. Ça peut être une façon extrêmement dense de démontrer ce que le personnage est, de façon beaucoup plus riche et beaucoup plus intense – ça nous ramène à l’épisode sur le « Show don’t tell » de la saison 1– par l’exemple plutôt que par la bête description
MF : Il peut y avoir des personnages qui ne sont absolument pas d’accord sur la manière dont il faut résoudre quelque chose, il peut y avoir des jeux justement d’accords/désaccords, d’alliances, de trahisons, toutes ces choses-là qui peuvent…
LD : C’est là où c’est le plus intéressant.
MF : Oui, exactement.
LG : Et puis ça trahit… j’allais dire que ça traduit une certaine idéologie. Quand on développe des personnages uniquement dans le conflit, ça traduit un rapport au monde conflictuel. Quand on oppose la coopération au conflit, ou à la notion d’autorité, là on est je trouve plus dans une complexité du monde, dans un rapport plus complexe au monde. Je trouve que ça oriente aussi un certain type de fiction, la façon dont les groupes sont pensés.
LD : Tout à fait, et c’est ça qui est intéressant. Pour en revenir sur ce que tu disais aussi, sur le piège de multiplier des personnages, il y a aussi un autre truc que ça entraîne, c’est que plus on a de personnages plus on a de promesses narratives. Et plus on a de promesses narratives, plus il va falloir les « payer » et les conclure, et à un moment le récit peut tout à fait s’écrouler sous son propre poids.
LG : Ou souvent les personnages s’engloutissent eux-mêmes dans la fiction, on en n’entend plus parler d’une certaine manière.
LD : Oui.
LG : Un autre « danger » aussi, c’est que les personnages, en se complexifiant, finissent par se ressembler par leur complexité-même, en fait. Ils perdent l’instance qu’ils représentaient au début, le côté clairement reconnaissable. Ça aussi c’est paradoxal, parce qu’on recherche toujours des personnages de plus en plus complexes, c’est ça qui est intéressant aussi, de les enrichir, mais dans un groupe ça peut aussi poser problème de reconnaître les personnages. Et au final, ils peuvent faire des choses redondantes. Donc le danger c’est qu’ils finissent par devenir interchangeables par leur complexité même, donc on navigue entre le danger de la caricature et le danger de l’uniformisation. 11mn04
MF : Il y a une chose… Alors, ça dérive légèrement par rapport à ça, il y a quelque chose que j’aime beaucoup à partir du moment où on a un groupe de personnages, c’est jouer sur les points de vue. Par exemple, je traduisais à une époque une série de romans de Kelley Armstrong que j’avais trouvée très intéressante parce que pratiquement dans chaque roman elle changeait de narrateur – de narratrice en l’occurrence, car c’était toujours des femmes. Et à chaque fois c’était un personnage qui était secondaire au départ, qui là venait au premier plan. D’un seul coup on avait sa vision de tout le reste, sa vision des autres personnages, et ça enrichissait l’univers, et ça enrichissait les relations parce que finalement on n’était plus dans une narration monolithique.
LD : Faudra presque que vous ouvriez une boite de Pandore, mais ça va dans le sens que finalement, il n’y a pas de personnages secondaires. Il y en a peut-être par rapport à l’intrigue, mais ça veut dire que même un personnage secondaire doit avoir un soin certain. On doit lui attribuer une volonté, des moyens, un passif, le passif dictant en général le rapport au monde et donc la manière dont on va l’aborder, et le rapport avec les autres personnages.
Sur la complexité des groupes, si je résume un peu ce que tu disais Laurent, est-ce que c’est le fait qu’un groupe étant un ensemble d’éléments qui sont les personnages, est-ce que la complexité découle justement simplement de l’interaction entre ces éléments-là, ils n’ont pas besoin d’être complexes individuellement pour que ça fonctionne, et qu’au contraire ça nuit à la clarté de lecture.
LG : Oui, en fait on peut varier les deux, j’allais dire.
LD : Oui, oui.
LG : Souvent, on a l’un ou l’autre en fait, on a rarement les deux parce que ça devient ingérable au bout d’un moment. Encore une fois, à partir de trois personnages, on a déjà une infinité de variations en réalité.
LD : Oui, complètement.
LG : L’avantage des groupes larges c’est que ça étend l’univers de manière générale, les groupes reflètent le monde aussi, en fait. C’est ça aussi qu’il ne faut pas oublier, et que plus le groupe est large, c’est aussi une manière de dire « l’univers est large aussi » en fait.
LD : Sur la notion de conflits – c’est un truc dont il faudra probablement qu’on parle plus en détails, mais quand il y a du conflit dans un groupe, c’est à voir comme un désaccord, mais pas quelque chose de frontal, ou un affrontement vraiment. J’ai noté dans mes notes : « le (pas compris) de lattes, ça marche pas à plus de deux ». Deux personnes peuvent s’engueuler, mais trois ça ne marche plus, et cinq c’est même pas la peine. En général, s’il y a un affrontement, il y a toujours deux camps, il y a des gens qui vont se rallier plus à l’un ou plus à l’autre en fonction de leurs affinités, mais déjà là-dedans il peut y avoir une divergence sur la manière de procéder. Ce sont ces divergences-là qui font le sel d’un groupe, je pense.
Alors, pour terminer une petite citation. C’est un peu amusant, en fait, on est allés très au-delà de l’écriture, c’est une citation de Suzanne Gerke, responsable du développement du leadership chez IBM, qui nous dit quelque chose qui peut être utile puisqu’elle nous parle de management : « Le conflit est inévitable dans une équipe. En fait, pour construire des solutions en synergie, il faut toute une variété d’idées et d’approches. Ce sont les ingrédients du conflit ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant assez procrastiné, allez écrire !
Pingback: Vous lisez Procrastination, le podcast sur l’écriture en 15 minutes – Liste des épisodes transcrits (MAJ 15/04/2023) | L'Imaginaerum de Symphonie