Vous lisez Procrastination : S03E02 – Pourquoi écrire ? partie 2

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Liste des Episodes transcrits

Suite et fin des questionnements sur le rôle de l’écriture et de l’écrivain, tant dans le monde que pour la personne. Lionel se hasarde vers la mystique, en parlant du rôle créateur de sens de la fiction ; Mélanie évoque l’autre versant, les contraintes relatives à la profession d’auteur, et la manière dont le plaisir peut s’articuler et évoluer au fil de la carrière. Laurent prolonge cette réflexion sur le dépassement des premiers écrits, parfois issus d’un jaillissement primal : car c’est dans cette persévérance que peut se trouver l’écrivain professionnel.
Nos excuses pour l’invitée surprise, la perceuse du troisième étage, et ses interventions inarticulées. (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S03E02 : Pourquoi écrire ? partie 2

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Plokie)

Vous écoutez Procrastination Saison 3, Épisode 2 : Pourquoi écrire ? partie 2

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Mélanie Fazi : Ma plus grande surprise ça a été de m’apercevoir qu’effectivement, comme tu dis, on est une goutte d’eau dans l’océan, mais qu’en même temps chaque écrivain a quelque chose de très spécifique à apporter que le voisin n’apportera pas. C’est souvent ça que le lecteur nous renvoie, et ça a été ma plus grosse surprise en publiant.

Lionel Davoust : La seconde réflexion m’est venue en discutant avec des jeunes auteurs qui me disaient « tout a déjà été écrit, tout a déjà été dit », etc. Alors, oui, en un sens, on peut dire qu’il y a un certain nombre d’histoires archétypales ou un certain nombre de problématiques humaines qui sont extrêmement vastes mais dont le nombre est peut-être fini, donc du coup comment est-ce qu’on écrit une énième histoire d’amour en 2018 ?

Mais toute la particularité pour moi, toute la force, et tout l’intérêt de la littérature, c’est que j’ai l’impression que plus on va taper dans sa propre vérité, dans ses propres questionnements, c’est-à-dire plus on apporte quelque chose de personnel et paradoxalement, plus on touche à l’universalité. C’est un peu les choses que je vais chercher, et j’arrive à toucher ça quand j’arrive à mettre le plus possible mon ego et mon esprit conscient de côté, étonnamment.

C’est une forme de paradoxe assez passionnant je trouve dans l’exercice de l’écriture : plus on a un personnage qui est tranché, avec un parcours personnel, plus il est compréhensible et plus il va toucher un vaste nombre de personnes. Ce qui en dit beaucoup sur la capacité d’empathie de l’humanité, ce qui est quand même assez rassurant, je trouve.

MF : Avec l’expérience, j’en suis arrivée exactement à la même conclusion, du coup je repense à quand j’ai commencé à publier avec un peu d’ironie. Par exemple la nouvelle fantastique dans mon cas, on me disait : « mais personne ne fait ça actuellement, tu ne veux pas essayer de faire les trucs qui sont à la mode ? », etc.. Or je m’aperçois avec l’expérience que c’est en insistant pour faire ce que je savais faire, et ce que je sentais pouvoir faire, que j’ai fait quelque chose en fait. On a vraiment cette tendance à essayer de dire « ben non, essaie plutôt de rentrer dans cette case-là » et que souvent ce qui va rester, ou en tout cas ce qui va se distinguer un petit peu, c’est ce qui est à côté de la case, ou ce qui est complètement en dehors.

LD : Tout à fait. Et c’est parfois même d’ailleurs des choses qu’on ne contrôle pas…

MF : Oh oui !

LD :… et énormément de choses qu’on ne contrôle pas et qui justement ne peuvent – on en a déjà un peu parlé, c’est un peu le running gag en ce qui me concerne – pas émerger organiquement.

(Rires)

MF : Je suis fan de cette expression !

LD : À partir du moment où on lâche prise, ce qui est probablement plus facile pour un jardinier que pour un architecte, je pense. C’est l’histoire de ma vie de réussir à ne pas me mettre en travers de mon propre chemin. Il faut beaucoup de discipline pour lâcher la discipline.

Alors, on a parlé pas mal des questions thérapeutiques, évidemment il y a aussi une question de plaisir.

MF : Oui, forcément.

LD : Et ça fait aussi partie des joies. Moi je fais partie des gens pour qui écrire est quand même difficile – et pas douloureux – mais qui ne m’est pas naturel.

Laurent Genefort : Mais je ne crois pas que ce soit naturel à grand monde.

LD : Le terme est mal choisi.

LG : Il y a des écrivains-nés, on en a déjà parlé sur ce podcast, des gens qui s’imaginent en train d’écrire alors qu’ils ont 7-8 ans, vraiment des écrivains-nés, mais il y a beaucoup d’écrivains – même professionnels – qui ne sont pas des écrivains-nés.

LD : C’est même un grand nombre j’ai l’impression, quand on parle avec les camarades.

LG : Même au niveau neurologique, on sait que l’écriture ce n’est pas quelque chose de naturel. C’est quelque chose réellement qui s’apprend alors que l’oralité, elle, elle est naturelle. Si on regarde ce qu’il s’est passé pour les crèches de Ceausescu[1] : des gamins, des bébés, qui étaient laissés ensemble dans les crèches, personne ne s’occupait d’eux et ils avaient fini par créer leur propre langage, par inventer un langage. Ça n’arriverait pas si on met des illettrés ensemble, ils ne vont pas créer une écriture. C’est quelque chose qui est une nécessité civilisationnelle mais pas psychologique. L’écriture n’est pas quelque chose de psychologiquement universel.

MF : Selon les gens, j’ai l’impression qu’il y a une partie du processus qui va être vraiment très spontané et lié à beaucoup de plaisir. Mais le processus de A à Z, tout le processus qui mène du début d’idée au texte prêt à être publié, je pense que ce n’est pas 100 % du plaisir pour qui que ce soit. Et je dirais que c’est une des choses dont on doit prendre conscience au moment où on a ce point de bascule entre « j’écris mes premiers textes tout seul dans mon coin et personne ne les voit » à « j’écris pour être publié », il y a l’apprentissage de toutes les contraintes qui vont avec. Et pour moi il y a ça, dans le processus il y a du plaisir quelque part sinon pour ce que ça nous rapporte d’argent, on ferait autre chose. Il y a du plaisir quelque part, mais ce n’est pas que du plaisir, et pour moi, devenir écrivain professionnel c’est aussi se rendre compte de ça.

LG : Ah bah oui ! Et puis de toute façon l’expérience montre que souvent les premiers romans, ce sont souvent des romans de jaillissement, ce sont souvent des romans où le plaisir est le plus pur, ça sort tout seul, c’est quand même souvent le cas. C’est à partir du deuxième où on peut considérer qu’on devient écrivain, une fois qu’on a écrit son roman, son fameux roman, ou sa nouvelle, son poème ou peu importe. À partir du moment où on dépasse ça, où on dépasse la petite giclée de sperme littéraire…

(rires)

MF : Il y a un peu de ça.

LG : C’est après que ça devient intéressant, et qu’on devient – ou pas – un écrivain, si on n’a pas épuisé toute sa capacité de l’être.

LD : Tu parlais Mélanie des gens qui écrivent parfois pour se sortir de l’impasse, c’est vrai. On parle des fois des auteurs qui ont eu un, deux, trois, quatre, cinq bouquins qui ont été des fulgurances et qui ne peuvent plus écrire après. Quand on leur parle, ce qui revient fréquemment c’est « je n’ai plus rien à dire ». Et bien sûr qu’il y a toujours des choses à dire. Ce qui n’est pas un mal, ce n’est pas un jugement de valeur. Ça peut sonner comme un jugement de valeur, mais ce n’est pas du tout le cas. Mais en tout cas cette impulsion ne s’est pas transformée en autre chose qui aurait pu permettre à ces gens-là de continuer à écrire, ce qui n’est pas un jugement de valeur. L’idée c’est aussi, comme on l’a dit, de se faire plaisir, et si les choses ont été dites et qu’on n’a plus envie de dire autre chose, il n’y a pas de problème, il n’y a pas d’obligation à sortir un bouquin par an.

MF : Et c’est beaucoup lié à un parcours personnel. On en a parlé dans d’autres épisodes, j’en suis de plus en plus intimement persuadée, c’est qu’on évolue en tant que personne. Au-delà des questions simplement de « je commence à écrire pour un public donc le processus change », on change en tant que personne au fil du temps et si l’écriture ne reflète pas ça d’une manière ou d’une autre et reste constante, je trouve ça un peu dommage. Les écrivains les plus intéressants sont souvent ceux qui changent avec ça. On peut s’apercevoir d’un seul coup que ce qui nous a paru naturel toute notre vie, on n’y arrive plus, et parfois on va retrouver quelque chose de plus naturel ailleurs. C’est quelque chose qui se voit aussi et qui ne peut pas être prédit à l’avance justement.

LD : On évolue aussi vachement comme personne. C’était une discussion que j’avais eue dans les commentaires d’un de mes articles qui m’avait assez surprise, où j’arguais – ce qui pour moi était une évidence mais qui apparemment ne l’était pas – ce qu’est la personne et son évolution personnelle dans sa vie, dans ses expériences, et carrément son être au monde, son attitude avec le monde, pour moi influe, joue, alimente l’écriture et inversement l’écriture alimente cet être au monde… Le côté paradoxal et aussi un des plaisirs de l’exercice vient du fait que l’écriture est faite par une personne dans une sphère personnelle, dans une vie donnée, un endroit, etc. Cette personne va forcément alimenter l’écrit, mais l’écrit derrière, parfois, donne l’impression d’être canal pour quelque chose de plus vaste. Ça m’est arrivé assez fréquemment, c’est quand même un truc assez mystérieux, que des personnages dans mes bouquins comprennent des trucs que moi j’ai mis parfois deux-trois ans de plus à comprendre consciemment après. Comme si l’histoire, l’exercice de la construction de l’histoire, et l’exercice de la plongée ou ce qu’on veut – quand je dis ce qu’on veut, c’est plonger dans cette espèce d’espace où je ne sais pas, appelons ça l’inconscient pour ne pas être mystique – comme si la plongée mettait en lien avec des choses qui sont plus universelles. C’était une réponse que j’avais dite : « j’écris des bouquins pour que mes histoires comprennent des trucs que moi en tant qu’individu je suis trop limité pour comprendre ».

LG : Peut-être c’est juste de se projeter en dehors de soi pour aller voir et rencontrer d’autres personnages, pour incarner d’autres personnages, qui suffit pour faire ce pas de côté et se voir de l’extérieur.

D’ailleurs, pour en revenir à une autre étude sur l’empathie que j’avais lu – enfin les conclusions d’une étude – qui montrait que les gens qui lisaient beaucoup avaient plus d’empathie que les gens qui ne lisaient pas parce que lire te mets dans la peau d’un personnage, donc te fait te sortir de toi, donc te confronte à des expériences que d’autres vivent et après c’est plus facile de se mettre à la place des autres dans la réalité.

MF : Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure sur l’idée d’essayer de transmettre des choses qui sont parfois compliquées à dire autrement. À travers la littérature on peut faire passer ces idées ou ces sensations, ou que sais-je encore, de l’auteur au lecteur, effectivement.

LD : Cette idée de transmission, c’est une question vieille comme le monde. La transmission c’est à la fois pour aller vers l’autre mais c’est aussi pour toujours aller vers soi, bien sûr. On transmet pour essayer de donner ou de partager quelque chose avec quelqu’un, ce faisant on le fait pour son plaisir – faute de meilleur terme – au sens très large, comme on le fait dans l’espoir d’établir un pont et c’est toute la base d’un échange, quel qu’il soit.

MF : J’avais envie de dire aussi – ce que tu disais tout à l’heure me faisait penser à ça –, pour moi dans « pourquoi écrire ? » et dans « pourquoi continuer à écrire ? », il y a une question du rapport aux autres. Ça définit quelque chose d’une place qu’on a dans le monde, qu’on a trouvée à un moment donné et je sais que chez certains écrivains – et moi c’est en partie mon cas – dans la peur panique qu’on a de ne plus pouvoir écrire, il y a la peur de ne plus avoir ce rôle-là, de ne plus avoir ce lien avec les autres très particulier qui a été induit par l’écriture. Au bout d’un moment on a appris à fonctionner dans le monde à travers ce rapport-là et à vivre peut-être dans la peur que ça s’arrête, non seulement l’acte d’écriture, mais la place bien particulière que ça nous donne dans le monde.

LG : Mélanie, tu vas faire de moi un angoissé à la fin de ce podcast.

MF : (rires) Désolée !

(rires)

LD : C’était une réflexion que j’avais lue de loin en loin quand j’étais plus jeune avec des cheveux chez d’autres auteurs disons une vision un peu poétique, mystique, de la chose, disant que les histoires venaient peut-être d’ailleurs… Bon, qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas, on peut dire que l’ailleurs c’est juste l’inconscient. Peu importe la raison, ce qui est intéressant c’est le mécanisme.

Pour parler du rôle, moi j’ai fini par accepter que l’auteur, le raconteur d’histoires au sens large, joue peut-être un peu dans nos sociétés modernes désenchantées – c’est un peu triste de dire ça – le rôle du chaman. C’est-à-dire que le chaman a un effet fédérateur sur sa tribu parce qu’il raconte, il ramène des histoires. Il est allé les chercher dans le peyotl[2] ou juste en regardant les nuages, et il raconte des histoires, il crée du sens, il crée du liant pour les gens qui sont sa tribu – ses lecteurs, si on veut – et partage avec eux ces choses-là. Il y a un côté « je suis allé ailleurs, j’ai trouvé des cailloux sur la route, je vous les ramène et faites-en ce que vous voulez ». Sans entrer dans le côté mystique – ou alors on peut entrer si on veut, mais on n’a pas besoin d’aller là – le rôle social de l’auteur et du raconteur d’histoires pour moi se rapproche un peu de ça. C’est « je suis allé ailleurs, j’en ai ramené des histoires à partager avec vous et voyons ensemble ce qu’on en tire ». Moi j’écris parce que j’ai des questions, en fait, beaucoup.

LG : Citation ?

LD : Citation pour terminer ?

MF : Alors, citation de Félix Leclerc, qui dit « Écrire est un métier pénible avec ou sans génie. Avec, c’est encombrant. Sans, c’est frustrant ».

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis – désolé pour le bruit de la perceuse. Assez procrastiné, allez écrire !


[1] Scandale des orphelinats roumains suite à la politique nataliste de Ceausescu, découvert à l’occasion de la révolution roumaine de 1989.

[2] Je pense que Lionel fait référence au peyotl, un cactus aux propriétés psychotropes et hallucinogènes qui était utilisé dans des rituels amérindiens (note de Symphonie).

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