Visqueuse, Morgane Caussarieu

Visqueuse (2024, Au diable vauvert)

Autrice : Morgane Caussarieu, Française

Fantastique/Horreur, One-shot

Illustrations : Morgane Caussarieu

La capture d’une étrange sirène des marécages, aussi fascinante que monstrueuse, fait basculer la vie d’Arsène. Séquestrée dans une cave, la créature va devoir survivre hors de l’eau, dans le monde impitoyable des hommes. Elle sera l’objet de toutes les convoitises, jusqu’à attirer l’attention d’une nonne-naturaliste.

Mon avis

J’ai toujours été fascinée par les créatures et les monstres, et j’ai commencé à regarder des films d’horreur dès que j’ai eu l’âge requis sur les jaquettes des cassettes, avec une prédilection pour, bien sûr, les films de monstres et d’attaques animales. Avec le recul, je me demande si je ne ressentais pas avec ces personnages une espèce d’affinité… liée à des handicaps qui ne seraient diagnostiqués que bien plus tard.

Le présent livre se divise en trois parties, et monstres, films de monstres et handicaps y ont la part belle. D’ailleurs, l’une des protagonistes rencontrée dans la première partie se révèle être une jeune fille handicapée par une vieille blessure à la jambe qui la fait boiter, harcelée et mise à l’écart à cause de sa « monstruosité », qui va trouver refuge dans le cinéma… et les films de monstres, donc. Fatalement, j’ai ressenti immédiatement une certaine sympathie pour Huguette, tout en redoutant ce que l’autrice lui réservait.

Un autre personnage handicapé fait bientôt son apparition, même si vous ne l’identifierez peut-être pas comme telle au début. En effet, le père d’Huguette, hautement toxique et violent, tombe sur une jeune femme étrange vivant dans l’étang, dotée d’une queue hybride entre celle d’un serpent et d’un poisson, au front ornée d’une escarboucle précieuse, très à l’aise dans l’eau mais bien handicapée sur la terre ferme. Bien sûr, ce ne peut être que la vouivre, cette créature de légende qui cache un miraculeux trésor… Il décide donc de la ramener à la maison, et c’est le début de l’enfer pour cette pauvre femme.

Ce n’est pas le premier livre de Morgane Caussarieu que je lis, donc je savais à quoi m’attendre, mais c’est vraiment un livre pour public averti. Les violences à l’égard de la « vouivre » s’enchaînent, avec des scènes extrêmement dérangeantes et détaillées, et vous trouverez d’ailleurs une liste non exhaustive des TW en fin d’article. (Note : la protagoniste n’est nommée qu’à partir de la 3e partie, donc je préfère ne pas donner son nom dans l’article).

Mais ce roman n’est pas que sordide, puisqu’il est aussi extrêmement riche, décrivant plusieurs dynamiques de domination dirigées contre des personnes en position de faiblesse (femmes et personnes handicapées en premier lieu, mais aussi personnes LGBTIA+, personnes aux physiques « atypiques » – ce n’est pas anodin s’il y a tout un passage avec un cirque de Freaks -, enfants, ou encore animaux), et aussi plusieurs types de « monstruosités ».

L’un des points que je trouve particulièrement intéressants, c’est que tous les protagonistes peuvent être considérés comme des monstres, monstre signifiant ici « en dehors de ce qui est considéré comme la normalité » (je vais mettre beaucoup de guillemets partout, hein, et j’espère que je vais réussir à être la plus claire possible sur ce que je veux dire), que ce soit à cause de leur corps, de leurs attirances sexuelles, ou encore de la violence qu’ils manifestent et/ou qu’ils ont subie et dont ils sortent traumatisés. Et ça incite aussi à s’interroger sur les notions de normalité ou de monstruosité, des notions plus ou moins arbitraires qui minimisent la complexité de la réalité.

Un détail que j’ai beaucoup aimé, et qui se trouve dans la 2e partie, c’est que même à la marge… il faut quand même manifester une « marge attendue ». La protagoniste est un entre deux entre une vouivre et une sirène, ni tout à fait serpent, ni tout à fait poisson, ce qui chafouine un peu les personnes qu’elle va rencontrer : il faut qu’elle soit l’une, ou l’une, cet entre deux, ça ne veut rien dire, voyons ! Il faut donc qu’elle corresponde aux attentes, quitte à arranger un peu la réalité, pour ne pas qu’on la croie fausse. Ca m’a rappelé une certaine dynamique liée aux handicaps, maladies chroniques et neuroatypies, ou nos handicaps/maladies/neuroatypiques doivent correspondre à l’idée que s’en font les gens, sinon, c’est qu’on ment, qu’on n’est pas vraiment malade/handicapé etc.

Un autre point que j’ai trouvé intéressant, ce sont les dynamiques validistes qui sont dépeintes. On a des aspects attendues : le harcèlement, la dépréciation, etc., mais aussi des aspects plus subtils et tout autant réalistes. Je pense en particulier au personnage de la nonne naturaliste, Louise Simone, qu’on rencontre dans la 2e partie, qui va se révéler d’une grande aide pour la vouivre. Elle est de bonne volonté, vraiment, mais… elle l’aide aussi (surtout ?) pour des raisons égoïstes, au moins au début, fascinée qu’elle est par les anomalies de la nature, les malformations, mais aussi par les mythes et légendes. Et la vouivre se doit d’être reconnaissante, de se plier à ce qu’on lui dit, d’être une gentille handi… euh… vouivre. Il y a une certaine infantilisation derrière cette bienveillance pourtant sincère, et pire, une forme de fétichisme.

Il y aurait sans doute d’autres choses intéressantes à dire sur d’autres aspects (les violences faites aux femmes, notamment, qui là aussi, se dévoilent dans différents aspects, ou la façon dont les traumatismes peuvent nous changer), mais c’est vraiment cette dimension là qui m’a marquée en tant que personne concernée. C’est pas toujours évident à lire, mais ça dit beaucoup de choses.

Un dernier point dont j’avais envie de parler, c’est le soin particulier donné à la forme. J’ai toujours adoré les encyclopédies, j’ai été visité le Museum d’histoires naturelles de Paris de nombreuses fois l’année que j’ai habité là-bas. Or, Morgane Caussarieu n’est pas seulement autrice, elle dessine aussi super bien. Chaque chapitre se voit ainsi illustré par des dessins qu’on croirait tout droit sortis de vieilles encyclopédies, accompagnés d’un texte explicatif du même tonneau, les deux étant, dans la diégèse, réalisé par Louise Simone, la nonne naturaliste. Cela ajoute grandement au charme de ce livre.

Bilan

Comme pour Vertèbres, difficile pour moi de conseiller Visqueuse à cause de ses nombreux Trigger Warnings et ses scènes sordides et malsaines, mais en ce qui me concerne, j’ai beaucoup aimé cette lecture, tout à la fois riche, dérangeante et fascinante.

Et ailleurs, qu’en pense-t-on ?

Liste non exhaustive des TW : viols, violences, inceste, morts violentes de bébés, douleur/torture, captivité/séquestration, organes génitaux, fétichisme, zoophilie, validisme, homophobie, malformations, violences faites aux femmes, maltraitance animale famille toxique, noyade, stress post traumatique, alcoolisme (et j’en ai sans doute oublié, je plaisante pas quand je dis que c’est pour public averti).

17 réflexions sur “Visqueuse, Morgane Caussarieu

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