Vous lisez Procrastination : S03E06 – Malgré ses qualités, votre livre ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale

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Cette formule est celle à laquelle se heurtent bien des jeunes auteurs désireux de publier leur premier livre, et dans cet épisode, Mélanie, Laurent et Lionel le décortiquent pour savoir ce qu’elle signifie vraiment. Et à travers elle, explorer cette notion méconnue de « ligne éditoriale » et comment digérer le refus d’une soumission. Mélanie rappelle que derrière cette formule qui braque parfois les jeunes auteurs, il y a une véritable raison d’être, relative au marché du livre et au placement d’un ouvrage, relativement à l’aisance qu’un éditeur peut avoir dans un domaine. Lionel insiste sur le fait que la publication n’est pas une fin en soi ; qu’il est souhaitable de réussir le mariage entre son projet et l’éditeur qui saura le porter. Laurent partage un certain nombre de refus tirés de sa carrière, ce qui montre que, quel que soit le niveau d’expérience, on peut toujours se heurter au problème ! (Blog de Lionel Davoust)

Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode. N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S03E06 : Malgré ses qualités, votre livre ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)

Vous écoutez Procrastination, Saison 3 Episode 6 : « Malgré ses qualités, votre livre ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale »

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Nous venons donc de battre le record de la longueur de titre, mais c’est la formule qu’on reçoit de manière assez régulière quand on a une lettre de refus de manuscrit, et donc on pensait justement parler des questions de refus après avoir parlé de la soumission, et de la question plus vaste de la ligne éditoriale qui parfois est assez mal cernée.

C’est cette formule-là, donc « Malgré ses qualités, votre livre ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale », elle apparait quasiment dans toutes les lettres de refus. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle veut dire, en fait ?

Mélanie Fazi : Je sais que beaucoup de débutants sont braqués par cette formule, un peu échaudés par les refus, et pensent que c’est une excuse facile pour dire « on n’a pas lu ». Ce n’est pas vrai. On a souvent du mal à leur expliquer quand on discute que la ligne éditoriale a une fonction très précise, elle en a même plusieurs, en fait.

On a un peu abordé ça dans l’épisode précédent, mais publier ce n’est pas simplement caser son bouquin à tout prix, c’est trouver le bon éditeur avec lequel on va pouvoir travailler.

Moi, la ligne, je dirais qu’il y a deux choses qui me viennent tout de suite à l’esprit, la première c’est une ligne éditoriale définit le livre par ses lecteurs, déjà. Elle nous dit « si c’est paru chez tel éditeur, ça va être de la littérature pointue, très expérimentale », chez tel autre éditeur on va être dans le populaire, le divertissement. Si on publie un livre qui appartient à l’une de ses catégories chez l’autre, soit le livre ne va pas trouver son public, risque de ne pas le trouver, en tout cas, parce que les lecteurs ne vont pas le chercher là, et que les lecteurs habituels de la ligne risquent d’être un peu désarçonnés. Pour moi, il y a une fonction d’identifier, de dire quelque chose sur le livre, et de l’aider à trouver son lecteur.

Et après, moi il y a une deuxième chose que je vois, c’est que la ligne éditoriale définit les limites de ce que l’éditeur sait défendre. C’est-à-dire qu’il dit « moi je suis à l’aise pour défendre ce genre de choses parce que je l’ai déjà fait, je suis très bon pour ça, j’ai les capacités pour ça. Si j’accepte un livre qui est en dehors de ça, je ne suis pas tout à fait sûr que je sois la bonne personne pour ». Et c’est quelque chose qui m’est arrivé encore assez récemment, donc ce n’est pas juste un prétexte pour ne pas lire les manuscrits. J’ai eu un cas d’un texte soumis à un éditeur qui m’a dit « je suis très emballé par ce texte, mais je suis désolé, je ne sais pas comment le prendre, ce n’est pas moi qui vais savoir comment porter ce livre vers ses lecteurs ». Donc pour moi il y a très fort cette dimension-là.

La ligne éditoriale ce n’est pas simplement quelque chose qu’on oppose aux débutants. Vous serez d’accord avec moi, on s’y heurte tous assez régulièrement.

LD : Complètement. Ça m’est arrivé juste avant que je publie Léviathan chez Don Quichotte, à la base on était partis pour publier des bouquins de l’univers Evanégyre, on avait commencé un peu à bosser là-dessus. On a bossé notamment sur Port d’Ames, et on s’était dit, au bout de deux-trois semaines de discussion, que finalement ce n’était pas le bouquin qui convenait mutuellement à faire pour ce projet-là. J’avais raconté ça dans des épisodes précédents, l’éditrice avait trouvé que c’était un gage de qualité et de fiabilité de ma part, que je lui dise – ce qu’elle sentait elle de son côté – c’est agréable de bosser ensemble mais ce n’est probablement pas le bon projet. Et elle a plutôt apprécié que je puisse lui dire « non », plutôt que j’essaie de publier un bouquin à tout prix là-bas.

La ligne éditoriale c’est aussi une question de rencontres, et c’est pour ça que la formule comporte aussi l’expression « malgré ses qualités » parce qu’il y a toujours des qualités dans un manuscrit, sauf que c’est une manière pour l’éditeur de dire « c’est peut-être très bien, mais je ne suis pas capable de le juger, de le comprendre, de le recevoir » et donc ce n’est pas un bon mariage dans un sens.

Alors, comment on cerne la ligne éditoriale ? Comment on fait pour éviter de recevoir ce genre de formules ?

MF : C’est une vaste question, parce qu’en plus c’est quelque chose d’assez insaisissable, et parfois quand on se trouve avec un livre qui justement ne rentre pas dans une case bien précise, c’est assez compliqué de chercher quel aspect du livre finalement on va mettre en avant, et essayer de faire se produire la rencontre. Même au bout de pas mal d’années de publication, ça reste quelque chose d’un peu compliqué.

Laurent Genefort : C’est empirique. Moi je me suis cassé les dents justement à cause de ça, parce qu’on a affaire à des personnes… Par exemple, moi ça m’est arrivé, alors pour le coup je cible énormément, j’ai la chance de publier dans des genres très définis où on ne peut pas vraiment se tromper dans la cible, parce que la cible elle est très réduite. Mais même comme ça, et même pour des auteurs confirmés, on peut se prendre son manuscrit dans les dents, ça arrive. Moi ça m’est arrivé quelques fois, et l’expérience est toujours désagréable, quand même. Je crois que finalement ce qui reste le plus désagréable, c’est de ne pas avoir de non ferme et définitif tout de suite. Sur un de mes titres ça avait duré un an, où le téléphone ne répondait pas.

(rires)

MF : Ça c’est très dur, oui.

LG : C’est assez désagréable.

LD : On parlait de patience…

LG : Voilà, exactement. Par exemple, il y a des éditeurs… Plus encore quand c’est un auteur qui a déjà publié, auxquels ils ne veulent pas dire non, justement. C’est désagréable aussi pour eux d’avoir à dire non.

Il y a aussi une histoire de feeling. Par exemple, moi ça m’est arrivé, chez un éditeur, où le directeur de collection trouvait ça éditable, mais ça ne lui plaisait pas. C’était très déstabilisant pour moi, parce que le bouquin je le jugeais à l’époque éditable, mais après m’être fait signifier un refus qui n’était pas vraiment argumenté, parce que c’était justement dans le feeling. Du coup, je me suis mis à avoir… En fait, on ne sait pas si le texte vaut quelque chose ou rien du tout, et au bout d’un moment… Alors, ce texte-là, je l’ai reproposé ailleurs, et j’ai eu un deuxième refus, tout aussi peu motivé. Du coup, là je me suis dit bon, j’ai compris, le bouquin ne vaut rien, quoi. Si deux éditeurs, en plus des éditeurs qui me connaissaient, me disent non, c’est que le bouquin n’est pas éditable, tout simplement, il a trop de défauts, des défauts qui sont trop dilués pour pouvoir être « réparés », le bouquin est au-delà d’un travail de corrections. Et donc le bouquin, pendant un ou deux ans, il est resté au fond d’un tiroir et je l’ai oublié. Et en fait, c’est en discutant avec un troisième éditeur qui se plaignait qu’il y avait très peu de bouquins de space-opera soumis à des comités de lecture, et là ça a fait tilt dans ma tête : « j’ai un space-opera, mais je te préviens, il a été refusé deux fois, je ne suis pas sûr du tout qu’il soit éditable ».

LD : T’as fait ce que tu as dit qu’il ne fallait pas faire.

(Rires)

LG : Ouais, exactement, tout à fait !

(Rires)

MF : Silence, on n’a rien dit !

LG : Et là je lui ai envoyé le bouquin qui a été accepté dans la semaine, et depuis le bouquin a été réédité deux fois. Tout ça pour dire que ce n’est pas une science exacte.

MF : C’est tout sauf une science exacte, oui. Ce que je voulais ajouter, c’est que ce qu’il y a d’intéressant avec les refus et les arguments qui nous sont donnés – quand on a des arguments et pas une simple formule – c’est qu’au bout d’un moment on va pouvoir juger – c’est plus facile quand on en a plusieurs – dans quelle mesure le refus vient du fait qu’il y a effectivement un problème. Et comme tu dis, si plusieurs personnes refusent et que le même argument revient, c’est un problème.

LG : Oui, quand même.

MF : Moi la dernière fois en date où j’ai eu un refus sur un texte qui est un peu hybride et que je ne savais pas trop où le placer donc j’ai essayé à différentes portes, j’ai eu un refus très argumenté, très intéressant, je comprenais à 100 % les arguments de la personne qui refusait ce texte, mais j’en suis sortie avec l’impression de me dire : bon, je comprends tout à fait pourquoi on me le refuse, mais je pense que c’est parce que cette personne avait des attentes sur la forme de ce texte qui ne sont pas ma démarche. On attendait quelque chose de ce texte qui n’est pas ce que moi j’ai voulu en faire, donc j’accepte tout à fait ce qui m’est dit, mais je pense que là on est dans une sortie de ligne, je dirais. Le texte n’a pas été refusé je pense parce qu’il était mauvais, mais parce que la personne en face en attendait autre chose, et là on est vraiment dans le cas de refus parce que ce n’était pas la ligne.

LD : On parlait un peu, dans un épisode précédent, du fait que quand on écrit on a forcément une espèce de choix esthétique à tous les niveaux, sur la manière que doit être une bonne histoire, qu’on essaie de réaliser au mieux de ses moyens. La ligne éditoriale c’est un peu la même chose, c’est un choix esthétique à la fois qui vient du goût – forcément ça vient de là – mais aussi l’éditeur propose une littérature qui lui plaît et il espère que ça va rencontrer l’économie et qu’il va pouvoir en vendre, et au moins gagner sa vie avec.

Donc pour la cerner, on vit quand même une époque connectée où on a beaucoup de chance, parce que par exemple beaucoup d’éditeurs sont sur les réseaux sociaux comme Twitter. On a quand même de plus en plus de festivals, des festivals qui laissent plus la parole aux éditeurs et la manière dont ils fonctionnent. On peut les entendre aussi discuter sur leur manière de voir la littérature, ce qu’ils veulent publier, comment ils voient les choses, et ça permet tout simplement de voir si l’approche qu’ils ont est compatible avec celle qu’on a. Alors on se dit « ah là là, peut-être que le chèque d’avance est pas compatible » [1]mais en même temps il vaut mieux publier un bouquin dont on soit content dans une structure qui aime et qui va le défendre. C’est ça le bon mariage éditorial. Alors, l’argent c’est important, mais bon.

MF : D’expérience parfois, il se passe plus de choses j’ai un éditeur « confidentiel » qui a un enthousiasme, qui a un feeling sur la manière de pousser le livre, et où on sent que bon, il y a quelque chose à tenter, que chez un très gros éditeur qui a les moyens d’arroser toutes les librairies, tous les salons, de répandre le livre partout, mais s’il ne sait pas comment donner envie au lecteur et qu’il ne sait pas comment créer ce lien avec le lecteur, parfois il ne se passe rien du tout. Là où un éditeur avec des moyens beaucoup plus modestes va trouver le truc, va trouver les mots et la manière pour le faire.

LD : On en a parlé, le boulot d’éditeur – et c’est le destin qu’on peut souhaiter à un livre – c’est de rencontrer son public, on ne peut jamais rencontrer le monde entier, c’est impossible. Donc le bon éditeur, et la ligne éditoriale, c’est qu’on va pouvoir parler à des gens qui sont susceptibles d’apprécier ce qu’on a fait, et c’est bien ce que tout le monde souhaite en réalité. Donc ça se sert aussi… On parlait de l’importance de lire, là aussi il y a du travail de veille pour essayer de comprendre : je pense que le premier objectif c’est « quels sont les auteurs fétiches ». On peut le constater de manière assez amusante, quand on a un goût assez formé sur la littérature, bizarrement les auteurs qu’on aime sont dans le même genre de collections, ou presque tous chez les mêmes éditeurs. Ce n’est pas nécessairement un hasard non plus.

MF : Ce qui me fait penser que quand j’ai voulu commencer à placer mes premiers textes, il y avait une collection qui était faite pour moi, une collection où je savais qu’étaient tous les auteurs que je voulais, je savais que c’était là que je voulais aller. C’est Présence du Fantastique[2] chez Denoël, et la collection s’est arrêtée avant même que je puisse commencer à soumettre mes textes. Et c’est dommage parce que c’était vraiment tout trouvé.

LD : Comme quoi, tu as fait perdurer la ligne éditoriale malgré l’éditeur.

(Rires)

LD : Un truc qu’on pourrait dire sur les retours négatifs – on a mentionné les histoires de lettres circulaires – on pourrait dire aussi que parfois on reçoit des retours qui sont argumentés et qui ne sont pas la formule circulaire. Et ça, c’est assez peu dit, mais c’est vraiment à prendre comme un compliment en fait. C’est-à-dire que si un éditeur prend soin d’écrire une lettre argumentée en disant « je n’ai pas pris votre bouquin, mais j’ai aimé tel et tel truc, et telle chose était plutôt réussie », s’il prend le temps, vu la quantité de bouquins qu’il reçoit, de faire ça, c’est un encouragement et c’est une invitation – parfois il le dit explicitement – à dire « on pense que vous avez un truc, on pense qu’on pourrait bien s’entendre, ce n’est pas encore mûr, mais persistez et renvoyez-nous quelque chose parce que vous nous intéressez. Il y a encore trop de boulot, mais… »

LG : « Envoyez-nous quelque chose, mais de préférence pas des menaces ».

(rires)

LD : « Et ne nous appelez pas toutes les cinq minutes, s’il vous plait ».

MF : Selon les cas de figure, soit c’est ça, soit on a aussi le cas de figure où on nous dit : « ce texte est intéressant, mais clairement ce n’est pas chez nous que ça va se faire, mais placez-le ailleurs parce qu’il y a quelque chose à creuser ».

LG : Ça peut arriver aussi, oui.

LD : Parfois même, on peut vous recommander quelqu’un.

MF : Ça m’est déjà arrivé aussi, oui.

LD : Ça m’est arrivé quand j’étais directeur de revue, j’ai reçu parfois des nouvelles qui étaient bien et que j’ai envoyé aux copains en disant « ce n’est pas pour moi, mais je pense que c’est pour vous » et les nouvelles ont été prises.

Donc on a tendance à dire que cette formule et le refus… Alors forcément, ça fait un petit peu mal, mais ce n’est pas quelque chose de générique, ce n’est pas une excuse. Mais bon, une fois qu’on a pris un refus, qu’est-ce qu’on fait ?

LG : Alors tout dépend du refus, en fait.

MF : Tout dépend du refus, oui.

LG : Si c’est justement la lettre circulaire, c’est entre vous et votre conscience. Si vous avez confiance en votre texte, présentez-le ailleurs. Réécrivez-le éventuellement pour améliorer le roman. Si vous avez reçu une lettre circonstanciée, éventuellement écrivez un autre bouquin, ou alors réécrivez-le en fonction des conseils. J’allais dire adaptez-vous, en fait.

MF : En tout cas, ne pas se braquer sur un refus, ne pas se braquer sur les critiques, faire la part des choses, voir si on a eu plusieurs refus… Si effectivement un défaut est pointé par tout le monde c’est qu’il y a quelque chose. Essayer de cerner ce qui effectivement vient d’une inadéquation avec l’éditeur et de ce qui vient vraiment d’un défaut du texte.

LG : On a conscience que ce n’est pas du tout évident. Je veux dire, c’est très facile comme conseil à donner, mais on a un rapport intime avec son texte puisque c’est notre bébé, d’autant plus quand c’est notre premier.

MF : Même avec l’expérience, ça reste quelque chose de très dur. Même quand on est sûr de soi-même, quand on est sûr du projet, ça reste très dur à encaisser.

LG : Tout à fait, ouais. Donc voilà, c’est un conseil, mais on sait très bien que ce genre de conseils qui sont donnés à froid comme ça, ne fonctionnent pas toujours, parce qu’on est nécessairement dans l’émotion. On a un rapport émotionnel intense avec son texte, c’est forcé.

MF : Dites-vous éventuellement que vous pourrez nourrir votre future légende à la Rowling notamment, on dit qu’elle a été refusée par 220 éditeurs avant de placer son livre. Il y beaucoup d’histoires comme ça sur des auteurs qui ont été publiés au bout d’on ne sait combien d’envois. Il ne faut surtout pas se décourager au premier.

LD : Il faut complètement ne pas se décourager au premier, il ne faut pas non plus partir du principe qu’on est tous JK Rowling, c’est l’autre côté de la pièce.

LG : Il y a un juste milieu.

LD : Voilà, il y a un juste milieu, en tout cas derrière ce qui est important, c’est que bien sûr, quand on veut faire ce métier-là, quand on l’aborde de manière professionnelle, évidemment on cherche à viser la publication, mais la publication – même si ça peut être facile à dire quand on commence à avoir quelques bouquins derrière soi, mais moi je le pense vraiment – n’est pas une fin en soi, l’écriture est la fin en soi. Et bien sûr, c’est une énorme déception de recevoir un refus, mais la question qui va derrière, c’est… j’allais dire qu’on n’écrit pas pour être publié, bien sûr qu’on écrit dans l’espoir d’avoir une publication, mais l’écriture n’est pas validée et la personne n’est pas validée par la publication. L’écriture se suffit à elle-même et est sa propre récompense, et derrière, elle peut se prolonger à travers la publication. Mais ça me paraît important de découpler ces deux choses, parce que d’excellents bouquins ont parfois été très longtemps impubliables.

Je pense à La Maison des Feuilles de Mark Z. Danielewski[3], où je crois qu’il a été auto-édité d’abord parce que c’est un cauchemar de mise en page avec 14 polices par page etc., donc aucun éditeur n’a été assez dingue pour se lancer dans ce truc-là, à tel point que quand finalement ça a été publié en papier, Danielewski a fait la mise en page lui-même.

Donc il y a des projets qui ne rencontrent pas leur époque, qui ne rencontrent pas leur public etc. C’est toujours plus prudent de se dire « bon, qu’est-ce que je peux faire pour améliorer mon manuscrit et qu’est-ce que je peux faire pour écrire le suivant ? ». On en parlait sur l’épisode Talent VS Travail, de toute façon c’est la seule chose qu’on est en mesure de faire.

LG : Oui, voilà, exactement. Et puis relativisez. D’avoir le premier feedback « officiel » du livre qui est négatif, puisque c’est un refus, c’est là que parfois c’est difficile à gérer individuellement, quand on rencontre un refus de son premier lecteur.

LD : Tout à fait. Mais on est tous passés par là.

LG : Et on est tous passés par là.

LD : Et les Américains ont même une « compétition », notamment chez les pro, de garder tout ce qu’ils appellent les « rejection slips », c’est-à-dire les lettres [de refus]. Et ils en ont tous, tous les grands succès qu’on connaît aujourd’hui, ils ont des enveloppes pleines à craquer de lettres de refus, donc on est en bonne compagnie, en fait, aussi. Ce qui compte, c’est ce qu’on va écrire maintenant.

Petite citation pour terminer ? Allez, une citation de Colette, c’est un extrait de son discours de réception à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, et elle disait dans son discours : « Je suis devenue écrivain sans m’en apercevoir, et sans que personne s’en doutât. Sortie d’une ombre anonyme, auteur de plusieurs livres dont quelques-uns étaient signés de mon nom, je m’étonnais encore que l’on m’appelât écrivain, qu’un éditeur et un public me traitassent en écrivain, et j’attribuais ces coïncidences renouvelées à un hasard complaisant, hasard qui de palier en palier, de rencontre en prodige, m’a amenée jusqu’ici. »

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !


[1] Pas certaine de cette phrase (Symphonie)

[2] http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Presence-du-Fantastique

[3] Roman Fantastique américain réputé pour ses effets de mise en page, ressorti en 2022 en version remasterisée aux éditions Monsieur Toussaint Louverture.

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