La Maison des feuilles, Mark Z. Danielewski

La Maison des Feuilles (2022, ed. Monsieur Toussaint Louverture)

Mark Z. Danielewski, Américain

Fantastique / Epouvante

House of Leaves, 2000

1ère ed. française : 2002, ed. Denoël

Traduction : Christophe Claro

En rentrant chez elle un soir, la famille Navidson découvre qu’une nouvelle pièce a surgi dans leur maison. L’explication la plus étrange devient rapidement la plus évidente: leur foyer est plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur. Lorsqu’une nouvelle porte apparaît dans le salon et donne sur un couloir obscur, Will Navidson, photoreporter de renom et aventurier intrépide, décide de mettre sur pied une équipe d’explorateurs afin d’étudier ce passage sans fin où l’obscurité semble vouloir déchirer les rêves et dévorer la raison. Entre récit fantastique, énigme littéraire et mise en abyme, ce roman captivant se confie comme un trésor de générations en générations. Aujourd’hui et pour la première fois, il est offert aux lecteurs français dans une édition entièrement remasterisée en couleurs.

Mon avis

« Ce livre n’est pas pour vous ».


C’est par cette mise en garde que commence cet ouvrage, et ce n’est pas pour rien. La Maison des feuilles est devenue assez culte avec le temps, réputée pour sa complexité et sa mise en page atypique1. De fait, ce livre ne sera pas pour tout le monde. J’avais d’ailleurs tenté une première fois de le lire, pour faire une pause après 150 pages environ car j’étais fatiguée de lutter contre lui (et contre les disgressions de Johnny, surtout, et de sa fâcheuse tendance à parler de ses parties de jambes en l’air). Et puis, presque un an après, je l’ai repris de zéro, bien décidée à aller jusqu’au bout2. 3

Imaginez qu’à peine rentré d’un voyage de quelques jours, vous découvriez dans votre maison un espace qui n’existait pas avant votre départ. L’espace est certes étroit, sauf qu’il n’y était pas avant, ce que corroborent les mesures : la maison est légèrement plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur4. Ça n’a l’air de rien, mais c’est le point de départ d’un cauchemar pour les Navidson, car bientôt, c’est un couloir qui apparaît, un couloir qui se mue en quelque chose de bien plus labyrinthique et terrifiant au fil des pages. Les personnages vont ensuite tenter l’exploration à plusieurs reprises, s’enfonçant de plus en plus profondément dans les ténèbres, malgré le danger qu’elle représente.


L’histoire en elle-même est sympathique, il y a même quelques passages un peu angoissants durant les explorations, et il y a toute une mise en abyme par rapport à notre propre lecture5, mais ça reste une aventure somme toute classique. En réalité, ce qui est particulièrement marquant avec cet ouvrage, c’est le défi et les énigmes qu’il représente.


Car cet ouvrage est bel et bien un défi, à différents niveaux. L’histoire, tout d’abord, construire à la manière des Matriochka6. Le récit proposé par cet ouvrage est une sorte de thèse dont les documents ont été compilés par Johnny Errand, documents qu’il a retrouvés dans la malle d’un certain Zampano, vieil homme fraichement décédé, lequel faisait une étude académique au sujet du Navidson Record, une étrange vidéo documentaire à propos de la non moins étrange maison de la famille Navidson. Ce qui nous donne plusieurs trames narratives qui se déploient en parallèle par le biais des notes de bas de page 7: Johnny qui commente sa découverte des documents en disgressant pas mal sur sa vie, l’étude académique du Navidson Record, les notes d’un éditeur non identifié, ou les références bibliographiques utilisées par Zampano pour son étude. Cet enchevêtrement de notes rend très difficile une lecture linéaire et encourage les allers retours au sein des chapitres pour lire les trames une par une. Il y a des disgressions dans tous les sens, des sujets académiques qui, parfois, ne semblent avoir qu’un lointain rapport et dont la lecture se révèle très fastidieuse, et on ne sait même pas si le Navidson record est réel dans la diégèse du livre ! Et je ne parle même pas des annexes, notamment des lettres de la mère de Johnny qui viennent rajouter des pièces dans la machine.

Là, ça va.


Vous avez déjà mal à la tête ? Accrochez vous à vos peluches8, parce que c’est pas fini !


Les notes de bas de page qui parfois occupent des pages entières, c’est une chose. La forme du texte en est une autre. C’est particulièrement fascinant, dans la mesure où la forme de la Maison (le livre) répond à ce qu’il s’y passe, de la même manière que la maison (dans le livre) semble répondre à la psyché des personnages. Certaines pages sont extrêmement denses, d’autres presque vides, certaines esquissent des dessins, d’autres proposent des textes barrés ou des mots manquants… Une mise en abyme qui, paradoxalement, renforce l’immersion tout en entravant notre lecture du livre, puisque nous devons fournir un réel effort pour avancer, comme si le livre décourageait notre exploration. D’une certaine manière, nous devenons nous-mêmes des personnages, à tenter de trouver notre chemin et du sens dans tout ce chaos.

Là, ça va plus !


Et comme si ce n’était pas assez compliqué, on a aussi plein de secrets cachés, avec des passages cryptés ou des personnages qui se trompent, voire ne disent pas toute la vérité, au point qu’on finit par douter de la réalité de ce qu’on vient de lire. Au fur et à mesure que l’architecture de la maison évolue, se complexifie, les personnages perdent de plus en plus pied avec la réalité et sombrent peu à peu dans la folie, y compris Johnny qui, pourtant, s’est juste occupé de compiler les notes de Zampano. La fin, notamment, est assez vertigineuse et rebat complètement les cartes9.


Honnêtement, si vous voulez jouer le jeu un minimum je vous encourage à vous armer de plusieurs marques pages, d’une connexion internet, d’un bloc-notes, de post-it etc. Ce n’est pas obligatoire, mais l’ouvrage est particulièrement ludique si vous avez envie de chercher vous-même votre chemin. Je n’ai pas été jusqu’au bout de la démarche (merci à tous les gens qui se sont amusés à décrypter ce bouquin !), mais il y a de quoi y passer des heures rien qu’à tenter de décoder les secrets cachés ou essayer de comprendre ce qui est réel ou non 10. On est vraiment dans un labyrinthe, et le minotaure n’est jamais très loin.

C’est vraiment une expérience que j’ai adorée, et je n’hésiterai pas à replonger dedans dans quelque temps, une fois que j’aurai pris le temps de parcourir les forums (et puis ça reste une lecture fatigante). Je suis aussi fascinée par ce qui a pu naître de la Maison, car je ne serais pas étonnée qu’une certaine forme d’horreur d’internet en soit inspirée : comment ne pas penser à la Fondation SCP, ce projet collaboratif à la forme atypique ? Plus encore, l’atmosphère des explorations m’a rappelé celle des backrooms11. La Maison des feuilles n’a jamais été adaptée en film, en revanche il y a un jeu vidéo qui en respecte clairement l’esprit : MyHouse.wad. Je vous conseille par exemple la vidéo de Feldup12 sur le sujet, vraiment, ce projet est fascinant lui aussi.13

Bilan

C’est assez difficile de parler de La Maison des feuilles sans gâcher le plaisir des découvertes, c’est une expérience de lecture qui doit se vivre pour vraiment comprendre l’effet qu’elle produit. Elle n’est pas pour tout le monde, soit parce que vous abandonnerez en route, soit parce que vous n’y serez pas sensible (et c’est ok). Je l’ai personnellement trouvée fascinante, à mon sens, ce livre mérite sa réputation et sa place dans les meilleurs livres fantastique/horreur. 14

Et ailleurs, qu’en pense-t-on ?

Et vous, avez vous tenté la traversée du couloir de cinq minutes et demie ?

  1. Avec notamment une foultitude de notes de bas de page. ↩︎
  2. D’ailleurs, je rédige ce paragraphe alors que je viens de reprendre ma lecture. C’est vous dire l’optimisme. Et si vous lisez cet article, c’est que d’une façon ou d’une autre, j’ai été jusqu’au bout du premier défi posé par La Maison des Feuilles ↩︎
  3. Effectivement, I did it ! Vous en avez déjà marre des notes de bas de page ? Petits joueurs ! ↩︎
  4. Comme le Tardis, oui, je suis sûre que vous y avez pensé. ↩︎
  5. Mais je n’irai pas dans les détails, c’est une expérience qui doit se vivre. ↩︎
  6. Les poupées russes, que l’on appelle aussi gigognes. Mais vous le saviez déjà. ↩︎
  7.  Comme celle-ci. Et vous plaignez pas, toutes mes notes de bas de page sont en français et à l’endroit ! Si, si, je vous ai entendu soupirer, ça sert à rien de faire semblant ! ↩︎
  8. Celles que je réalise en crochet, par exemple, mais toute peluche fera l’affaire. Par contre, les vrais animaux semblent ne pas pouvoir rentrer dans la maison, les veinards. ↩︎
  9. Mais c’est sans doute Zampano qui a raison :  « […] ce qui est réel ou pas importe peu. Les conséquences sont les mêmes. » ↩︎
  10. cf note 9 ↩︎
  11. Issues des espaces liminaux, mais vraiment, il y a une vibe. Non ? ↩︎
  12. Et si vous ne savez pas ce que sont les backrooms, Feldup a aussi fait une ou deux vidéos sur le sujet. Ça tombe bien, non ? Et non, j’ai pas été payée pour lui faire de la pub. Ses vidéos sont vraiment bien, allez les voir. Sérieux. Je ne crois pas qu’il ait fait de vidéos sur la fondation SCP, par contre. ↩︎
  13. Oui, c’était assez marrant d’écrire cet article ! ↩︎
  14. Pour les supertitieux.ses, je rajoute une note pour ne pas finir à 13, voilà ! J’aurais aussi pu en enlever une, mais c’est plus drôle de vous faire scroller pour rien. ↩︎

7 réflexions sur “La Maison des feuilles, Mark Z. Danielewski

  1. Ah oui, c’est véritablement une expérience à part entière ! C’est quelque chose qui me paraît totalement unique, mais ça me rend terriblement curieuse pour le coup…

    Aimé par 1 personne

  2. Ah, j’adore ta chronique très « maison des feuillesque » 😄 J’avais trouvé le jeu extra aussi, et tu as raison, le fond des choses est une histoire assez classique, l’intérêt est dans ce labyrinthe très ludique et sacrément ingénieux…

    J’y replongerais bien volontiers un de ces quatre, tiens !

    Aimé par 1 personne

    • Merci 😀 après avoir terminé la lecture, j’ai eu envie de faire durer le plaisir XD Je ne pouvais pas aller trop loin, il fallait quand même que l’article reste accessible, mais c’était marrant de mettre ces notes de bas de page qui ne servent à rien 😇

      Je laisse un peu de temps au cerveau pour se reposer, mais avec l’éclairage de la fin, je replongerai aussi dans quelques temps 😀

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