Vous lisez Procrastination : S02E10 – Motifs et reprises

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Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

S02E10 : Motifs et reprises

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Umanimo)

Vous écoutez Procrastination, Saison 2 Épisode 10 : Motifs et reprises.

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire.

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Une notion dont on parle fréquemment dans les littératures de l’Imaginaire, c’est l’intertextualité, c’est-à-dire que les motifs narratifs des récits actuels viennent souvent construire sur ce qui a été apporté au genre précédemment.  Si on prend par exemple en Science-Fiction les exemples fréquemment donnés, c’est le blaster, le voyage supra-luminique etc., sont des choses qui sont relativement admises maintenant, alors que c’étaient des nouveautés autrefois. Donc peut-être dans les littératures de l’Imaginaire, c’est quelque chose qui est fréquent, parfois on peut reprendre aussi des figures : la figure du vampire, du zombie etc., Donc on va parler de toutes ces questions de motifs, de contes, de mythes, de figures. Qu’est-ce que ça apporte aux lecteurs quand on s’empare de quelque chose de classique, comment on peut le tordre ou se l’approprier ? De manière générale, est-ce qu’on écrit quelque chose de totalement original ?

Mélanie Fazi : Ah ! Jamais ?

LD : Jamais ? Ah !

MF : Il y a une théorie selon laquelle toutes les histoires ont déjà été écrites et on ne fait que les reprendre avec différents motifs. Moi je serais assez de cet avis-là, je pense que tout trouve ses racines quelque part. Même quand on prend des mythes ou autre chose ça évolue avec le temps, moi ce serait ma réponse.

Laurent Genefort : Alors, je suis d’accord pour l’histoire, c’est-à-dire la structure narrative, mais pas pour le matériau. Et je pense que c’est faux de dire que tout a été inventé, ce n’est pas vrai. Pour moi le matériau – par exemple le vampire – les thèmes en fait, et la structure, que ce soit la structure narrative, mais aussi des structures fondamentales comme le schéma œdipien, des choses comme ça, des structures psychologiques, je pense qu’il est difficile d’innover pour le second, mais qu’on peut tout à fait innover pour le premier. Et c’est même, j’allais dire, une spécificité de la modernité. La modernité, c’est chercher à s’extraire des schémas anciens, plus que les renouveler en fait. Je vais presque dire que c’est une des définitions de la Science-Fiction, qui est de fabriquer les mythologies du futur en essayant de casser les anciennes, d’une certaine manière. Un exemple c’est Crash ! de (J. G.) Ballard[1]. De créer de nouvelles mythologies. Ça ne veut pas dire qu’on y arrive, mais en tout cas c’est une aspiration.

Par ailleurs, je me méfie un peu du « on a tout inventé, il existe des mythes universels ». Pour moi il n’y rien d’universel tant l’humain est plastique. Et la vivacité même des mythes tient peut-être justement au caractère « plastique » de l’Homme, mais aussi à son côté grégaire et à sa capacité à générer des memes, plutôt qu’à la vérité sous-jacente des mythes en question que moi je remets beaucoup en question.

LD : Je suis un peu entre vous deux, je pense qu’il y a quand même une « commonalité »[2] à l’expérience humaine, avec un certain nombre d’aspirations et de besoins qui sont fondamentaux et en tout cas partagés par une grande partie de (l’Humanité). Nous sommes tous humains, on a un certain nombre d’aspirations qui sont communes, donc ça peut engendrer un certain nombre d’histoires, de thèmes et de motifs qui sont extrêmement vastes, mais dont le nombre est à mon sens quand même limité.

D’ailleurs, c’est rigolo c’est l’un des fondements derrière la théorie du droit d’auteur, c’est-à-dire protéger le droit de l’auteur sur la création d’une œuvre de l’esprit, qui est une œuvre originale, c’est la théorie de la personnalité de Kant. C’est-à-dire que l’auteur met quelque chose de personnel, qui lui appartient imminemment, dans son œuvre, et par conséquent il jouit de droits sur cette œuvre-là puisqu’elle lui appartient, puisqu’elle lui est personnelle.

Je pense qu’histoires et thèmes sont extrêmement nombreux, mais peuvent être limités, par contre chacun à quelque chose de nouveau à contribuer dessus. Et c’est là ce que l’auteur a à contribuer en fait, c’est ce qu’il est, c’est son regard et son traitement.

LG : C’est la variation. Il va apporter une variation.

MF : Une variation, oui.

LG : C’est l’avantage d’utiliser des contes et des mythes, ça irrigue tellement notre culture et notre psyché qu’on peut écrire sans y penser et on y revient toujours. Mais du coup, c’est l’écart par rapport à cette norme qui est intéressant. Quand on lit quelque chose, ce qui nous intéresse ce n’est pas le truc lui-même, c’est la variation, parce ce que le truc lui-même on l’a déjà, d’une certaine manière. Et donc ce qu’on recherche finalement c’est la somme de toutes ces variations, et un mythe c’est une histoire et la variation de cette histoire, et l’intégralité des variations possibles. C’est ça un mythe, en fait, et finalement ça se retrouve dans la littérature. Et c’est ça qui constitue les genres, aussi. Les genres, c’est un type d’histoires ou de thèmes. Dans les genres, il y a justement l’intégration du matériau en plus de la structure, et c’est effectivement, c’est les pistolets laser, c’est aussi les sabres lasers, c’est toutes les manières de varier sur la manière de prolonger sa vie – ou de la raccourcir, dans le cas des sabres lasers [rires] – mais enfin vous voyez. C’est toutes les variations sur un thème, la façon dont on va distordre l’ADN humain, ou du vivant, ou voilà. L’intégralité des variations sur ce thème-là constitue un sous-genre et une littérature entière.

MF : Je trouve qu’il peut y avoir un vrai plaisir à jouer justement sur les attentes, quand on parle de mythes ou de contes qui sont extrêmement connus, de s’amuser soi-même à tordre complètement ça et de jouer avec les attentes des lecteurs. J’ai un exemple qui m’est revenu, c’est une nouvelle de Neil Gaiman qui m’avait énormément marquée, qui s’appelle Neige, verre et pommes, on est du point de vue d’une femme qui épouse un roi qui a une petite fille, et cette petite fille est extrêmement bizarre, extrêmement inquiétante, plus ou moins vampire, et la belle-mère est tyrannisée par la petite fille, et on comprend une fois arrivés au tiers ou à la moitié de la nouvelle qu’on est en train de lire une relecture de Blanche-Neige. Et c’est extraordinaire, cette nouvelle.

LD : Oui, et la belle-mère est adorable, elle est terrorisée, elle fait ce qu’elle peut pour rendre cette petite fille heureuse, sachant qu’elle est tyrannique. Dans le même genre, en parlant de mythes, le mythe arthurien, on part de Chrétien de Troyes, on arrive à Kaamelott[3]. Et ce qui est bluffant c’est que Kaamelott est extrêmement bien documenté, en fait, sur le mythe et le matériau, et en fait une relecture extrêmement moderne tout en restant beaucoup dans le respect du matériau, ce qui est fascinant à voir.

Donc du coup, finalement, se baser sur un mythe ou se baser sur une figure connue – le vampire, le zombie, etc. – c’est une manière d’établir une commonalité avec le lecteur, une référence de manière à pouvoir ensuite aller plus loin ?

MF : Ça dépend des cas. Moi je mettrais en plus d’un côté les contes ou les mythes, et jouer avec une figure, parce qu’on n’a pas les mêmes contraintes et pas les mêmes problèmes. Là j’ai deux choses différentes à dire. Pour ce qui est de reprendre une figure, typiquement vampires, zombies, etc., il y a aussi qu’on s’inscrit dans l’histoire d’un genre, et que le genre évolue. Par exemple, on ne pourrait pas, je pense, écrire Dracula maintenant, parce que le genre a évolué depuis Dracula, et typiquement, tout l’attirail religieux n’a pas le même poids maintenant qu’il avait à l’époque. On n’a pas la même surprise face au vampire, on doit tenir compte que si on veut écrire de cette manière, il faut le justifier, il faut avoir une démarche derrière. Toutes ces figures-là évoluent avec le temps, et le regard que le lecteur a dessus et les attentes qu’il a ont aussi évolué. Donc pour moi c’est beaucoup ancré dans une époque.

Et après, je pars complètement sur autre chose. Le conte pour moi, pour avoir eu à le faire une fois, ça pose un problème… Je ne sais pas si c’est un cas particulier ou si c’est plus large, j’ai écrit un texte qui s’inspirait de plusieurs contes d’Andersen et qui reprenait notamment l’intrigue des Cygnes sauvages, et je me suis heurtée à un problème, c’est que le conte a une espèce de logique interne qui est complètement barrée. Il se passe des évènements… Là-dedans, on nous explique que pour transformer les princes qui ont été transformés en cygnes, il faut que l’héroïne arrête de parler, aille cueillir des orties dans les cimetières et fasse des tuniques avec, on ne sait pas pourquoi. Comment on intègre ça dans une nouvelle qui se trouve dans le monde contemporain ? Il a fallu que je justifie cette absence de logique, parce que dans le conte, on nous dit il se passe ça, puis il se passe ça, puis il se passe ça, et si on transpose ça dans quelque chose de contemporain le lecteur va attendre autre chose.

Pour moi, c’est en cela que si on parle du mythe ou du conte, ou bien de la figure, on a des contraintes vraiment très spécifiques, et donc je suis partie dans deux directions à la fois.

LG : En fait, quand on utilise un motif connu, en particulier un conte où il y a une succession d’évènements auxquels on va attribuer une signification en fait. Par exemple, la technique d’orties, ça peut devenir quelque chose de symbolique, quelque chose d’abstrait. C’est pour ça qu’on peut tirer d’un conte classique et parfois son contraire, et en fait c’est sans fin parce que la société évolue tout le temps, donc les relectures sont sans fin. Il y aura des reboot à perpétuité d’à peu près tous les contes, je pense.

LD : Si on considère le super héros comme une mythologie moderne…

LG : Tout à fait !

LD : … c’est l’exemple même du reboot ultra rapide et régulier.

Alors du coup, comment s’approprier un thème ou un motif ? Si j’ai envie de reprendre un conte, ou d’écrire sur le vampire, j’ai l’impression que finalement la réponse est toujours un peu la même… Qu’est-ce que je peux apporter moi, peut-être pas d’unique, mais de personnel ? En gageant que comme je suis quelqu’un d’unique, ce que j’apporte de personnel le sera raisonnablement. Et en tout cas, qu’est-ce que je peux apporter qui m’appartienne ? À travers ce que tu disais tout à l’heure sur les questions que tu t’es posées, tu es tombée sur cette question-là, et du coup, finalement ton texte s’est nourri de cette question « comment justifier ce procédé du conte ? », non ?

MF : Dans ce cas-là, oui, après pour la figure c’est encore autre chose. Vaste question. Là, c’était intéressant sur comment transposer à l’époque contemporaine, après je ne suis pas sûre d’avoir réussi à en faire quelque chose de vraiment original. J’ai eu des retours très partagés sur ce texte.

Après, sur la figure, c’est encore autre chose, je pense qu’il y a une question que le vampire, zombie etc., a une symbolique très forte qui existe, qui mute aussi avec le temps, et je pense qu’il faut qu’on trouve une manière de faire résonner ça avec l’époque à partir de laquelle on écrit aujourd’hui. Par exemple je me suis rendu compte d’une chose, c’est sur la figure du loup-garou. Je ne sais pas pourquoi, mais il m’a semblé qu’à un moment donné dans l’histoire du genre, la figure du loup-garou s’est féminisée. Il y a eu énormément de personnages de loups-garous femmes, il y a eu une dimension qui était sensuelle ou sexuelle encore plus forte qu’avant, et plusieurs cas je pense sans concertation où ça symbolisait la puberté chez la femme. Et je pensais au film Ginger Snaps[4] notamment, qui est un bon exemple de ça, où une jeune fille est mordue par un loup-garou et elle commence à changer, sa petite sœur est terrorisée par ces changements, et on ne sait jamais si c’est la puberté ou la morsure, en fait.

LD : D’accord.

MF : Et je me suis retrouvée à écrire un loup-garou féminin sans conscience de ça, pour me rendre compte d’un seul coup « Tiens, on est ancré dans quelque chose qui parle à notre époque, mais je ne sais pas pourquoi ». C’est compliqué de reprendre ça consciemment, ou on peut le faire par contre de manière extrêmement consciente. Et pour le vampire je pense notamment à ce qu’à faire Morgane Caussarieu qui a écrit deux romans[5] Dans les Veines et Je suis ton ombre, et la démarche de Morgane est vraiment très, très réfléchie, elle qui se passionne pour le vampire depuis toujours. Quand elle a vu arriver la mode du Twilight et du vampire tout gentil, ça l’a exaspérée. Elle a dit « ok, on retourne aux sources » et elle est revenue au vampire des années ’80-’90, Rock ‘n roll violent, meta etc., et elle a raconté finalement une histoire sur une lycéenne qui tombe amoureuse d’un vampire et ça se termine atrocement mal.

[rires]

MF : Et là pour le coup, c’était « le genre prend une direction qui me déplait, je reviens aux bases ». On peut procéder de cette manière, aussi.

LD : D’accord. À travers les Dieux Sauvages, je travaille entre autres sur la figure historique de Jeanne d’Arc, mais très mythologisée, plutôt sur le mythe qui a été engendré.

LG : S’il y a un mythe qui a été utilisé en plus par tout le monde, c’est bien celui-là, de l’extrême gauche à l’extrême droite…

LD : D’ailleurs, c’est… Tu parlais de l’ancrage dans… Alors, je ne peux pas spoiler, mais tu parlais de l’ancrage dans l’époque, je suis conscient de certaines réappropriations avec lesquelles je vais m’amuser. Donc ce que tu disais sur Morgane, ça reprend pour moi ce qui est le… Quand un mythe attire, ou quand une figure attire – alors moi je mélange un peu les deux – pour moi la première question à se poser c’est qu’est-ce qui m’intrigue là-dedans, parce que qu’est-ce que j’aurais envie d’en faire dont j’ai l’impression que ça n’a pas été fait, ou en tout cas – car c’est difficile de trouver des choses qui n’ont jamais été faites – auquel je puisse apporter quelque chose qui m’appartienne, qui ne soit qu’à moi. Finalement c’est la raison pour laquelle on écrit, quelque part, on s’efforce d’être suffisamment en lien avec sa voix interne et sa personnalité, faute de meilleur terme, et de contribuer à ça dans ce qu’on écrit. Je pense que la recherche est la même, ça rejoint ce que tu dis je pense Mélanie, mais avec l’éclairage d’une époque. Mais ça revient à la même chose. Je n’aime pas le tour que prend le thème, donc moi je vais en faire quelque chose… Je pense qu’il ne faut pas avoir peur dans son for intérieur de se dire « qu’est-ce que moi j’aimerais voir ? J’aime ce thème-là, mais de quelle manière j’aimerais le voir traiter, qui n’appartienne qu’à moi ».

Petite citation pour terminer ?

LG : Une citation de Picasso « Les bons artistes copient, les grands artistes volent ».

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant allez voler.


[1] Roman de Science-Fiction publié en 1973 « dont le thème central est la perversion sexuelle que cultive une communauté de personnes envers les accidents de voiture » (Wikipedia)

[2] Ce mot n’existe pas, mais c’est bien celui que LD utilise, cf https://lioneldavoust.com/2018/procrastination-podcast-s02e10-motifs-et-reprises

[3] Série française d’Alexandre Astier, suivie de film(s).

[4] Film Canadien Horrifique de John Fawcett sorti en 2000, qui connaîtra une suite et un prequel.

[5] Au moment de l’enregistrement du podcast, il y en a eu d’autres depuis… notamment un sur la figure du loup-garou, Vertèbres.

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