Port d’âmes, Lionel Davoust

Port d’âmes

Lionel Davoust, Français

One Shot Fantasy, Univers Evanegyre

2015, Critic pour la 1ère édition

2017, Folio SF pour la présente édition

Illustration : Alain Brion

Rhuys ap Kaledán est un héritier déchu.

Tout juste libéré de la servitude et des galères, il rejoint la cité franche d’Aniagrad, où tout se vend et tout s’achète, pour reconquérir l’honneur de sa famille. L’occasion lui en est rapidement donnée : Edelcar Menziel, un ancien ami de son père, lui propose de travailler sur la conversion dranique, un procédé perdu depuis des siècles qui permettrait de réaliser des machines magiques. Résolu à tracer son chemin dans la haute société de la ville, le jeune homme s’investit de tout son cœur dans le projet.

Mais bientôt, coincé entre des intrigues politiques et son amour pour une mystérieuse jeune femme qui vend des fragments de son âme pour survivre, Rhuys découvre que le passé recèle des secrets bien sombres et tortueux. Aux prises avec l’ambition, la duplicité et le mensonge, il devra se montrer plus rusé que ses ennemis s’il veut atteindre son but sans perdre son âme.

Mon avis

Même s’il n’y a pas beaucoup d’éléments communs, Port d’âmes s’inscrit dans l’Univers Evanegyre, dont vont partie La Volonté du Dragon, La Route de la Conquête, mais surtout Les Dieux Sauvages, des récits épiques qui se déroulent bien avant Port d’âmes. Et ayant beaucoup apprécié ces récits, j’avais hâte de lire le seul que je n’avais pas encore lu, bien qu’il ait été publié avant Les Dieux. Or, l’atmosphère est très différente, et j’avoue avoir mis un peu de temps avant de réussir à prendre mes marques et à m’immerger dans le labyrinthe d’Aniagrad. Port d’âmes est une Fantasy « réaliste », avec très peu de surnaturel, un récit initiatique assez classique avec un protagoniste pas forcément très dégourdi, une longue mise en place avec beaucoup d’introspection, et une intrigue de manigances toute aussi classique.

En effet, Port d’âmes raconte l’histoire de Rhuys, un jeune homme qui sort de 8 ans de servitude suite à la déchéance de sa noble famille. Malgré les épreuves qu’il a traversées, il est idéaliste et un peu beaucoup naïf, mais on se doute que son arrivée dans la grande ville impitoyable d’Aniagrad aura tôt fait de lui mettre un peu de plomb dans la cervelle, qu’il le veuille ou non. De fait, il se met rapidement dans le pétrin, manipulé à la fois par une Administration toute puissante et par d’anciennes connaissances de son père, et c’est bel et bien un récit initiatique que l’œuvre nous propose donc ici. Comme on s’y attend, ces magouilles dans lesquelles Rhuys se retrouve involontairement plongé vont le faire grandir, quitte à lui faire perdre un peu de ce précieux idéalisme, mais il va aussi « bénéficier » d’une tragédie bien différente. Ainsi, si le premier axe est assez classique, ce second axe est beaucoup plus intimiste et fascinant.

Dans la ville d’Aniagrad, tout se vend. Nous ne sommes donc pas étonnés d’y trouver des dames à l’affection négociable, comme disait Pratchett, mais aussi des personnes qui vendent tout autre chose : des fragments de leur âme. En effet, grâce au Transfert, raconter un épisode de sa vie permet de donner les émotions qui y sont rattachées, comme si la personne qui les reçoit les avait elle-même vécues. Ce souvenir, ou plutôt ces émotions, appartiennent dès lors au client, qui est libre d’en disposer comme il le souhaite. Et il se trouve que Rhuys va tomber amoureux d’une de ces Vendeuses, dont les souvenirs vont également contribuer à son évolution.

Il est assez facile de faire le parallèle entre les prostituées et ces Vendeur’euses (et amène d’ailleurs certaines réflexions sur le thème des classes sociales), mais on comprend assez vite le véritable parallèle à faire. Le Transfert me semble en effet la métaphore de la création d’histoires et surtout de la façon dont elles sont reçues. Certaines personnes s’en divertissent et passent à autre chose, les oublient même parfois, mais dans certains cas, il est possible de se les réapproprier et de créer autre chose à partir de ça. Je trouve d’ailleurs particulièrement intéressant que l’important dans ces Transferts, ce ne soit pas l’histoire en elle-même, mais les émotions qu’elle véhicule.

La Fantasy est ainsi peu présente, certes, mais elle n’est pas anodine et se révèle fascinante. On la retrouve aussi dans l’artech, une ancienne technologie qu’on connaît bien si on a lu les autres récits, et dans quelques autres choses que vous laisserai découvrir.

La première intrigue est plaisante à suivre, on se demande comment Rhuys va s’en sortir, d’autant qu’en jeune homme inexpérimenté, il galère, il doute, il ne cesse de tomber et de se relever, et j’avoue que je n’avais pas vu venir la résolution de cette partie. La seconde intrigue, par contre, m’a complètement subjuguée par sa sensibilité, au point que j’ai eu de très littérales larmes aux yeux lors du final : cette dernière histoire sonne incroyablement juste, et surtout elle a résonné avec quelque chose de très personnel, que je n’avais même pas conscientisé avant de lire ce passage. C’est extrêmement rare qu’un livre, d’autant plus de fiction, me propose un tel éclairage sur moi-même. C’est à la fois très intéressant et très étrange comme sentiment.

Bilan

Port d’âmes est un récit initiatique et intimiste dans lequel l’aventure et les manigances côtoient la poésie et la beauté de la nuit, un divertissement teinté de réflexions sociales et sur la transmission des histoires.

Et ailleurs qu’en pense-t-on ?

8 réflexions sur “Port d’âmes, Lionel Davoust

  1. Pingback: Port d’Âmes – Lionel Davoust – Les Lectures de Xapur

    • Je crois que la dernière fois que ça m’est arrivé, c’est sur une nouvelle de Mélanie Fazi. Mais comme quoi, on peut bel et bien apprendre grâce à l’Imaginaire 🙂

      Hâte aussi de lire le dernier tome, même si je suis contente qu’il ne sorte que l’année prochaine, j’aimerais bien descendre un peu ma PAL déjà XD

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